Mardi dernier, une Tourquennoise de 29 ans a été agressée dans le métro de Lille. Habitant Tourcoing moi-même et utilisant ce moyen de transport particulièrement efficace, j’ai évidemment été très sensible à cette agression. L’insécurité n’y est pas habituelle. J’avais, dès la création de ce moyen de transport entièrement automatisé, insisté sur la nécessité de le doter d’un réseau de vidéoprotection performant. Celui-ci existe. Un personnel de surveillance et d’assistance y est régulièrement visible. Le problème posé par l’épreuve qu’a subie cette jeune mère de famille n’est donc pas vraiment celui de la sécurité. L’agresseur, un marocain alcoolisé, ne témoigne pas non plus de la délinquance endémique de certains quartiers. Il a été condamné à 18 mois de prison et à deux ans d’interdiction du territoire. On peut juger la seconde peine trop légère, mais on ne critiquera pas une justice qui a été ferme et rapide, en espérant, bien sûr, que les sanctions soient appliquées… L’aspect de ce fait divers odieux qui a retenu l’attention au niveau national réside dans l’attitude des individus qui se trouvaient sur le quai puis dans le métro. Non seulement, ils n’ont apporté aucune aide à la personne qui était attaquée, mais ils sont restés distants, indifférents et n’ont pas utilisé les moyens à leur disposition et sans danger pour eux, comme les bornes d’appel, ou éventuellement leurs téléphones portables, afin d’appeler au secours. La victime a été traumatisée par la violence verbale et physique de son agresseur, mais aussi par l’abandon qu’elle a subi de la part des autres voyageurs. Le procureur de la République de Lille va donner les suites judiciaires qui s’imposent. La vidéoprotection va permettre d’identifier ceux qui auraient pu prêter assistance et ne l’ont pas fait. La non-assistance à personne en danger est un délit. Il était bon de le rappeler.
Mais, cet incident qui est devenu un événement médiatique amène des questions plus essentielles. La principale se situe au coeur du lien social : c’est celle du rapport qu’entretient concrètement un individu avec les autres, non pas les autres qu’il connaît, mais les autres qu’il côtoie seulement. Ce qui caractérise nos sociétés urbaines actuelles, c’est le phénomène que David Riesman avait appelé “La Foule Solitaire”. La tribu ou le village où tout le monde se connaît est une société organisée. La tradition y détermine les comportements. Dans une société plus développée, où l’éducation, la lecture notamment, s’est répandue, des normes assez rigides souvent de nature religieuse, mais aussi civiques fixent les attitudes. Des personnes qui ne se connaissent pas, vont donc réagir d’une manière identique par une solidarité quasi mécanique, si elles sont en groupe. A l’age de la foule solitaire, celui de la passivité télévisuelle, et du repli individuel sur le net, celui du brassage des populations, les choses sont très différentes. L’individu ne sait pas qui est à côté de lui, ignore comment il va réagir, et a tellement été matraqué par des images de violence, ses valeurs ont été à ce point dissoutes par le relativisme dominant qu’il ne va pas esquisser le moindre geste, qu’il va se replier dans sa bulle, sans même prendre conscience que ce comportement s’appelle la lâcheté, sans même se rendre compte que ce déni de la situation à laquelle il est confronté l’a inhibé au point de ne pas lui permettre de faire le minimum : appeler au secours !
