La réflexion sur la question du port de signes religieux à l’école s’est imposée à la suite des difficultés récurrentes rencontrées par l’institution scolaire depuis 1989 qui semblent s’amplifier depuis quelques temps au point de susciter des interrogations sur une éventuelle mise en cause du principe de laïcité à l’école.
Parce que l’école est le lieu particulier où les élèves acquièrent à la fois le savoir, le goût de vivre ensemble et font l’apprentissage de la citoyenneté, il a paru nécessaire de donner à cette institution les moyens de surmonter une difficulté à laquelle elle est confrontée dans sa mission d’intégration et de formation des esprits.
Mais concernant ce projet de loi sur l’application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics, la question la plus opportune reste sur le caractère du texte. En effet, la première question qui prévaut est simple : fallait-il une loi ?
Dans l’arrêt Aoukili, le Conseil d’Etat estimait que le port d’un foulard en signe d’appartenance religieuse peut être interdit lors des enseignements d’éducation physique et le refus de respecter cette interdiction justifie une action disciplinaire.
Dans son arrêt Kherouaa, le Conseil d’Etat prévoyait néanmoins que l’interdiction générale et absolue du port de signes d’appartenance religieuse par le règlement intérieur d’un collège est illégale.
Certes, le Conseil d’Etat a rappelé plusieurs fois qu’il résulte des textes constitutionnels et législatifs et des engagements internationaux de la France que le principe de laïcité de l’enseignement public est indérogeable.
Certes, une loi par rapport aux dispositifs réglementaires tend à uniformiser sur tout le territoire national les mêmes dispositions juridiques.
Néanmoins, la question de la mise en application et du respect par tous de cette loi est loin d’être assurée. En effet, dans un moindre niveau que les différentes circulaires prises depuis quinze ans sur cette question, l’Etat devra veiller en permanence à la bonne application des règles édictées par ce projet de loi. Cette obligation n’est pas innocente et tend à stigmatiser certains par rapport à d’autres dans des établissements, où jusqu’à aujourd’hui, tous les élèves vivaient en harmonie.
Sur la forme, le fait de vouloir solutionner la question du port du voile à l’école par une loi est un aveu de faiblesse.
On fait une loi parce que quelques centaines de jeunes filles se couvrent la tête, mais surtout parce que les chefs d’établissements manquent d’autorité, et que le Conseil d’Etat leur a donné tort. On justifie cela par la violence entre communauté. On confond ce qu’il y a sur la tête et ce qu’il y a dedans, qui ne disparaît pas.
L’essentiel n’étant d’emblée pas atteint puisque le Conseil d’Etat faisant la différence entre le simple port du voile et la volonté de se soustraire aux horaires ou aux programmes.
Sur les principes, ce projet de loi est un texte qui limite la manifestation de sa croyance religieuse même lorsqu’il n’a pas de trouble à l’ordre public. Il ne va pas dans le sens de la laïcité de respect. Cette forme de laïcité a fait son cheminement tout au long de l’histoire de notre pays. Elle est le fruit des compromis et de l’évolution du concept de laïcité en France depuis quatre siècles, pour affirmer la transition d’une laïcité vers une laïcité bienveillante.
C’est cette bienveillante qui doit être maintenue dans notre République pour éviter toute forme de dislocation de nos valeurs et éviter par là même toute forme de communautarisme. Immanquablement toute forme de laïcité agressive sera une cause de fracture au sein de notre République.
Et c’est parfois, je le crains, l’un des effets que pourra engendrer ce texte.
Enfin, je souhaiterais aborder avec vous les conséquences de ce texte. Il est à craindre un effet boomerang à plusieurs niveaux.
Le premier risque est de créer une identité révoltée au sein des personnes qui ont le sentiment d’être humilié par une telle loi. En effet, le choix du voile chez des adolescentes peut être simplement l’expression d’un besoin de s’affirmer. C’est le totalitarisme vestimentaire. Réprimer cette intention/mal être, c’est d’une certaine manière conforter toutes les formes d’extrémistes.
D’autre part, les défenseurs de la laïcité sans concession voulaient que le terme “visible” soit inscrit dans la loi. Cela aurait été juridiquement plus fort parce qu’il s’agissait d’un objectif, mais du même coup cela aurait été une atteinte caractérisée à la liberté religieuse.
En terme de sémantique, le terme « ostensiblement » me paraît au contraire viser à ce qu’il y a de subjectif. Il s’agit de viser une intention. C’est tout le problème. Le voile a-t-il pour but de manifester une appartenance ?
Peut-être, mais il a d’abord pour but d’obéir au Coran en cachant les cheveux. Autrement dit, on dit d’une chose qui cache, qu’elle montre. C’est encore plus équivoque dans le cas des Sicks, puisque le signe d’appartenance, c’est ce qui est caché. La toute petite croix ne cache rien, elle montre ! C’est un signe ostensible d’appartenance !
Avouez simplement que l’utilisation de ces nuances de la langue française n’apporte aucun élément supplémentaire au débat. On risque même de renforcer les difficultés d’interprétation.
La focalisation sur la question du port du voile est un des symptômes d’une maladie qui représenterait les difficultés d’intégration dans les valeurs de la République. Cette loi ainsi rédigée pourrait apparaître comme le vaccin à ce symptôme, mais malheureusement il ne parviendrait pas à éradiquer cette maladie.
C’est pourquoi, au terme de mon intervention, je souhaiterais ajouter que cette loi est inutile et dangereuse. En ce qui me concerne, j’aurais voulu que soit proposé différentes mesures, moins agressives, comme l’uniforme (on interdit pas, on propose), le développement de relations solides entre l’Etat et le culte musulman, et que l’accent soit mis sur le renforcement de l’égalité entre homme et femme.
Je vous remercie.