Tribune parue dans l’hebdomadaire Valeurs Actuelles de ce jour.
Héritée de l’Ancien Régime, modifiée à la marge par les Républiques successives, arrêtée dans sa configuration actuelle en 1958, la carte judiciaire ne répond plus aux besoins des justiciables. Ce constat, tout le monde le fait depuis longtemps. Les gardes des Sceaux de la Ve République, de gauche comme de droite, les membres de la commission d’enquête dite d’Outreau, toutes tendances confondues, les partis politiques, du parti socialiste à l’UMP, les magistrats et les avocats, leurs organisations syndicales aussi.
Tous pourront d’ailleurs reconnaître une qualité à madame Dati, celle d’avoir eu hier la volonté et aujourd’hui le courage et la détermination de s’attaquer enfin à ce sujet sensible, de passer de la parole aux actes et d’ignorer les conservatismes qui lui proposent de ne rien changer.
Passons sur les critiques habituelles, toujours avancées quand le gouvernement réforme : nous accepterions bien des changements, mais votre méthode pour y parvenir est mauvaise. Chacun sait que cet argument conduit à l’immobilisme. Les questions de forme ne doivent pas cacher les questions de fond.
La France de 1958 n’est pas celle de 2007. L’exode rural et l’urbanisation du pays, le développement des infrastructures de transport, les nouveaux moyens de communication font apparaître une organisation judiciaire en décalage avec le pays tel qu’il est et quelques chiffres sautent aux yeux :
– 54 tribunaux de grande instance ont un nombre de magistrats inférieur à 10, chiffre notoirement insuffisant pour assurer aisément la collégialité ou la spécialisation du traitement des contentieux complexes ;
– 187 tribunaux d’instance ont une activité insuffisante pour un magistrat à temps plein ;
– dans 6 départements, les affaires commerciales ne sont pas jugées par une même juridiction. Une partie du département relève de la compétence d’un tribunal de commerce alors que pour l’autre, à quelques kilomètres de là, c’est un tribunal de grande instance statuant en matière commerciale qui sera compétent.
Il est temps de répondre à un objectif politique clairement défini : assurer à tous les justiciables, notamment les victimes, un service efficace et rapide par un redéploiement des moyens de justice.
Sollicités pour apporter l’éclairage de leur expérience, les chefs de cour d’appel ont proposé, après avoir recueilli l’avis des professionnels et des élus locaux, une nouvelle carte. Aujourd’hui, les décisions annoncées sont le fruit d’une synthèse réfléchie visant à concilier ces avis avec l’objectif à atteindre. Le respect de cet objectif entraîne naturellement une réorganisation des tribunaux qui concentre et regroupe les forces de la justice pour qu’elle soit plus efficace et mieux rendue.
Si on veut bien la lire et la comprendre, la réforme de la carte judiciaire, proposée par madame Dati, remplit des objectifs clairs au service des justiciables :
– elle instaure des juridictions de taille suffisante pour permettre la spécialisation des magistrats dans les contentieux complexes ; en cela, elle répond à l’exigence des justiciables qui veulent une justice de meilleure qualité ;
– elle permet la collégialité en dotant les juridictions d’un nombre de magistrats suffisant. C’est une garantie pour les libertés individuelles (collégialité de l’instruction) mais aussi pour la qualité des décisions rendues ;
– elle répond au souhait de mettre un terme à l’isolement des magistrats exposés à la complexité du droit ou à la lourdeur de décisions que la solitude rend pesante ;
– elle permet de réduire les délais de jugement en affectant des moyens matériels et des moyens humains là où les contentieux sont les plus nombreux. C’est une réponse appropriée aux exigences des justiciables qui se plaignent des lenteurs de la justice.
Dans quelques jours, l’Assemblée nationale sera amenée à se prononcer sur la mission “justice” du budget 2008. En hausse de 4,5 % par rapport au budget 2007, il traduit la volonté politique du gouvernement de doter la justice des moyens nécessaires à l’accomplissement des tâches que lui confie la République. Le renforcement des moyens en personnel affecté aux tribunaux, la modernisation du fonctionnement de la justice par la dotation de moyens informatiques permettant notamment la dématérialisation de la chaîne pénale et le développement de la numérisation, le renforcement des structures dédiées aux mineurs délinquants n’auront de sens que si la carte judiciaire permet parallèlement d’optimiser l’utilisation de ces moyens nouveaux. Alors que la France lance enfin un train de réformes tant attendu, la justice doit aussi se moderniser sans plus attendre.
Un commentaire
D’après ce que vous dites, il semble bien qu’il y ait des aspects positifs. Mais d’un autre côté, les justiciables peu fortunés vont hésiter à financer plusieurs centaines de kilomètres de trajet pour récupérer l’argent qui leur est dû et dont la totalité serait mangé par les frais d’avocat et de transport. Moralité : un employé qui se fera gruger de 2000 à 3000 € par son employeur, il ne lui restera que les yeux pour pleurer. De même pour un acheteur trompé par un commerçant indélicat (ou un commerçant abusé par un escroc). Autre moralité : on peut être malhonnête sans grand risque et spolier autant de victimes que l’on veut,à condition de ne pas dépasser un certain montant à chaque fois.