Si je savais quelque chose qui me fût utile, et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l’Europe, ou bien qui fût utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime.
Charles de Montesquieu
Les media ont abondamment commenté, la semaine dernière, la mue opérée par le Maire de Paris, Bertrand DELANOE. Celui-ci, d’après un titre triomphant du Figaro, invite la gauche à accepter le libéralisme dans son dernier livre intitulé De l’Audace (cette référence à Danton, ce grand libéral, me laisse coi…), et se déclare « libertaire »…
Il me semble que le Maire de Paris fait preuve d’une connaissance très superficielle en matière philosophique, dans la mesure ou il y a deux conceptions de la liberté qui s’opposent, ce que n’importe quel potache de terminale, à l’approche du baccalauréat, connait…
Il y a certes la liberté conçue comme l’absence de contraintes. Le mot de « libération » lui conviendrait mieux et la référence à la presse n’est pas anodine. Il s’agit, pour ce type de liberté, de s’affranchir de toute espèce de contrainte. Cette conception va de pair avec le matérialisme. C’est la conception d’un DIDEROT par exemple. Elle ignore le devoir et conduit politiquement à l’anarchie dans le pire sens du terme, puisqu’elle correspond au triomphe du caprice pulsionnel sur l’engagement au profit des autres. Dans ce cas, on voit bien ce qu’est la liberté, mais on ne voit plus qui est le sujet de la liberté puisque obéissant à mes pulsions, je n’obéis pas à moi-même.
Il y a une autre définition de la liberté, qui est davantage compatible avec la responsabilité politique. C’est celle qui considère la personne humaine comme un sujet, raisonnable et responsable, capable de choisir et d’assumer ses choix. Cette conception spiritualiste suppose que le sujet peut choisir de s’engager au profit de la collectivité, et d’obéir en toute conscience à l’impératif catégorique qui lui impose de respecter chez toute autre homme, un sujet libre libre et responsable. C’est la liberté du citoyen. Celle qui faisait dire à Jean-Jacques ROUSSEAU que « l’impulsion du seul appétit est l’esclavage, l’obéissance à la loi que je me suis prescrite à moi-même est liberté ».
Un responsable politique ne peut évidemment opter que pour la seconde conception. Il n’est pas étonnant que le Maire de Paris penche pour la première. De surcroit, celui-ci est très mal placé pour parler de libéralisme notamment en raison du fait qu’il refuse cette liberté essentielle qu’est la liberté d’expression en s’en prenant ouvertement à ma personne… Lui qui ose citer Raymond ARON devrait relire avec acuité Démocratie et Totalitarisme : le fondement essentiel de la démocratie, et donc du libéralisme, est le pluralisme c’est-à-dire la tolérance envers les idées des autres.
Mais on me dira que ROUSSEAU n’était pas très libéral non plus ! L’affaire est plus complexe puisqu’il ne l’est plus dès lors que le Contrat social a été signé, et c’est dans le cadre du Contrat social qu’il faut en opter pour trois principes qui s’éloignent de Rousseau mais qui définissent bien le libéralisme:
Le premier, c’est la subsidiarité, qui fait qu’entre l’individu et l’État, il doit y avoir toute une série de corps intermédiaires qui ont leur autonomie relative et qui protègent les individus du pouvoir souverain de l’État. Entre ma licence et l’État souverain, il y a notamment ma Famille, Monsieur DELANOE.
En second lieu, il y a la séparation des pouvoirs par laquelle chaque pouvoir doit être limité par un autre. C’est de cet équilibre que naît la liberté des citoyens.
Enfin, il y a la sûreté. C’est Montesquieu qui disait que le sentiment que chacun se fait de sa sûreté fonde la liberté chez un citoyen. Le citoyen libre, c’est à la fois, celui qui, lorsqu’on sonne chez lui le matin, sait que c’est le laitier et non la police politique, et c’est aussi celui qui est protégé de la violence des autres par l’efficacité de la police et de la justice.
Limitation des pouvoirs, subsidiarité des responsabilités politiques, sécurité : voilà des notions qui fondent le libéralisme politique, inséparable du libéralisme économique alors que ce dernier peut parfaitement vivre sans lui. On voit que l’on est très loin des revendications narcissiques de l’individu-roi prôné par Monsieur DELANOE.
Aucun système n’est plus exigeant envers le citoyen que le système libéral puisqu’il repose sur l’autonomie morale de la personne et sur la limitation volontaire du pouvoir qui lui est confié.
3 commentaires
excellent article
Je ne pense pas qu’un libéral aurait fait citoyen d’honneur de la ville de Paris Mumia Abu Jamal, un journaliste Black Panther condamné pour le meurtre d’un policier aux USA.
Je précise que les Black Panthers sont des révolutionnaires marxistes et des racistes anti-blancs dont le dirigeant le plus célébre est Malcolm X.
Belle réponse au libéralisme publicitaire !
En tant que libéral-conservateur (deux mots qui nécessitent toutefois une explication…), je suis ravi de vous voir défendre la vision responsable de la liberté individuelle contre celle qui dévoie la liberté en permissivité. Bravo et merci.