Lors de son récent pèlerinage en Terre Sainte, le Pape François avait multiplié les gestes symboliques. Son déplacement avait un but riche de signification : célébrer le cinquantième anniversaire de la rencontre à Jérusalem de Paul VI et du Patriarche orthodoxe de Constantinople. En priant avec le Patriarche Bartholomée, le Pape montrait sa volonté de consolider l’unité des Chrétiens. Il l’a fait alors que ceux-ci, Catholiques et Orthodoxes, Coptes d’Egypte, Melkites de Syrie, Maronites du Liban, Chaldéens et Assyriens d’Irak, Arméniens, Syriaques présents autour du berceau du christianisme bien avant l’arrivée de l’Islam sont angoissés pour leur avenir, et pour beaucoup, quittent une terre qui est la leur pour ne pas subir les massacres ou les attentats commis par les fanatiques musulmans. Comme ses prédécesseurs, il a déposé un message au Mur des Lamentations, ce haut lieu de la dévotion juive. C’était là une manière de reconnaître la filiation des deux Testaments. Mais il s’était aussi arrêté devant un autre mur, celui qui sépare les Israéliens des Palestiniens. Il est allé sur l’esplanade des mosquées, mais aussi au cimetière national pour fleurir la tombe de Théodor Herzl, le fondateur du sionisme. Il s’est recueilli à Yad Vashem et au mémorial des victimes des attentats de Jérusalem. Messager de paix, il a conclu cette mission en invitant Mahmoud Abbas et Shimon Péres, les Présidents de l’Autorité Palestinienne et de l’Etat Hébreu à venir au Vatican prier avec lui pour la paix. Le Patriarche de Constantinople se joindra à eux. Cette visite a lieu en ce jour de la Pentecôte.
Avec sa modestie et sa simplicité désormais bien connues, le Saint-Père a l’art de faire des gestes forts, lourds de sens. Bien sûr, comme il le dit, il ne s’agit pas de politique mais d’une réunion de prière entre trois hommes qui représentent chacun une des religions du Livre, mais certains messages symboliques, spirituels, ont une puissance capable de faire tomber les murs. “Combien de divisions, le Pape ?” avait dit Staline. Jean-Paul II a appris aux successeurs du dictateur communiste que la foi pouvait résister au point de participer à l’effondrement d’une tyrannie apparemment solidement installée.
Le jour est évidemment bien choisi. C’est le jour où l’Esprit Saint est descendu sur les Apôtres pour qu’ils puissent prêcher la bonne parole dans toutes les langues. Dans la conscience collective, bien au-delà des images de la Genèse ou de Saint-Marc, le symbole de l’Esprit Saint est la colombe, qui est aussi le symbole de la paix. On peut difficilement concentrer davantage les significations. Le Pape est un Chef d’Etat, mais il ne peut-être, en tant que porteur de la foi chrétienne, qu’un Chef de paix et non un chef de guerre. Il s’efforce donc de dénoncer tout ce qui sépare, humilie, martyrise, porte atteinte à la dignité humaine et de saluer la mémoire et les souffrances des victimes passées et présentes. Alors que les morts se comptent par dizaines, chaque jour en Irak, par centaines en Syrie, que la fin de la violence entre Israéliens et Palestiniens semble inaccessible, le Pape François réunit deux hommes qui peuvent aussi être porteurs de paix. Ils vont planter un olivier. Là encore le geste est riche de signification : c’est un rameau d’olivier que la colombe serre dans son bec, un rameau de cet arbre de la méditerranée, de cette source de vie qu’ont en commun ceux qui se font la guerre.
Le 6 Juin, l’anniversaire du débarquement de Normandie a été l’occasion de rapprochements en vue de la paix. Peut-on raisonnablement y croire ? Quelles que soient la sympathie et la reconnaissance envers les Etats-Unis, on ne peut que prendre ses distances à l’égard d’un pays qui contribue au désordre du monde, à l’égard d’un Président dont le Prix Nobel est une imposture. L’objectif était de faire basculer le monde arabe et au-delà le monde musulman dans le camp de la démocratie. Avec Bush, ce fut l’Afghanistan et l’Irak. Avec Obama, le fameux et fumeux Printemps Arabe. Les “Occidentaux” ont pour alliés les monarchies du golfe dont les institutions ne sont ni démocratiques, ni respectueuses des Droits de l’Homme. Riches de leur sous-sol, bienvenues au nom de l’intérêt économique, elles sont capables de tout acheter, hôtels de luxe, clubs de football, coupe du monde, chute d’un dictateur ou réinstallation d’un régime militaire. La politique américaine est donc celle d’un réalisme cynique habilement caché sous l’humanisme et les sourires d’un Président sympathique. Que ce soit pour des raisons liées aux ressources énergétiques ou tout simplement pour en finir avec la puissance russe, les Etats-Unis affaiblissent la paix plus qu’ils ne la consolident. Le rattachement légitime de la Crimée à la Russie et l’instauration d’un régime fédéral en Ukraine seraient aujourd’hui plus utiles à la paix que les sanctions à l’encontre de Moscou ou les pressions inconvenantes sur la vente de navires français à la flotte russe.
