Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Chers collègues,
Le texte que nous étudions aujourd’hui repose sur 3 contresens.
D’abord, le vote des étrangers n’est pas un progrès. La conception pavlovienne du progrès défendue dans ce texte consiste à prolonger indéfiniment les courbes, à accroître sans cesse les droits. Cette vision du progrès, c’est l’application au droit de ce qu’est l’entropie en physique. On pense qu’en détruisant les distinctions nécessaires à un ordre juste, on fait avancer le droit. En fait, on crée surtout du désordre. On substitue aux communautés de citoyens, de personnes conscientes de l’histoire de leur Nation, préoccupés par un avenir pérenne, et possédant l’usage de la langue ou des langues qui y sont légalement reconnues, on leur substitue une foule d’individus, davantage reliés au pays par l’espace et par l’économie, que par le temps et par la culture. Or, la citoyenneté ne repose pas sur la participation économique à la société civile mais bien, sur l’adhésion consciente et volontaire à la communauté des citoyens, à ses valeurs. Une conception libérale sur le plan économique peut bien souhaiter des individus très mobiles sur un marché mondial. Une conception humaniste exige une séparation nette de la politique et de l’économie. Le citoyen n’est pas un agent économique, c’est un acteur politique, comme le démontre l’abandon du suffrage censitaire. On ne vote pas parce que l’on paie des impôts, mais justement parce que l’on est citoyen. Si la « vieille Europe » voit s’éroder ces distinctions essentielles, l’Amérique au contraire a commencé, à l’époque ou la plupart des américains étaient des immigrés, par accepter le vote des étrangers et l’a ensuite restreint en devenant une Nation. Le dernier État à y avoir renoncé est l’Arkansas en 1926.
Ensuite, ce texte se prétend démocratique : nouveau contresens. La démocratie par définition repose sur l’idée qu’il y a un peuple, un demos, c’est-à-dire une Nation. Il est frappant de constater que les pays qui identifient le moins la nationalité et la citoyenneté sont ceux qui sont les plus éloignés des valeurs issues de la Révolution française. Certes, il y a au Royaume-Uni la possibilité pour les ressortissants du Commonwealth de voter, mais c’est parce qu’il s’agit de sujets de Sa Gracieuse majesté déjà soucieuse de distinguer parmi eux des nations diverses (écossais, irlandais…). En France, c’est le droit du sang qui a coïncidé avec l’avènement de la République, car le droit du sol reposait sur le roi propriétaire du sol. Hériter de sa citoyenneté, comme les nobles pouvaient hériter de leurs privilèges, c’est une conquête de l’égalité, le passage entre la situation passive de celui qui naît quelque part et la participation active de celui qui sera appelé à « entrer dans la carrière quand les aînés n’y seront plus ». A ce droit du sang doit s’ajouter un droit qui dépasse à la fois le droit du sang et le droit du sol et qui est le droit de la volonté. Le citoyen, c’est aussi celui qui veut devenir citoyen, et qui le mérite parce qu’il veut les conséquences de son choix : la maîtrise de la langue, le respect des lois et la participation durable aux efforts de la Communauté nationale.
Enfin, troisième contresens. Le vote des étrangers permettrait leur intégration. C’est évidemment le contraire puisque les étrangers pourraient participer à la vie politique sans être des citoyens. Ils auraient encore moins de raison de le devenir par l’acquisition volontaire de la nationalité française. La distinction entre l’homme et le citoyen est essentielle à la démocratie moderne. La démocratie antique reposait uniquement sur la reconnaissance du droit des citoyens de participer à la vie de la Cité, mais elle méconnaissait les droits de ceux qui vivaient sur le territoire de la Cité. La démocratie moderne repose au contraire sur la distinction entre la protection de tout homme par la Cité, c’est-à-dire l’ensemble des citoyens. C’est la fameuse opposition de Benjamin Constant entre la liberté des anciens et celles des modernes. Comme le disait Jean Rivero, « les droits de l’homme sont des libertés. Ils permettent à chacun de vivre sa vie personnelle comme il l’entend. Les droits du citoyen sont des pouvoirs, ils assurent la participation à la conduite de la Cité. » Or, c’est la force et la cohésion de la communauté des citoyens fidèles aux valeurs qui la fondent, qui permet de garantir la protection des droits sur le territoire de la République. Des mesures, comme celle que nous examinons aujourd’hui, ne peuvent que la diluer et l’affaiblir.
On me dira bien sûr que la proposition actuelle ne concerne que les élections municipales. Il s’agit là d’un faux-semblant destiné à grignoter de façon subreptice les valeurs essentielles de la citoyenneté et de la Nation. Les communes ont au moins trois types de rapports avec la Nation. C’est d’abord, celui de l’analogie. Les communes sont de petites communautés constituées aussi d’histoire plus que d’espace. La petite communauté ne doit pas contredire les valeurs de la grande. En second lieu, les élus municipaux dès lors qu’ils ont une certaine importance pèsent d’un certain poids dans la vie politique nationale. Enfin, chacun sait que les communes participent à l’élection des sénateurs.
Vous avez rappelé que la Constitution de 1793 avait évoqué le vote des étrangers. Cette référence est intéressante dans la mesure où cette année 1793 a condensé les bergeries les plus utopiques avec les massacres les plus sanglants, et qu’elle pensait imposer à l’Europe sa conception universaliste avant que l’Europe, à cause de ses excès, ne rejette la Révolution française et ses idées. Alors, c’est vrai, que l’on peut penser à une citoyenneté du monde. C’est une idée généreuse. Toutefois, il convient de ne pas mettre la charrue avant les boeufs. Le vote des européens lors des élections municipales traduit l’existence d’une citoyenneté européenne dans le cadre de la construction de l’Europe. La mondialisation de l’économie et l’élargissement des marchés, la circulation des hommes et des marchandises, ne créent pas une conscience collective, un sentiment d’appartenir à une communauté de citoyens. Alors qu’il est déjà bien difficile d’établir une telle communauté au niveau de l’Europe, il serait absurde et contre-productif de l’étendre au monde. Aux élus de gauche qui défendent cette conception libérale et mondialiste, je voudrai rappeler les paroles de Jaurès : « la Nation, c’est le seul bien des pauvres »…
Un commentaire
Monsieur le Député,
Vous citez Jean Jaurès, qui n’est pas la propriété privée de la gauche ! Je connais un autre grand Français français qui cite souvent Jean Jaurès: http://www.frontnational.com/?p=4435