Depuis la seconde année du septennat de Giscard, la France n’a plus connu un seul budget en équilibre ni excédentaire. Depuis celui de Mitterrand, elle a inventé ce chiffre des 3% du PIB comme borne à ne pas franchir. Ce chiffre-tabou est aujourd’hui un totem européen. Certes, il n’a pas grande signification. Sa relativité par rapport à l’évolution du PIB, son caractère de plancher ou de plafond, sa permanence ou sa rareté sont davantage à prendre en considération que sa valeur intrinsèque. Toutefois, on aurait tort de s’en moquer comme on le fait chez nous sous de fallacieux prétextes de relance tantôt pour ne pas affaiblir la consommation, tantôt pour renforcer l’investissement.
La vérité, c’est qu’aucune politique cohérente dans son lancement comme dans sa mise en oeuvre n’a ressemblé à une stratégie digne de ce nom. Pourtant, si la France a affronté comme les autres les chocs pétroliers ou les crises économiques ou financières, elle n’a pas dû surmonter un choc aussi brutal que celui de la réunification réussie par l’Allemagne. Soit les politiques à contre-courant de la gauche se sont brisées sur les réalités, soit celles de la droite, brouillonnes, en demi-teinte, contradictoires parfois, se sont achevées dans des défaites politiques dont la plus grotesque demeurera celle issue de la dissolution stupide de 1997. Juppé serrait les boulons au rebours de ce qu’avait promis le Président Chirac, pour se faire élire. Nos brillants experts avaient annoncé une crise ravageuse. Elle n’a pas eu lieu, bien au contraire… Mais la gauche est revenue grâce à un Gribouille qui s’est jeté dans le puits de la dissolution pour éviter la douche d’une élection perdue en pleine crise. La France avait une fois encore raté le train des réformes. La gauche a pu redéployer sa générosité ruineuse pour l’argent des autres. La droite a ensuite été rappelée lorsque les dégâts ont été constatés. Mais, paniquée par les manifestations depuis Malik Oussékine et frileuse devant les conséquences électorales des réformes, son bilan est plus que maigre, comptable dans le meilleur des cas, jamais structurel. On aimerait pouvoir citer un seul exemple d’une grande décision courageuse durant cette longue période de déclin, une décision comme le choix de l’énergie nucléaire par Pompidou face à la montée des prix du pétrole. On retient, en revanche, assez facilement les chocs provoqués par l’arrivée de la gauche : embauche massive de fonctionnaires, nationalisations, diminution du temps de travail, allocations en tous genres, matraquage fiscal décourageant sans compter les coups portés à la cohésion sociale par une remise en cause idéologique des piliers de notre société, comme la Famille.
Une nouvelle société est née de ces “quarante piteuses”, une société individualiste, éclatée dans la mosaïque des communautés, minée par la montée de la précarité, écartelée entre ceux qui, Français ou non vivent de l’assistance, ceux dont le statut garantit l’emploi et les autres qui subissent un sous-emploi et ont le sentiment d’être surexploités. Une telle évolution est opposée à celle qui fonde une véritable démocratie, caractérisée par un grand groupe central de travailleurs, d’entrepreneurs du secteur privé, de propriétaires, et de serviteurs des vrais services publics, attachés à une société qui sait récompenser l’effort et l’initiative, et ne redistribue qu’une part non-dissuasive de leurs résultats à ceux qui ont échoué ou leur sont demeurés étrangers.
La stratégie qui a fait défaut à notre pays depuis les années 80, à l’exception de quelques mois en 1986, a été celle d’un redressement fondé sur le courage. Celle-ci pour bénéficier de la confiance aurait pu appuyer les décisions les plus difficiles sur la pratique régulière des référendums destinés à mettre le Peuple en face de ses responsabilités et non à l’interroger sur son soutien au pouvoir. De tels votes ont eu des résultats surprenants en Italie ! La règle d’or, c’est-à-dire l’engagement de n’accepter le déficit budgétaire, sauf exception, que pour l’investissement, le transfert des charges sociales non liées au travail sur la consommation et sur l’impôt pour l’ensemble des rémunérations afin d’alléger le coût de la production, l’augmentation de la durée du travail, afin d’accroître notre compétitivité, la diminution des impôts liés à l’activité, aux revenus et à la propriété afin de rendre le pays plus attractif : telles auraient dû être les lignes suivies. Des réformes comme la TVA sociale ou la retraite par points à la suédoise, la suppression de l’ISF, ces réformes que la droite aurait dû avoir le courage d’accomplir dès son retour, auraient permis à notre pays qui jouit d’un atout touristique exceptionnel et d’une spécialisation certaine dans le domaine du luxe, d’assumer sa véritable identité pour le profit de ses habitants. Au lieu de cela, à nos frontières se croisent les jeunes talents qui veulent respirer davantage ailleurs, les fortunes nationales qui fuient une fiscalité confiscatoire et tous ceux qui sont attirés par la générosité d’une assistance sans frein. La fiscalité qui pèse sur les entreprises, les charges qui alourdissent le coût du travail, les seuils administratifs qui entravent le développement des activités, ont touché particulièrement notre industrie, la seule en Europe à ne pas profiter de la timide reprise actuelle. Nos petites entreprises, les fameuses gazelles, oubliées depuis que le Ministre qui avait lancé l’idée, a quitté la politique, n’ont pas suffisamment grandi. Des groupes importants quittent le giron national. Péchiney était un fleuron de ce type. Quand on voit le rôle que l’aluminium est appelé à jouer dans les transports, on ne peut qu’être inquiet de l’avenir d’un centre de recherche comme celui de Voreppe dont la France a perdu la maîtrise. Peu importe que nos groupes les plus puissants soient plus actifs à l’étranger qu’à domicile. L’essentiel est que la maîtrise du capital, les produits à la plus forte valeur ajoutée et les centres de recherche demeurent essentiellement sur le territoire. Une politique d’investissement sélectif et d’utilisation intelligente des marchés publics peut y contribuer. A ce niveau, on quitte la stratégie pour la tactique. Le lien entre l’une et l’autre peut être noué par des mesures efficaces dont nous sommes heureusement déjà capables, comme le Crédit Impôt Recherche.
L’Etat stratège est une idée gaulliste et non une marotte socialiste. C’est pourquoi, il est nécessaire pour la mettre en oeuvre d’avoir d’abord une idée claire de la France qui ne doit pas s’isoler mais tenter d’être la meilleure dans ce qu’elle entreprend. L’Etat pour un gaulliste comme Peyrefitte, un libéral comme Aron ou un démocrate-chrétien comme Maritain ne peut ni ne doit tout. Il demeure cette partie de la société spécialisée dans le Bien Commun. Sa stratégie doit fournir un cadre le plus constant possible, une fois LES réformes accomplies, donner des impulsions lorsque la situation l’impose, intervenir directement par exception et d’une façon cohérente. Manifestement, nous sommes aux antipodes de ce modèle. Le patriotisme économique ne se juge pas au nombre ni à la vigueur des discours, mais à la vision de l’avenir du pays et aux résultats obtenus.