En 1968, je préparais ma licence de philosophie à la faculté des lettres de Lille, en province, mais au cœur d’un des foyers de l’incendie.
1968 n’inaugura pas la société française d’aujourd’hui dont la réalité est due à des causes multiples, plus continues et plus concrètes. 1968 est un révélateur de notre inconscient national, à la manière d’un acte manqué ou d’un rêve.
Les événements ont constitué un ensemble de faits réels, dont le sens n’apparaît qu’à la lumière de notre mythologie.
En 1968, la génération d’après guerre parvenait à l’âge adulte, plus nombreuse et avec un niveau de formation plus élevé que les précédentes. L’accroissement de la population universitaire et le développement d’un esprit contestataire et revendicatif en furent alors les conséquences logiques. Ce phénomène sera décliné dans différents pays dans un contexte à chaque fois différent : aux États-Unis avec la guerre du Viet Nam, la lutte des Droits Civiques et des attentats politiques, en Italie où la population universitaire a doublé, en Allemagne avec l’apparition d’actes terroristes. On pourrait y ajouter le Mexique ou la Tchécoslovaquie.
1968 marque donc avant tout une rupture démographique, psychologique, et aussi économique. Dans son creuset se fondent la naissance de la société de consommation et l’utopie marcusienne, la soif de la liberté sans frein et la condamnation morale et sociale du capitalisme. La page de la guerre et de ses suites doit être tournée. Elle le sera dans cette confusion.
En France, cela se traduit par deux séries d’événements parallèles que l’opposition de gauche ne parviendra pas à réunir. D’abord un mouvement étudiant. Ensuite, un mouvement social. Le second a parfaitement été maîtrisé par Georges Pompidou. À part la faiblesse des gouvernements de droite face à la rue et à la grève, il ne reste rien de ses revendications assez classiques, absorbées par la dévaluation de l’année suivante.
Reste le mouvement étudiant, révélateur du côté obscur de notre inconscient national qui perdure aujourd’hui, mythe, produit par des mythes et entretenu par les intellectuels formés dans son moule qui ont envahi, jusqu’à le rendre stupide et ridicule, notre espace médiatique.
La première génération à connaître à la fois le plein emploi, la progression du niveau de vie, l’allongement des études et l’absence de guerre, dans un pays où le pouvoir légitime et démocratique s’incarnait dans le héros national de la Résistance et de la victoire sur le Nazisme, va revisiter en toute sécurité le mythe de la Résistance (CRS = SS) et celui des révolutions du XIXème siècle avec leurs barricades. Plus enseignée que les précédentes, elle est mal informée. J’arpentais le hall de la faculté entre stands trotskyste et maoïste. Quelle arrogance de la pensée pour des contre-sens dont la bêtise abyssale et l’irresponsabilité sont aujourd’hui des évidences. Ils vantaient les mérites du livre rouge et de la révolution culturelle qui se répandaient en Chine après le Grand Bond en Avant : on proposait à notre société heureuse les millions de morts chinois qui annonçaient les millions de mort du Cambodge « libéré ». La révolution permanente et la lutte des classes défendues par des enfants de bourgeois s’adonnant aux saturnales de la démocratie libérale ! À travers De Gaulle, tous les pères étaient visés. Le pouvoir s’en releva, affaibli. L’autorité ne s’en remit jamais.
La France répétait, en somnambule, sa mythologie particulière qui donne à penser à chaque génération, et avec chaque nouveau tournage des « Misérables » qu’Enjolras est gentil et Javert méchant. Le fait que l’un des seuls morts de 1968 fut commissaire de police aurait dû nous alerter. La réalité s’éloigne sans cesse davantage du mythe dont la France reste prisonnière. Car c’est là tout le problème. Il est aujourd’hui interdit de critiquer ces événements funestes et dérisoires, cette époque où était lancé le slogan : « il est interdit d’interdire ».
C’est la France qui aujourd’hui n’est pas libre, libre de s’adapter à la réalité de notre monde et de s’y épanouir parce que ceux qui ont été nourris de ce mythe quand ils ne l’ont pas fabriqué, ne cessent de le placer entre les français et le réel, à la manière d’un verre déformant.
4 commentaires
Ahh, cette bonne vieille phrase de Jean Yann, déclinée à plus soif…
Mais…si mai 68 a existé, ne serait-ce pas la faute des “conservateurs” (que ce mot est galvaudé désormais..), ramassis de misérables vieillards aveugles aux mutations sociétales, avides de tout contrôler, de tout censurer, étouffant une société qui ouvrait les yeux par le prisme de l’éducation ?
Si le mouvement contestatire de mai 68 a réussi à s’imposer, n’est-ce pas parce qu’il y avait des choses à contester ? N’est-ce pas parce que la France était étouffée par une poignée de bien pensants gagnés par la sénélité, qui voulaient à tous prix imposer leur misérable et vaniteuse vision des choses à plusieurs millions d’individus un peu moins stupides que leurs ainés ?
Vous critiquez les “révolutionnaires” : je critique ceux qui ont permis l’espoir dans cette révolution.
Sous les pavés, ce n’était pas la plage, mais le chômage !
F.T.
Louis Cypher a tout bon !
En ce centenaire de la naissance d’un grand opposant http://www.elysee.fr/president/mediatheque/photos/phototheque.248.html au communisme totalitaire, je tiens à rappeler que la faculté de droit était l’un de ces foyers. N’est-ce pas Pierre Mauroy qui la fit réouvrir en 1992 ?