Difficile de garder des idées simples sur le Moyen-Orient, aujourd’hui. Les démocraties ont soutenu le printemps arabe, quelquefois tardivement pour ceux de leurs gouvernants qui aimaient passer leurs vacances sous les ombrages protecteurs des dictatures et des monarchies, de l’Atlantique au Golfe, ou qui avaient accueilli leurs despotes respectifs, mais pas très respectables dans notre belle capitale, mais elles l’ont fait, parfois militairement. Le printemps fringant a laissé la place à un hiver islamiste qui a pris au dépourvu nos dirigeants. Les très démocratiques monarchies du Golfe sont tellement généreuses qu’on a préféré regarder ailleurs lorsque le printemps-chiite, quelle horreur- de Bahrein a été écrasé, et qu’un peu partout les Frères Musulmans se sont installés avec le soutien du courtisé Qatar et la sympathie non dissimulée de la Turquie, que certains songeaient à faire entrer dans l’Union Européenne jusqu’à la frontière syrienne… Installation par l’élection, ou dans la confusion et le terrorisme comme en Libye. C’est bien de faire des guerres “justes” et sans mort français, mais c’est quand même mieux d’assurer l’après-guerre… Bref, nos intérêts immédiats, enfin ceux de nos dirigeants, leur commandaient de voir la naissance d’une sorte de démocratie musulmane comme on dit la démocratie chrétienne. Alors, lorsque la révolution sunnite anti-Assad s’est déclenchée en Syrie, certains dont Cameron et Hollande, toujours prêts à effectuer le boulot dont Obama ne veut pas se charger en direct, sont allés jusqu’à avancer l’idée d’armer les rebelles. Malheureusement, les opposants les plus déterminés au régime baasiste sont des islamistes rigoureux qui pourront toujours récupérer les armes par la force ou par l’argent. Marche arrière donc. Et pendant ce temps les démocrates-musulmans arrivés au pouvoir par les urnes voient naître une opposition qui leur reproche d’avoir déçu les attentes du printemps, d’avoir détérioré une situation économique déjà pas très brillante, de faire planer, en outre, sur le Droit l’ombre de la Charia, et d’un gigantesque recul de la condition féminine, notamment en Tunisie, et, enfin, de laisser monter la discrimination et la violence à l’encontre de la minorité chrétienne en Egypte. Une protestation monstre se produit au Caire, sur laquelle s’appuie l’armée pour faire un coup d’Etat, qui bénéficie à l’évidence d’un soutien considérable de la population.
Panique à bord de la flotte occidentale ! C’est un coup d’Etat, mais surtout ne jamais employer ce terme, car il obligerait à suspendre la perfusion de milliards de Dollars et d’Euros qui protège l’Egypte du chaos. On demande donc au pouvoir militaire de ne pas abuser. Le maintien de l’ordre fait 700 morts ! On hausse le ton, on suspend toute collaboration militaire. Même l’inutile et coûteuse Ashton y va de sa petite remontrance. Mais, ça se complique : les premiers à avoir tiré sont sans doute les partisans du Président renversé, Morsi ; une partie importante du peuple égyptien veut le retour au calme avec le Général Al-Sissi ; les Emirats et l’Arabie Saoudite soutiennent le pouvoir actuel ; enfin, le régime des Frères Musulmans a accentué les menaces sur la minorité chrétienne, dont plusieurs dizaines de membres ont été assassinés depuis l’arrivée des islamistes au pouvoir. En réaction à la répression militaire, une trentaine d’églises sont brûlées, des habitations et des magasins saccagés. Dans certaines villes, ou dans des quartiers les Chrétiens se terrent. Ils se souviennent de ce meurtre commis à la sortie de la Cathédrale copte St Marc au Caire, à la sortie des funérailles de quatre victimes précédentes. Ils se rappellent l’attentat d’Alexandrie et ses 24 morts. Alors, certains européens commencent à réagir, et notamment les Allemands : Angela Merkel avait affirmé que les Chrétiens étaient les plus persécutés dans le monde ; le Président du groupe CDU-CSU au Bundestag, Volker Kauder avait osé : ” les Chrétiens en terre musulmane doivent pouvoir profiter de la même reconnaissance et d’une pareille liberté que découvrent les Musulmans d’Allemagne” ; enfin, Guido Westerwelle, le Ministre des Affaires Etrangères a soulevé la question des menaces qui pèsent actuellement sur les Coptes d’Egypte.
Les salafistes parlent souvent des “croisés” pour désigner les Chrétiens. C’est évidemment une manipulation historique et un mensonge. Le Moyen-Orient est le berceau du Christianisme et les villes de Constantinople, aujourd’hui Istamboul, d’Antioche ou d’Alexandrie ont été des centres de diffusion et d’approfondissement de la foi chrétienne, avant Rome et l’Europe Occidentale. Bref, quand Mahomet reçoit le Coran et que ses successeurs conquièrent cette région du monde, elle est chrétienne et byzantine. La plus grande complexité théologique, les conflits entre l’Eglise orthodoxe, et l’Empire dont elle se distinguait peu, d’une part et les hérésies, d’autre part, ont affaibli sa capacité de résistance. La défaite militaire de Byzance, épuisée par sa longue guerre avec la Perse zoroastrienne, et la très persuasive dhimmitude qui oblige les non-musulmans “du Livre”, les Chrétiens et les Juifs, à s’acquitter d’impôts spécifiques, tout en ne jouissant pas de tous les droits reconnus aux Musulmans, notamment en matière de liberté religieuse, ont fait le reste. Or, malgré cette oppression et cette discrimination qui ont duré entre treize et quatorze siècles, une partie de la population est demeurée chrétienne, avec la richesse de sa diversité, ses seize millions de fidèles, sa douzaine d’Eglises différentes séparées par les conciles et l’histoire, mais unies aujourd’hui dans la même menace. Les Coptes, c’est à dire les Egyptiens, puisque c’est le sens du mot, sont les plus nombreux, 10% de la population. Les Syriens sont les plus exposés, par la guerre. La situation syrienne menace le Liban, le seul pays de la région, où les Chrétiens jouent un rôle politique important, puisque le Président est nécessairement maronite. Enfin, les Chrétiens ont massivement fui l’Irak. Telle est la situation tragique de cette région du monde où est née la religion qui a tant marqué notre civilisation. Le silence de la France, qui a si longtemps été la protectrice et la référence des Chrétiens d’Orient, est assourdissant. Ses incertitudes et ses revirements témoignent, hélas, de la place que ses dirigeants lui donnent dans le concert des nations. La liberté religieuse et la protection des minorités sont, comme le vote populaire, des piliers de la démocratie. La guerre et l’écrasement de la minorité chrétienne sont à l’opposé : le gouvernement français devrait en prendre conscience.