Tribune parue dans le journal Le Monde, coécrite par Jean Dionis du Séjour, député Nouveau Centre (NC) de Lot-et-Garonne et ancien rapporteur de la Loi sur l’économie numérique, Christian Vanneste, député UMP du Nord et ancien rapporteur de la Loi droit d’auteur et droits voisins sur internet (Dadvsi), et Alain Suguenot, député UMP de la Côte-d’Or.
ercredi 10 juin, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision concernant la loi Hadopi.
Il l’a validée partiellement, elle est aujourd’hui promulguée par le président de la République. Mais il a censuré le coeur de ce projet en considérant que l’accès à Internet était une des conditions indispensables de l’exercice de la liberté énoncée à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 selon laquelle “tout citoyen peut parler, écrire et imprimer librement”. En conséquence, seul un juge peut décider d’une coupure de l’accès à Internet.
Ensuite, le Conseil constitutionnel a également rappelé que le principe de la présomption d’innocence interdit au législateur de renverser la charge de la preuve en obligeant l’abonné à prouver qu’il n’est pas coupable. Cette décision est fondatrice. Elle va orienter durablement notre droit et c’est en s’appuyant sur elle que nous devons élaborer une nouvelle solution pour établir un équilibre entre la liberté des internautes et la légitime protection des droits d’auteur.
Car cette exigence est effectivement nécessaire et urgente. Parlementaires appartenant à la majorité présidentielle, nous avons participé activement aux débats sur cette loi et nous nous sommes forgés quelques convictions simples et fortes dans ce domaine législatif :
1. Le gouvernement a raison d’affirmer qu’il faut à notre pays une volonté renouvelée de défendre l’exception culturelle et nos industries de la musique et du cinéma. Or, aujourd’hui, le concept pédagogique de réponse graduée – avertissements, puis sanction – est sans doute le seul permettant de relever ce défi.
C’est une de nos différences principales avec certains de nos collègues de l’opposition qui semblent oublier cet impératif de court terme.
2. Pour garantir une sortie par le haut de la loi Hadopi, nous avons l’obligation de respecter la philosophie de la décision du Conseil constitutionnel. Choisir la coupure de l’accès à Internet comme sanction finale de la réponse graduée est une impasse dont la conséquence malheureuse – la double peine, le paiement de l’abonnement pendant le temps de la coupure – sera légitimement vécue comme une provocation par nos concitoyens.
CHANGEMENT DE CAP
S’entêter à sanctionner cette pratique, très répandue, par des tribunaux spécialisés condamne inévitablement la loi Hadopi à un nouvel échec programmé. Sauf dans certains cas exceptionnels, il nous faut donc enterrer cette fausse bonne idée de la coupure de l’accès Internet, que ce soit par une autorité administrative indépendante ou devant un juge, avec d’un côté une atteinte aux droits et de l’autre une lenteur mortifère pour l’efficacité.
3. Un changement de cap s’impose. Il passe par une mesure de bon sens prise à titre transitoire : l’adoption d’un système d’amende comme sanction finale de la réponse graduée. Une telle approche pédagogique sera opérationnelle immédiatement, modulable en fonction de la gravité des faits et elle sera efficace, à l’instar des amendes pour le stationnement illicite.
En outre, les amendes sont socialement tolérées, car elles participent de notre culture nationale pour sanctionner les petites infractions ordinaires. Enfin, cela permet de répondre positivement aux exigences de la censure du Conseil constitutionnel, tant sur l’accès à Internet que sur la présomption de culpabilité. Ainsi refondée, la loi Hadopi pourrait devenir une bonne loi de court terme pour les trois ou quatre années à venir.
4. Cela dit, nous devons nous projeter dès aujourd’hui dans “l’après-Hadopi” et travailler à une solution d’avenir. Nous pouvons déjà en tracer les fondations :
a) La volonté des artistes et des ayants droit devra être respectée quant aux choix de commercialisation de leurs oeuvres.
b) Avec leur accord, la commercialisation des oeuvres sera forfaitaire, c’est-à-dire par abonnement ou dans le cadre de licences collectives. Car dans un monde d’échanges numériques permanents, les biens immatériels ne peuvent être commercialisés selon les paradigmes traditionnels. Ils sont en effet duplicables à l’infini sans perte de qualité pour un coût quasi nul, et leur consommation est “non rivale”.
c) Le financement par la publicité, la protection par le contrat, un marché dynamisé par des prix compétitifs sont les pistes pour une solution pérenne.
d) Enfin, les systèmes de mesure d’audience sur le Net seront développés et la rémunération des artistes se fera alors en fonction du succès réel de leurs oeuvres.
