Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
« L’Histoire est le plus dangereux des produits que la chimie de l’intellect humain ait élaborée ».Cette phrase de Paul Valéry témoigne une fois encore de sa lucidité.
L’Histoire est avant tout une recherche et à ce titre elle doit être libre comme le rappelle la loi du 23 février 2005. Mais elle peut être aussi un enseignement et dans ce cas elle est nécessairement contrainte, ne serait-ce que par la nécessité de résumer, de condenser. L’Histoire n’enseigne pas des faits, elle donne une interprétation de ces faits. La distance historique ou le privilège accordé à tel ou tel type de causalité donneront des mêmes faits une interprétation différente. J’emprunte cette réflexion à Paul Ricoeur qui souligne ainsi la limite de l’objectivité historique. François Furet, on s’en souvient, avait montré combien l’enseignement de la Révolution Française avait pâti d’une interprétation idéologique. L’Histoire peut ainsi aller de l’hagiographie au réquisitoire. L’Histoire n’enseigne pas seulement l’interprétation des faits. A travers celle-ci, elle inculque des valeurs. La sélection des faits, le choix d’un fait plutôt qu’un autre, et leur interprétation tendent à susciter des jugements de valeur.
Or, comme l’écrit justement Dominique Schnapper, dans son ouvrage La communauté des citoyens, c’est à l’école qu’on forme des citoyens, qu’on suscite et nourrit leur adhésion à la collectivité.
C’est la raison pour laquelle il faut veiller à ce que ce dangereux produit de l’intellect qu’est l’Histoire soit le plus équilibré possible afin qu’il entraîne à la fois la lucidité et la cohésion.
C’est ce souci qui a présidé à la rédaction de la loi portant reconnaissance de la Nation envers les rapatriés. « La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France » affirme la loi. L’exposé des motifs, rappelle, quant à lui que « reconnaître l’œuvre positive de nos compatriotes sur ces territoires est un devoir pour l’Etat français ». L’article quatre de la loi tire les conséquences de ce devoir de mémoire pour l’enseignement scolaire. Il n’y a rien là d’étonnant puisque cela découle logiquement des déclarations du Président de la République sur la reconnaissance due aux populations d’Outre-Mer. La notion de rôle positif précédé de l’expression en particulier appelle à l’évidence l’évocation d’aspects négatifs quant on traite en général de l’Histoire de la présence française Outre-Mer.
Mais, dans un souci d’équilibre que beaucoup feignent de ne pas percevoir, le texte de la loi appelle également à la reconnaissance envers les soldats issus de l’Outre-Mer qui sont venus combattre pour la France notamment durant les deux guerres mondiales. Ce rappel n’est pas seulement un devoir de mémoire envers les morts, c’est aussi un message d’espoir envers les vivants, les enfants rapatriés pieds noirs et harkis, comme les enfants d’immigrés dont beaucoup ont eu dans leur famille un de ces combattants. Sans l’article 4 de la loi, leurs mémoires ne seraient plus honorées.
C’est Alain Finkielkraut qui nous met aujourd’hui en garde contre la bien-pensance antioccidentale et qui souligne les conséquences néfastes, d’une présentation systématiquement négative de l’Histoire. « Ainsi, répondra-t-on au défi de l’intégration en hâtant la désintégration nationale » écrivait-il récemment. Comment aimer un pays qui se haïrait lui-même ?
Madame Gisèle Printz, notre collègue socialiste du Sénat, ne s’y est pas trompée en soutenant ce texte et particulièrement les dispositions de l’article 4.
Qui oserait en effet, regretter la présence de la France dans le monde, le rayonnement desa culture et de ses valeurs, l’enrichissement de cette culture grâce aux échanges, l’existence de la Francophonie ?
Qui pourrait regretter le rôle de Brazzaville ou d’Alger dans l’affirmation de la France Libre ? A-t-on pensé un instant à ce qu’aurait été la France de 1940, sans cet Empire que le Général de Gaulle fera basculer dans le camp de la liberté, avant que les troupes de Leclerc et de De Lattre qui s’y étaient formés ne viennent participer à la Libération de la métropole.
Comment ne pas vouloir donner comme exemple aux enfants d’aujourd’hui ces premiers médecins français, ces « frenchs doctors » de l’époque, qui libéraient Madagascar de la variole et de la rage avec André Thiroux, l’Indochine de la peste, avec Alexandre Yersin, et l’Algérie de la malaria avec François-Clément Maillot ?
Dans son discours de Brazzaville, le Général de Gaulle rappelle l’action de la France de Gallieni et Brazza, jusqu’à Lyautey et il concluait par ses mots : « il n’y aurait aucun progrès qui soit un progrès, si les hommes sur leur terre natale n’en profitaient pas moralement et matériellement, s’ils ne pouvaient participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires ». Moins de vingt ans plus tard, le Général de Gaulle réalisera cet engagement. A l’évidence, le présent débat n’aurait pas lieu s’il avait pu mettre celui-ci en œuvre dès le lendemain de la guerre.
Je vous remercie.