Si on se rapporte cette fois à Konrad Lorenz, on mesure le paradoxe extraordinaire de notre époque. Parce que notre société a progressé extraordinairement sur le plan technique, qu’on s’y informe de la manière la plus diverse, qu’on s’y déplace très facilement, les liens sociaux s’y sont distendus souvent avec l’illusion de la liberté, mais avec aussi la réalité de la solitude. La progression de la technique s’est accompagnée d’une régression sociale, d’un recul du lien social. Le comportement des passagers du métro de Lille a été celui d’une bande anonyme, le niveau le plus faible du lien entre des animaux d’un même groupe, incapables de se défendre de manière active contre un prédateur. Les Choucas font mieux ! Il y a plusieurs manières de lutter contre cette évolution néfaste. Soit on accepte l’individualisme et ses conséquences. Pourquoi une majorité des Américains est encore favorable à la liberté de détenir une arme ? Parce que c’est le moyen de se défendre personnellement sans attendre le secours du voisin ou l’intervention de la police. La France, en limitant le recours à la légitime défense et en légitimant les poursuites contre un commerçant qui a abattu son agresseur, par exemple, a choisi comme d’habitude le dessaisissement de la protection de chacun au profit de l’Etat tout-puissant, de sa police et de sa justice, dont l’efficacité reste chaque jour un peu plus à démontrer. Le nombre des attaques subies par des boutiques de luxe à deux pas du Ministère de la Justice éveille plus que des doutes à ce sujet. Il existe une troisième solution, qui allie le civisme et l’autonomie. Punir l’incivisme sans la moindre tolérance, récompenser les gestes de secours à autrui, la participation active des citoyens à la sécurité collective, les informer sans cesse sur les moyens à leur disposition, leur enseigner les comportements adaptés aux situations rencontrées : cet ensemble constituerait une politique capable de restaurer un esprit de groupe tout en préservant l’autonomie des personnes. En quittant le domaine de la délinquance, la France est, paraît-il le pays où la victime d’un infarctus dans l’espace public court les plus grands risques, faute d’un enseignement systématique des gestes qui sauvent, tel qu’il existe dans de nombreux pays, mais pas chez nous, où tant de choses inutiles voire nuisibles sont pourtant enseignées dans les écoles…
5 commentaires
J’ai été amené plusieurs fois à intervenir pour la défense et la protection de nos concitoyens…avec à chaque fois,cette angoisse d’avoir par la suite à me rendre moi-même à l’hôpital ou à rendre moi-même des comptes à la Justice. J’en suis maintenant sur le point de réfléchir à deux fois face à une autre éventuelle situation.
D’un coté,on vous dit ” interdiction de faire justice vous-même” mais de l’autre”obligation d’intervenir”….
Cherchez l’erreur !
L’assistance à personne en danger ne commence-t-elle pas par nous-même, quand on a il est vrai de nos jours, toutes les chances de se retrouver seul.
Le marocain voulait exprimer sa sympathie profonde à une “soeur” !
Il eût été indécent de s’interposer…
Il semble que, après audition de la plaignante, ce soit un avis assez unanime !
C’est le mien…
A notre époque d’inversion des valeurs, il est normal que ceux qui en sont les responsables, directs ou indirects, en subissent les conséquences !
Le glissement du débat sur la capacité de se défendre soi-même, à l’américaine, le rappel des effets boomerangs du système sur les initiatives mal éclairées, ces femmes qui sont maintenant possiblement agressées parce que ce sont toutes de putes, ce glissement est salutaire ; quant à ce qu’il pourra donner une fois que le mainstream va s’en emparer ; le traité transaltlantique s’attaquera-t-il à cette norme-ci ? Il y a probablement un marché à saisir…
Plus prosaïquement, s’il faut tout un tas de matériel de sécurité pour embarquer en voiture, en avion, en bateau, pourquoi pas posséder une bombe lacrymogène quand on se promène dans l’espace public mal éclairé, au moins çà mesdemoiselles.
L’indifférence des témoins est terrible. Ceci dit, si j’avais été présent, j’ignore si j’aurais eu le courage de m’interposer. Votre article a le mérite de nous faire réfléchir et de nous préparer à cette éventualité.
Que voulez-vous, ils vivent dans un monde qui valorise l’aigrefin, le plus futé ou le plus méchant, qui raille le geste altruiste ou lui suppose des motivations égoïstes et trouve toutes les rationalisations possibles à la couardise et à la bassesse. Tout les ramène à eux-mêmes, à leur petit confort, à leur “bien-être” qui dépend d’une marque de yaourts ou de téléphones portables, à une médiocrité assumée et à un horizon limité à leur séries télé.
Et on voudrait que ça n’ait pas de répercussions sociales ? Mais enfin, ils sont castrés ! D’autant plus que le statut du délinquant, qui lui, est un “gagnant” non contraint par la “morale judéo-chrétienne” (qu’ils confondent avec la simple humanité) leur fait sourdement envie. Ils voudraient bien, eux aussi, une parcelle de cette puissance qu’en tant qu’eunuques qui s’ignorent, ils jalousent inconsciemment.
Et dire qu’il suffirait que la justice désigne clairement les méchants (au gnouf, la racaille !) pour qu’instantanément, ils retrouvent leurs repères d’humains….