Ainsi, notre Parlement et sa majorité s’honoreraient de se prévaloir du caractère fondateur de la décision des sages pour réorienter efficacement la loi Hadopi et travailler à la conception de modèles économiques novateurs, où artistes et internautes joueront enfin, de concert, la même partition “gagnant-gagnant”.
2 commentaires
Que faire ? Eviter le ridicule (même s’il ne tue pas) de l’Exécutif et celui du Parlement…Ce serait bien pour commencer !!!!
J’ai pris connaissance du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet (il y a un concours sur le titre le plus long ?) et sincèrement, c’est à se demander pourquoi je m’évertue à travailler pour financer un Gouvernement et des conseillers, qui élaborent de si sinistres et risibles textes, à qui le Parlement, pour des raisons x ou y, confère (tôt ou tard) malheureusement (sans se soucier de la France ni même de sa propre crédibilité) le nom de “loi”. (Sans doute pour rabaisser son travail ?)
Allons y ! Qu’on rigole un peu !!!!
L’article 3 du projet prévoit la suspension de l’accès Internet à titre de peine complémentaire. Lorsque l’infraction (et non le délit) est commise au moyen d’un service de communication au public en ligne ou de communications électroniques, les personnes coupables des infractions prévues aux articles L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-4 peuvent être condamnées à la peine complémentaire de suspension de l’accès à un service de communication au public en ligne ou de communication électronique pour une durée maximale d’un an, assortie de l’interdiction de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur un service de même nature auprès de tout opérateur.
Bref…Le Gouvernement essaye de faire passer par la fenêtre ce qu’il n’a pu passer par la porte !!!
Le projet de loi ouvre aussi le “droit” (les juges vont être ravis !!!), via le futur article 335-7 du CPI, pour un juge de prononcer la suspension de l’accès internet en plus d’une peine d’amende.
Néanmoins, le juge se voit aussi ouvrir la possibilité de ne se prononcer qu’en “faveur” de la peine complémentaire pour peu que cette dernière entre dans les prévisions de l’article 131-10.
Mais attendez, ce n’est pas tout. Le dernier alinéa de l’article 3 du projet est aussi sympathique !!!
Lorsque le règlement le prévoit (ledit réglement n’existant pas), la peine complémentaire définie au présent article peut être prononcée à l’encontre des personnes reconnues coupables des contraventions de la cinquième classe prévues par le présent code. Dans ce cas, la durée maximale de la suspension est de un mois.
Chacun se souviendra que l’obligation de surveillance de la connexion Internet posée par l’article 336-3 du CPI, et renforcée par la loi HADOPI, n’admettait plus de sanction après la censure du Conseil constitutionnel.
Le Gouvernement veut donc passer outre cette censure. Comment ? Via ledit réglement mystère, qui aurait pour but de punir d’une peine contraventionnelle le défaut de surveillance, et assortirait cette peine d’une sanction supplémentaire, via la suspension de l’accès à Internet par renvoi au nouvel article 335-73.
Le Gouvernement aurait pu s’en tenir à un décret, mais voilà…Un acte réglementaire ne peut poser une peine de suspension de l’accès à Internet. Il faut donc au dit Gouvernement réussir à convaincre le Parlement (combien de godillots ?) de prévoir une telle sanction. Pour mettre en oeuvre la future contravention de défaut de surveillance de l’accès Internet, il faut en effet l’aval du Parlement.
Le problème, c’est…Qu’en France (au moins) il y a une Loi Fondamentale ! Et une fois de plus l’Exécutif (avec le concours du Parlement) désire la piétiner !!!!
La question est donc posée : le Parlement va t il enfin être digne de sa mission législative…Ou bien, en jouant les courtisans ou les serviteurs, fera t il son possible pour faire passer une loi inepte, qui au passage tente de contourner la censure des Sages, c’est à dire la Loi Fondamentale du pays ?
Car ce projet de loi s’avère aussi dispendieux, inefficace, et stupide, que ses précédents (HADOPI I, HADOPI II) !!!! Et tout aussi anticonstitutionnel !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1) Violation de l’esprit de la loi
Il s’agissait à l’origine de substituer une riposte graduée au risque d’une peine d’emprisonnement en cas de téléchargement illicite. On obtient au bout du compte un arsenal pénal de concours.
Et deviner contre quoi lutte HADOPI III ? La contrefaçon !!!! Conclusion : la DADVSI ne doit elle pas être supprimée ?
