Dans Ulysses, James Joyce écrivait : “l’histoire est un cauchemar dont je cherche à m’éveiller.”
Dans les années 90, il était à la mode d’opposer la “fin de l’histoire” selon Fukuyama, c’est-à-dire l’avènement universel de la démocratie libérale au “choc des civilisations” de Samuel Huntington. Il s’agissait, comme c’est toujours le cas en matière de philosophie de l’histoire, de donner un sens au long cours aux évènements qui avaient marqué le passé le plus immédiat. En l’occurrence, l’URSS, épuisée notamment par sa guerre afghane, s’effondrait sous les coups conjoints du rival libéral américain et des djihadistes musulmans. L’optimisme découlait de la victoire des démocraties. Le pessimisme voyait se dresser sur les ruines de l’affrontement des blocs la lutte entre des civilisations humaines rivales et inconciliables. Le réalisme d’aujourd’hui ne peut que faire une synthèse de ces deux perspectives, une synthèse dont on aimerait se réveiller, alors que l’ambiance des fêtes et la désinformation plus ou moins volontaire entretiennent une douce léthargie.
Que le monde s’unifie en même temps que les distances de la communication s’abolissent est une évidence. Les frontières s’effacent devant la circulation d’individus de moins en moins retenus par leur famille ou par leur patrie, et qui les franchissent soit pour le travail qu’ils ont, soit pour chercher celui qu’ils n’ont pas, ou encore pour tirer un légitime profit de celui qu’ils ont eu. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, qui est devenu notre tribu commune, comme disait Sorman, notre Pangloss contemporain : nous parlons tous plus ou moins anglais, jouons aux mêmes jeux, voyons les mêmes films, consommons les mêmes produits, y compris les idées philosophiques ou les croyances religieuses, et nous votons pour le prix Nobel Obama, par procuration. Que la France fasse moins de 1% de ce monde ne nous empêche pas de dormir sur les deux oreilles de la patrie des droits de l’homme dont le modèle est universellement envié. Tous nos chiffres sont au rouge, sauf ceux de la démographie, grâce à une immigration qui donne une nouvelle jeunesse à notre pays. Mais la révolution douce est en marche avec le chemin de Damas socialiste sur la compétitivité et elle ne manquera pas de s’attribuer les mérites éventuels de la reprise américaine.
Si on sort la tête du nuage euphorisant, le décor est moins réjouissant. Sur le plan international, il y a très longtemps que la France ne joue plus les premiers rôles, même si de grands artistes politiques ont réussi à maintenir l’illusion. Le dernier et le plus grand s’appelait De Gaulle. Auparavant, il y avait eu les Bonaparte et leurs désastres finaux, l’aventure coloniale, désormais proscrite de notre mémoire, la victoire épuisante et inutile de 1918. C’est le sort de plusieurs pays européens d’avoir été en tête de la marche du monde, l’Espagne, la France, le Royaume-Uni, et d’avoir connu le déclin, c’est-à-dire la diminution relative de la puissance économique et militaire et la décadence qui est l’abandon des valeurs qui ont fait la force d’une Nation. Il faut être aveugle pour ne pas les voir à l’oeuvre dans notre pays, même si le capital scientifique et technique, notre savoir-faire reconnu dans des domaines comme le luxe, permettent au navire d’avoir encore de l’allure. Après deux belles interventions militaires en Libye et en Côte d’Ivoire, sur les résultats à long terme desquelles, il faut être prudent, la France diminue son effort militaire, se retire d’Afghanistan et laisse le nord du Mali aux mains des fanatiques. La visite de M. Hollande en Algérie était dans le ton. Elle respirait la médiocrité. Le rappel de l’Union Pour la Méditerranée, la grande illusion diplomatique du début du mandat précédent, prend un tour périlleux, voire grotesque dans le contexte actuel, marqué par des situations post-révolutionnaires compliquées et dangereuses, par la guerre civile en cours en Syrie, par les tensions autour d’Israël et enfin par l’effondrement économique du sud de l’Europe..
Huntington a évidemment remporté le match. L’Islam sunnite l’emporte institutionnellement dans le monde arabe et réintroduit une conception du droit qui n’est pas compatible avec le prétendu droit universel que l’Occident a voulu imposer. Néanmoins “l’Occident” soutient ce mouvement. La quasi totalité des limites du monde musulman en Asie, en Afrique, et même en Europe est sous tension. Des Serbes du Kossovo jusqu’aux Philippins, en passant par le Nigéria, le Soudan et la Syrie, où à la veille de Noël, deux villages chrétiens sont menacés, une ligne de feu semble tracée. Le Chiisme persan allié à la résurrection russe et orthodoxe crée un nouveau front dans cet ensemble. Le Japon réarme face à une Chine qui s’aventure à nouveau sur les mers. L’Inde, comme la Chine, l’une des plus anciennes civilisations humaines, est comme elle dotée de l’arme nucléaire. Celle-ci est présente dans trois conflits régionaux potentiels. Dans ce paysage angoissant, la technocratie européenne continue à ouvrir le continent aux hommes et aux produits, à effacer son identité, à réduire indirectement les dépenses militaires d’Etats endettés et contraints à la rigueur. Quant aux politiques élus, ils participent à une valse pour administrer, par alternance, les potions amères, à des peuples à qui on n’ose pas dire que l’avenir est derrière eux. La vraie politique ne peut, cependant, vivre toujours sur le mensonge et l’illusion. Un grand moment de vérité se produira, un jour. Il reste à savoir s’il y aura des hommes à sa mesure.
2 commentaires
@ Monsieur le Député:
” Un grand moment de vérité se produira, un jour. ”
Pendant la campagne présidentielle, le candidat socialiste commenta l’absence de Nicolas Sarkozy à Mayotte en ces termes: “Il n’est pas revenu sur les lieux du crime”. Toujours est-il que c’est l’actuel Député mahorais de la 1ère circonscription qui fut, en octobre 2011, l’un des leaders des manifestations…
Toutes les civilisations s’écroulent un jour pour laisser la place à d’autres. L’occident a un bel avenir….derrière lui. Maintenant, je me demande s’il est préférable de le savoir et de s’en rendre malade, ou bien de l’ignorer et de continuer à faire comme si de rien n’était.