Il y a pratiquement un an, le Président Accoyer lançait la formule d’un grand emprunt national. Çà avait beaucoup fait sourire. Le Président Sarkozy a émis plus récemment l’idée d’un grand emprunt, sans qu’on sache très bien comment la chose elle-même serait émise. La proposition est alors apparue excellente : c’est lorsque les lignes sont enfoncées que l’instant est le mieux choisi d’attaquer, comme disait Foch.
L’essentiel réside effectivement dans les lignes, lignes de crédit, bien sûr, ligne de flottaison du budget de l’Etat, (Fluctuat et mergitur), lignes que l’on fait bouger contre tous les conservatismes, (voilà l’ennemi) surtout.
Ces deux dernières m’interpellent. Quelles sont donc ces fameuses lignes qu’il est toujours génial de faire bouger ? Ne cherchez pas : on ne dira plus bientôt que « faire bouger les PIXELS ». L’essentiel réside dans la communication, qu’il faut envahir, jusqu’à la saturer. De ce point de vue, le grand emprunt est un chef d’œuvre : il constitue l’annonce du congrès présidentiel de Versailles, qui lui-même s’exhibait en grande première. Il permet au passage de faire un nouveau coup de distribution pour ne pas dire de Casting : Deux anciens « premiers » (les jeunes premiers, c’est pour le gouvernement) dont le séjour à Matignon s’est plutôt mal terminé, mais qui font sérieux, l’un de gauche, pour l’ouverture, et l’autre, parait-il, de droite, pour l’équilibre. Du grand art !
Les oiseaux de mauvais augure perchés comme ceux d’Hitchcock sur les lignes électriques regardent cela d’un œil sceptique. On distingue vaguement dans leur gazouillis : « Politique de gribouille ». Alors que la France est surendettée (1400 milliards), qu’elle ne parvient pas depuis près de 30 ans à établir un budget équilibré, que la crise mondiale est elle-même due aux bulles générées par un excès de crédit, suivi bien sûr d’un resserrement brutal, qu’on ne parvient à compenser que par des injections elles-mêmes capables de provoquer à terme de nouvelles bulles, notre pays veut s’en sortir en augmentant sa dette. Avec ces deux différences par rapport à nos amis américains : un euro fort au lieu d’un dollar faible, et pas d’«ami» chinois contraint de nous prêter de l’argent pour que nous achetions ses produits. On remarque en passant que ni Rocard, ni Juppé, durant ces trente ans n’ont amélioré la situation. En revanche, il y a 57 ans et 51 ans, un certain PINAY, président-fondateur du CNI lançait les seuls emprunts véritablement réussis.
Reste que génial ou risqué, il y aura l’emprunt, et que se posent les vrais problèmes qu’il est d’ailleurs étrange de ne pas avoir résolus à l’origine. Quelles en seront les modalités : Montant ? Durée ? Taux ? Auprès de qui ? Les Français sont moins endettés que d’autres, si leur État l’est davantage. L’importance des transferts sociaux et du secteur public explique l’un et l’autre et nous assure une protection apparente qui suggère même à certains l’illusion que la social-démocratie a du bon. En fait, elle n’évite les collapsus que pour garantir sans rémission une extinction en douceur.
Les Français sont donc la meilleure cible si l’on veut aller jusqu’au bout de la logique présidentielle, très juste en l’occurrence selon laquelle il faut appuyer la relance par l’investissement et non par la consommation. Subsiste donc la question principale : un emprunt, pour quoi faire ? Et là, encore le Président a raison sur les objectifs.
En 2000, c’est avec le Conseil Européen qui se réunit dans la Capitale portugaise, le lancement de la Stratégie de Lisbonne, qui vise à faire de l’Europe, « l’économie de la connaissance la plus dynamique et la plus compétitive du monde », en privilégiant l’innovation comme moteur de croissance. Un an après, à Göteborg, on tempère le principe avec l’introduction d’une dimension écologique. Ce sera le « développement durable ». Près de 10 ans plus tard, ces incantations amusent. L’Europe, et la France, en particulier sont loin d’être les champions de la Recherche et du Développement. C’est cet échec que Nicolas Sarkozy n’accepte pas, et on ne peut que l’approuver.
Durant l’année parlementaire 2008-2009, j’ai participé au cycle de formation de l’Institut des Hautes Études pour la Science et la Technologie, établissement public basé au Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, et avec une quarantaine de chercheurs, de hauts fonctionnaires, de responsables d’entreprises, de services publics, de collectivités territoriales, de journalistes et d’élus (deux seulement) nous avons durant une douzaine de sessions « planché » sur ce thème de l’Economie de la Connaissance, à travers des séminaires ou des voyages d’études.
Cette expérience me conduit à trois conclusions :
– Il faut comme le souhaite le Président développer nos investissements stratégiques dans l’innovation, à la jonction de la recherche et de l’industrie. Le champ est immense : énergies nouvelles, nouveaux moyens de transports, nanotechnologies, biotechnologies. Il faudra faire des choix ou établir des partenariats.
– Mais le handicap structurel que nous subissons nous permettra-t-il d’utiliser efficacement ces nouveaux moyens ? La réforme territoriale est indispensable pour que nos Régions puissent enfin manifester le dynamisme local que j’ai observé au Pays Basque Espagnol ou en Allemagne. Le développement du partenariat public – privé se révèle indispensable. La synergie développée entre l’enseignement supérieur et l’industrie, dans cette direction par les réseaux allemands, la société Fraunhofer par exemple, n’existe pas dans notre pays.
– Enfin, dans une civilisation qui tend de plus en plus vers une création de richesse immatérielle, ce qui nous manque le plus est du domaine de l’esprit. De retour des Etats-Unis dans une France, une fois encore enlisée dans des grèves universitaires insensées, je me souvenais des discours tenus à Berkeley, à Stanford, à Phoenix. Tous reflétaient la confiance et l’optimisme. Université publique ou privée, pas une qui ne soit soucieuse de son efficacité économique et sociale. Recherche médicale ou environnementale à Phoenix, voiture du Futur à Stanford : discours parfois étonnants aux Etats-Unis, pour un Français, mais qui montrent la faculté de résiliance de ce pays. La visite de la Silicon Valley m’amène aujourd’hui à penser que si le grand emprunt a du sens, c’est pour nous conduire à ce type de réussites.