Hier on luttait contre la contrefaçon seule…Demain on souhaite le faire contre la contrefaçon + l’obligation de surveillance + la suspension de l’accès à Internet. Cela va décharger les tribunaux !!!!!!!!!!!!!!!! Surtout que fidèle à lui même, le Gouvernement ne considère pas bon d’augmenter le budget de la Justice ! Plus de boulot, moins de moyens !! Youpi !
2) Retour de l’HADOPI I…Et de la présomption de culpabilité
Le premier article confère aux membres de la commission de protection des droits ainsi qu’à ses “agents habilités et assermentés” la possibilité de constater des infractions pénales.
Les membres de la commission de protection des droits, ainsi que ses agents habilités et assermentés à cette fin dans les conditions déterminées par décret en Conseil d’État, peuvent constater les infractions prévues au présent titre lorsqu’elles sont punies de la peine complémentaire de suspension de l’accès à un service de communication au public en ligne et de communication électronique. Ils peuvent en outre recueillir les observations des personnes concernées. Leurs procès-verbaux font foi jusqu’à preuve contraire.
Bref, un citoyen devra prouver son innocence, et non le contraire. (L’Etat ou l’HADOPI prouver sa culpabilité) Et cela non seulement en matière de contrefaçon, mais aussi sur le plan du défaut de surveillance.
Bref…Le Gouvernement essaye, ni plus, ni moins, que de violer la décision du Conseil Constitutionnel, autrement dit d’attenter à la Constitution (avec ses gros sabots)
Rappel :
“Considérant, en outre, qu’en vertu de l’article 9 de la Déclaration de 1789, tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ; qu’il en résulte qu’en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ; que, toutefois, à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu’elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu’est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité ;
Considérant, en l’espèce, qu’il résulte des dispositions déférées que la réalisation d’un acte de contrefaçon à partir de l’adresse internet de l’abonné constitue, selon les termes du deuxième alinéa de l’article L. 331-21, ” la matérialité des manquements à l’obligation définie à l’article L. 336-3 ” ; que seul le titulaire du contrat d’abonnement d’accès à internet peut faire l’objet des sanctions instituées par le dispositif déféré ; que, pour s’exonérer de ces sanctions, il lui incombe, en vertu de l’article L. 331-38, de produire les éléments de nature à établir que l’atteinte portée au droit d’auteur ou aux droits voisins procède de la fraude d’un tiers ; qu’ainsi, en opérant un renversement de la charge de la preuve, l’article L. 331-38 institue, en méconnaissance des exigences résultant de l’article 9 de la Déclaration de 1789, une présomption de culpabilité à l’encontre du titulaire de l’accès à internet, pouvant conduire à prononcer contre lui des sanctions privatives ou restrictives de droit.”
Bref, HADOPI III prévoit, en donnant foi aux PV des membres de la commission des droits et de ses agents assermentés, que le citoyen devra apporter lui même la preuve de son innocence.
Bref, voici un texte dont la seule ambition semble être de sanctionner le défaut de surveillance de la connexion Internet. Et pour cela, HADOPI III a été étendu à la matière délictuelle de la contrefaçon.
3) La Constitution violée
Le Législateur ne manquera pas de rappeler (s’il en a le courage ?) au Gouvernement…Le principe de la légalité des délits et des peines. Et – au passage – qu’il n’est pas une chambre d’enregistrement…Mais bien une Institution républicaine, mandatée pour faire la LOI. (Si possible, correctement)
En vertu de ce principe, les sanctions pénales résultent de textes clairs et précis. Or…Comme dit plus haut, on demande au Législateur de prévoir une possibilité de sanction en laissant au pouvoir règlementaire le soin de décider les infractions auxquelles cette sanction s’appliquera. Peu importe la légereté ou la lourdeur de la peine…La question n’est pas là. Ceci s’appelle un viol de la Constitution !
Bref, si le Législateur Vanneste pouvait demander au Gouvernement de bien vouloir rédiger AVANT son règlement, pour que le Législateur puisse se prononcer en conscience, et non abusivement…
Gardien naturel de la Déclaration de 1789 – même si les parlementaires ne connaissent à l’évidence pas ses articles !!! – le Parlement ne manquera pas de constater que l’HADOPI III viole aussi, superbement, le principe de la liberté d’accès à internet (qui est une condition de l’exercice de la liberté d’expression) !!!
Le Législateur Vanneste pourrait rappeler au Gouvernement que le Conseil Constitutionnel a été face à un dilemne lors de l’examen de la “loi” HADOPI I : fallait il faire primer la propriété ou la liberté ? Le Conseil Constitutionnel a tranché en faveur de la Liberté d’expression.
