Monsieur le président, madame le Ministre d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons compte deux volets. Le second vise à renforcer la protection des acteurs et des lieux de la vie scolaire. Le respect de l’école est indissociable de la République. Toute mesure qui va en ce sens est donc salutaire.
Le premier volet vise à réprimer les bandes violentes. Il n’est pas sans lien avec le second, puisque les agressions contre les écoles peuvent être le fait de bandes et qu’il y a entre les bandes et les attaques menées contre les institutions et les symboles de la République un lien évident, non pas celui d’une délinquance banale mais plutôt celui d’une déviance culturelle. C’est sur ce second sujet que portera mon intervention.
Les bandes de jeunes ont toujours existé. C’est ce que souligne le sociologue Michel Fize : « Le regroupement est un phénomène caractéristique de l’adolescent, c’est chez lui une tendance naturelle et universelle ».
Les bandes sont diverses. Il peut s’agir de groupements informels, spontanés et liés par une même appartenance géographique. Il peut également s’agir, selon le commissaire Yvars, d’un « groupement volontaire d’individus dans une structure dirigée par un chef, avec des règles, un territoire, un nom, un langage, des épreuves initiatiques, un look, des surnoms, un objectif précis ». Entre le groupe spontané et la bande organisée, toute la palette se déploie. La délinquance peut s’y développer en même temps que les liens avec des trafics locaux. Cela n’est pas nouveau.
Ce qui est nouveau, selon Michel Fize, c’est que « les bandes de banlieue sortent de leur aire géographique » ; c’est également « la multiplicité des petits faits : insultes, menaces, bousculades, qui viennent contrarier l’harmonie des rapports sociaux ». On pourrait ajouter : ce qui est nouveau, c’est l’extrême violence et l’utilisation des armes. Il arrive aujourd’hui qu’on tue pour un regard.
Les causes permanentes de l’existence des bandes sont nombreuses : elles résident d’abord dans les difficultés du passage de l’enfance à l’âge adulte où s’entrechoquent les énergies de la puberté et les angoisses de l’intégration sociale. Les pairs des groupes remplacent les pères de famille dans une autosocialisation qui peut se faire en harmonie avec la société si celle-ci en organise les rites, ou contre elle, si l’exclusion, la frustration économique et le vide culturel se sont développés.
La dérive vers la délinquance violente est donc facilitée de nos jours par la disparition ou l’affaiblissement des institutions qui encadraient ce passage : le service national n’existe plus et la famille, au sein de laquelle le père est toujours plus absent, abandonne son rôle éducatif de plus en plus tôt alors que le statut d’adulte s’acquiert de plus en plus tard – 70 % des membres des bandes proviennent de familles dissociées. L’école ne jouit plus du prestige d’autrefois. L’Église est moins présente et des confessions concurrentes interviennent désormais, laissant entre elles de vastes espaces en friche.
La proposition de loi de Christian Estrosi s’attelle donc à un véritable problème. Elle ne peut y répondre de manière totalement satisfaisante, tant celui-ci est vaste et complexe.
Ce texte – Jean-Paul Garraud et Dominique Raimbourg l’ont remarqué tous deux même si c’est de manière divergente –, pose des difficultés d’ordre juridique. La première tient au fait que la proposition de loi se situe à mi-chemin de la loi anti-casseurs et des textes qui visent les bandes organisées et les associations de malfaiteurs. Or, sans vouloir ressusciter la première, elle cherche, contrairement aux seconds, à répondre à la délinquance créée par des groupes souvent sans structure et sans but.
Seconde difficulté : il n’y a dans notre droit ni responsabilité collective ni délit involontaire. Or, nous avons souvent affaire à des groupes dénués de projets mais qui, par la pression qu’ils exercent sur chacun de leurs membres, sont clairement à l’origine de la violence. Il y a une action collective, mais dénuée de véritable conscience anticipatrice – c’est là que réside la grande difficulté.
M. Jean-Paul Garraud. Tout à fait !
M. Christian Vanneste. Nous nous rejoignons…
On peut aussi s’interroger sur l’efficacité du texte dans la mesure où il ne s’attaque pas à la racine, ce « minuscule de la violence » dont parle Philippe Robert, qui, dans les quartiers, installe la domination d’un groupe sur un territoire d’où il mènera éventuellement des « raids ». J’ai d’ailleurs déposé un amendement concernant le harcèlement social. Il serait bon, à ce sujet, de procéder à un examen minutieux de la mise en œuvre du texte sur les halls d’immeuble.
On peut enfin noter que ce texte est essentiellement répressif, prévoyant des peines de prison et d’amendes inadaptées en raison de la saturation des prisons et de l’impécuniosité du public visé. Il faut réfléchir à des peines plus efficaces et à un système de prévention qui soit à la hauteur du sujet.
Il convient de développer les travaux d’intérêt général, les centres de défense deuxième chance, que l’on doit au ministre de la défense de 2005, c’est-à-dire au même ministre qui est en ce moment devant moi. Ces dispositifs constituent en effet des réponses a posteriori beaucoup plus pertinentes.
Reste la grande question de la prévention qui n’est pas l’objet de la loi, mais qui demeure essentielle. La réduction de ce problème à des données socio-économiques, voire urbanistiques – n’est-ce pas, monsieur Raoult ? –, est évidemment insuffisante. Une société matérialiste peut être riche et puissante et avoir perdu les instruments institutionnels et humains de la socialisation. Telle est la situation de notre société et tel est le problème auquel nous sommes confrontés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
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