La “droite” au sens large a gagné 155 villes de plus de 9000 habitants, mais elle n’a pas gagné. C’est la gauche qui a perdu dans un jeu qui à force de se répéter devient grotesque. Il n’y a pas eu de vague bleue, mais un reflux rose perceptible dans le niveau de participation. Cela devient habituel. Une seule élection intéresse encore une très large majorité des Français : la présidentielle. Les législatives sont une transformation de l’essai entre les poteaux. Beaucoup d’électeurs sont déjà partis. Les élections intermédiaires sont ensuite l’occasion d’exprimer un jugement sur le pouvoir national en place. La finalité des élections et la qualité des candidats s’estompent. En proportion de sa déception, le camp du parti au pouvoir ne se mobilise pas et laisse la victoire à l’adversaire. La gestion des collectivités territoriales est secondaire. M. Balkany, cette tête de proue de la morale politique, a été réélu à la tête d’une des villes les plus endettées de France. Cette règle générale suppose quelques exceptions qui disparaissent lorsque l’on est dans l’entre-deux des villes de banlieue où le Maire n’est pas connu de tous les habitants et ne jouit pas non plus de l’aura médiatique des élus des très grandes villes.
La défaite de la gauche marquée par un taux d’abstention record de 38% largement dépassé dans les communes de banlieue urbaine présente plusieurs visages. Symboliquement, elle perd des villes de province importantes parfois ancrées à gauche depuis tellement longtemps qu’elles semblaient imprenables, comme Limoges, par exemple. D’autres grandes villes font leur retour à droite après un séjour à gauche plus ou moins long, court pour Reims, long pour Angers. La “reconquête” de Toulouse est un événement dans un département enraciné à gauche. Sociologiquement, on mesure la fissure qui s’est accentuée entre les électorats du parti socialiste. Celui-ci conserve des villes bourgeoises comme Paris et Lyon. Le chômage faible, la proportion importante des diplômés et des emplois publics, le phénomène “bobo”, le vote communautaire, l’hostilité au “populisme” expliquent ce vote paradoxal. Il n’est pas sûr qu’à Paris, les électeurs qui ont fait gagner la gauche dans le XXe arrondissement aient les mêmes motivations que ceux du IVe. En revanche, le vote ouvrier désespéré par l’inefficacité du gouvernement dans sa lutte contre le chômage et pour la défense de l’industrie a sanctionné le parti socialiste à Saint-Etienne ou dans le Nord, à Maubeuge, Roubaix ou Tourcoing. Au premier tour, il avait mis en tête dans plusieurs villes le Front National. Au second tour, celui-ci n’a pas vraiment franchi le double obstacle du vote utile et de la diabolisation. Robert Ménard est élu à Béziers, mais il n’a pas d’étiquette. Florian Philippot est battu à Forbach comme Lottiaux en Avignon parce que leur étiquette a été rejetée.
Contrairement à ce que dit Eric Zemmour, le bipartisme demeure et la droite “bonapartiste” ne se retrouve pas à l’aise au FN contre les “orléanistes” de l’UMP. Cette lecture est à la fois trop simple et trop classiquement universitaire. La passion idéologique pour la politique a disparu. On ne lit plus son journal d’opinion, on se contente souvent de la télé, des images et des phrases courtes qu’on préfère aux lectures trop longues. On vote par réflexe plus que par réflexion. La politique devient un marché. On choisit la marque connue qui correspond à la couleur que l’on aime soit pour toujours soit à cet instant lorsqu’on a pris l’habitude de zapper. On vote comme on parie en évaluant les chances de victoire. On va choisir son camp sans trop savoir si le candidat qui le représente nourrit vraiment les idées qu’on aime, ni s’il en nourrit d’ailleurs. Comment un “catho” conservateur peut-il voter à Paris pour NKM ? Peut-être tout simplement pour faire battre Mme Hidalgo. Il est à craindre que la chance du FN de devenir le troisième larron et de remplacer un jour celui qu’on situe à droite par une morne habitude ne soit passée. Les élections n’ont pas été un désaveu pour l’UMP et elles ont encore marqué un rejet du FN, notamment à travers les défaites de listes qui avaient fait alliance avec lui au second tour. L’échec absolu de la gauche au pouvoir a fait oublier les années d’immobilisme de la “droite”. L’union de façade retrouvée, et l’affichage du ni-ni ont rassuré les électeurs. L’Europe semble aller un peu mieux. La dénonciation de l’UMPS et la critique de l’Euro portent moins. Le balancier peut se remettre en marche, un coup à gauche, un coup à droite et la France continuera à descendre. Faute de constituer une alternative suffisamment large, appuyée sur le courage politique et la compétence technique plus que sur une sorte de néo-socialisme, la constitution d’une véritable alternative de droite restera en panne, et la France avec elle.