Comme toute Liberté, celle d’expression peut être atteinte, si elle porte préjudice à une autre liberté FONDAMENTALE (telle que la propriété) mais encore faut il trancher entre les deux libertés fondamentales. Or…Le Conseil Constitutionnel a tranché.
Suspendre l’accès à internet pour sanctionner une contravention (oui, vous avez bien lu, une contravention) ne peut, dès lors, qu’être anti constitutionnel ! Car si la liberté d’expression pouvait, éventuellement, s’incliner devant le droit de propriété, une liberté fondamentale ne saurait, en revanche, perdre devant une…Contravention ! Laquelle ne peut être émise que par décret. Dans l’ordre juridique, une liberté fondamentale, inhérente à l’identité constitutionnelle de la France, ne saurait être atteinte par un…Décret ! Voire même par une “loi” ordinaire.
On terminera avec un argument non juridique, mais politique. Les Sages sont des humains. Soucieux de ne pas anéantir complètement Mme Albanel, le Président Sarkozy, et M. Fillon, qui défendaient apprement une loi stupide, onéreuse, et inefficace…Ils se sont contentés de censurer le plus grave, dans la loi.
Mais cette mansuétude pourrait ne pas durer, si le Gouvernement, avec l’appui de la “majorité”, décident de faire passer l’HADOPI I bis, en faisant croire qu’il s’agit d’un nouveau texte…Qui au passage ne tient aucun compte des exigences du Conseil Constitutionnel !
Cette pitoyable tentative de contournement d’une décision qu’il vient de prendre, pourrait donc s’avérer suicidaire pour le Gouvernement, le Président, et le nouveau Ministre à la Culture. Car, en règle générale, personne n’aime être pris pour un couillon.
Surtout pas deux anciens Présidents, et un ancien de l’Assemblée Nationale, qui connait assez bien son droit !
Mais bon, avant de contraindre les Sages à replancher sur HADOPI I bis (avec l’assurance de se prendre les mêmes baffes, mais en plus piquantes cette fois ci) peut être les amis du Gouvernement, c’est à dire la “majorité” PARLEMENTAIRE pourrait faire l’effort de dire “non” à ce projet de loi HADOPI I bis !
Le Législateur Vanneste pourrait, par ex (grande innovation à l’UMP !!!) proposer à ses collègues (notamment ceux chargés des questions juridiques) de….Faire respecter la décision du Conseil constitutionnel, non seulement sur la nécessité du juge mais également sur la présomption d’innocence.
Oui…Je sais, c’est un challenge difficile. L’urgence est maintenant de convaincre les députés de la majorité qu’il faut arrêter de bafouer les droits fondamentaux. Une mission “impossible” pour le Législateur Vanneste ?
Comment se fait il que mise à part une brochette de parlementaires, le Parlement de 2009 ne se considère pas comme l’héritier, et donc le défenseur naturel, de la Déclaration de 1789 ?
C’est pourtant grâce à cette Déclaration, que l’Institution la plus puissante de France s’appelle…Le Parlement. Même si celui ci l’ignore…De toute évidence.
Paradoxe ….
L’analyse de Seb est très complète sur le plan juridique. Alors pourquoi le Gouvernement prend le risque d’une deuxième paire de baffes ? A mon avis, pour démontrer aux artistes (du moins aux majors du disque et du DVD (y compris ceux de gôôche)) que :
1) c’est malheureusement impossible, pour des raisons essentiellement techniques, d’empêcher la copie “gratuite” par une flicage administratif généralisé
2) mais que notre Président, ami des artistes et surtout de Johnny a fait tout ce qu’il a pu en leur faveur.
Et puis, on oublie un peu vite la directive Européenne sur les garanties d’accès à Internet. A supposer que la loi Hadopi bis soit validée en transférant les sanctions du domaine législatif au domaine réglementaire et que ce tour de passe-passe réussisse, devant le juge, n’importe quel avocat chargé de défendre un internaute posera la question préjudicielle de la légalité du règlement français par rapport à la Directive.
Enfin … des artistes qui font des concerts pour les Droits de l’Homme (avec un grand D et un grand H) sont favorables à une loi dont le volet répressif est basé sur une présomption irréfragable de culpabilité ? Bravo pour la cohérence de la pensée !!! Quant au précédent que cette loi fabrique, il pourrait servir à d’autres lois n’est-ce pas ? Bravo aussi pour les parlementaires (théoriquement défenseurs de la Constitution dont le Préambule comprend la Déclaration des Droits de l’Homme dont la présomption d’innocence) et qui votent en faveur de cette loi.