Les Etats-Unis n’ont guère favorisé la Paix au Moyen-Orient. Les désordres dans les pays arabes permettent simplement à Israël de se consolider sur le plan territorial et démographique tandis que ses activités de pointe sont une exception non seulement dans cette partie du monde, mais une prouesse mondiale. Le Foyer National Juif a été une réponse légitime à l’antisémitisme européen, mais pour les Arabes qui ont abandonné leurs oliviers, c’est devenu une tragédie exploitée par les extrémistes nationalistes ou islamistes. Israël est reconnu comme Etat sur un territoire qui n’était pas tout-à-fait celui des Juifs. La Palestine actuelle, la Judée-Samarie, est au contraire le berceau historique des Hébreux. On mesure par là l’extraordinaire difficulté du problème et la conversion fondamentale que sa solution exigerait des hommes politiques. Il faudrait un souffle de l’Esprit. C’est, je crois, ce que le Pape François tente aujourd’hui de susciter.
4 commentaires
L’expression “religion du Livre” est une expression d’origine islamique, sous-entendant que, si les trois religions, juive, chrétienne et islamique, ont des racines communes, c’est tout naturellement la dernière en date, l’islam, qui accomplit les deux autres.
Je suis très inquiet de voir à quel point les mots, et donc les notions, islamiques imprègnent petit à petit notre vocabulaire. Ainsi, on trouve de plus en plus dans nos journaux le “Prophète” au lieu de “Mahomet”, “faire la prière” au lieu de “prier” et tant d’autres exemples.
Le manque de sensibilité des chrétiens à ces empiètements traduit un égarement doctrinal préoccupant, surtout lorsqu’il vient du plus haut de l’Eglise.
A la Vérité, l’islam et le christianisme n’ont qu’une chose en commun : être irréductibles ennemis l’un de l’autre.
J’ai effectivement hésité à ajouter “comme disent les Musulmans”, mais l’expression en fait ne donne aucun avantage à l’Islam. Elle indique seulement que les trois religions se réfèrent à la Bible ( Le Livre ). Quant au message délivré par ces trois religions, il est très différent sinon opposé entre elles. Il y a une distance infinie entre le Christ et un chef de guerre, mais le rappeler n’est pas l’intention du Saint-Père.
Je lis toujours avec plaisir et grand profit les textes de Mr Christian Vaneste. Merci pour ce que vous êtes et ce que vous dites. Je rebondis sur les propos du commentateur, Mr Frank Boizard. Il a raison de souligner la confusion induite par l’expression “religion du livre” qui m’a fait tiquer à la lecture du billet de Mr Vaneste. Cependant, Mr Boizard saisit mal les relations entre l’Islam et le christianisme. Car l’Islam est le produit d’une dérive du christianisme, à partir d’un mouvement dont nous voyons les prodromes dans les évangiles, avec les zélotes. Je l’invite à lire l’excellente étude du Père Edouard Marie Gallez sur la question, par exemple son livre “le malentendu islamo chrétien”. Jean.
Je ne me sens pas suffisamment intelligent, de bonne logique ou même bien informé pour rivaliser avec les commentaires précédents. Cependant je me permets de penser et d’écrire que la haine n’a pas à se trouver d’excuse ou de justification quand elle a pour fondement des principes religieux qui se veulent universels mais qui par définition repoussent ce qui va à leur encontre et du lien qu’elles prétendent tisser d’abord entre les hommes de la communauté singulière dont elles sont issues. Le rejet de l’autre va simplement son train. Celui de la guerre. Imaginer que l’Esprit-Saint descendu sur les seuls apôtres chrétiens puisse trouver bon accueil auprès d’adeptes de confessions concurrentes et se propager sur des terres si convoitées, si disputées me paraît illusoire. C’est sans doute de l’interprétation mais je considère aussi un peu que ce genre d’œcuménisme élargi aux religions non chrétiennes relève de l’activisme spectaculaire et hyper médiatique auquel François semble être très attaché peut-être dans le but de se distinguer de son plutôt impopulaire et incompris prédécesseur. Dieu seul lit dans les cœurs, guide les esprits et évalue vraiment sans parti pris les actions humaines.