Avec la professionnalisation de la vie politique, on pouvait imaginer que les technocrates au pouvoir fussent à même de trouver les meilleures solutions pour résoudre les problèmes de notre société. Il faut en rabattre. La profession politique est un métier de communication. Elle n’a plus le temps de la réflexion entre deux micros et trois caméras. Les leaders ont bien jeté quelques propositions pour mobiliser leur camp voire gagner quelques voix, mais une fois au pouvoir, la réalité les a pris à la gorge. Alors, ils commencent par accuser l’héritage en jurant leurs grands dieux qu’ils ne le savaient pas aussi calamiteux. Ils lancent ensuite quelques projets pour prouver leur volonté de réforme. Le sociétal est, à cet égard, bien pratique. Tout le monde en parle. Les passions sont à vif, mais les débats idéologiques n’ont pas les effets ravageurs des mauvais chiffres du chômage. Lorsque ceux-ci tombent, ils surgissent comme le signe d’une politique inefficace ou l’aveu de promesses inconsidérées. Le rapport de l’expert est alors la bouée de secours. Le nouvel élu peut en appeler à l’expertise ou à l’audit pour forger son réquisitoire contre la mauvaise gouvernance précédente. Toutefois, le rapport tardif qui arrive au bout de deux ans, après un matraquage fiscal insupportable et inopérant, est moins probant. L’opinion a tendance à penser que le politicien, avant d’accéder au pouvoir, était quand même payé pour être informé et avoir des idées sans passer par des cours de rattrapage. Des institutions comme la Cour des Comptes lui en fournissent régulièrement la matière, sans “machins” supplémentaires. Pour la “Commission pour libérer la croissance française” Jacques Attali avait proposé 316 idées à Nicolas Sarkozy en Janvier 2008. En Octobre 2010, il avait remis le couvert en soulignant deux urgences au nom d’une “Ambition pour 10 ans”. Toujours fécond, il avait suggéré 45 propositions à François Hollande, l’année dernière. En Novembre 2012, Louis Gallois rendait son rapport sur la compétitivité, déjà l’un des thèmes d’Attali. Le Président vient enfin de recevoir le rapport de Jean Pisani-Ferry, Commissaire Général à la Stratégie et à la Prospective, qui tente de projeter la France en 2025. Encore 10 ans ! Les rapports se suivent et se ressemblent, abordent les mêmes questions, repoussent les échéances, puisque entre deux rapports, la France imitant le “moonwalk” de Michaël Jackson, a reculé en faisant semblant d’avancer. Nos conseillers des Princes s’adaptent. Avec Sarkozy, c’était l’urgence. Pour le poussif Hollande, c’est le long terme qui l’emporte. De toutes manières, la France ne pourra se remettre que lentement, même si elle prend des mesures rapides.
Le rapport Attali était censé libérer la croissance. Elle s’est évadée. L’Insee vient de réduire sa prévision à 0,7% pour l’année 2014, et le chômage atteint un nouveau record. La France est en panne. Elle décline, elle décroche, comme le montrent le recul de ses parts de marché et l’effondrement de son industrie. Fallait-il un expert pour le savoir ? Le récent rapport reprend les diagnostics précédents. La France voit son PIB par habitant reculer, sa compétitivité ralentir. Elle préserve son niveau de vie par une protection sociale et une redistribution à crédit, c’est-à-dire des déficits et de l’endettement malgré une fiscalité et des charges élevées. Il faudrait d’abord assainir nos finances, ramener notre dette de 93,5% du PIB à 75%, et nos dépenses publiques de 56% à 49% nous dit M. Pisani-Ferry. Rien de neuf ! Ce ne sont pas les informations ni les propositions de réformes qui font défaut, mais le courage dont la recette ne se trouve pas, hélas, dans les rapports. Le Commissaire à la stratégie a cependant le mérite de souligner la dimension politique du problème. Si le courage manque en haut, la défiance grandit en bas. Le chapitre 6 réclame une “Démocratie de la confiance” en synthétisant le rapport thématique annexe, “Restaurer la confiance dans le modèle républicain”. Sans confiance, il n’est pas possible de susciter des choix collectifs à long terme. Or, l’individualisme progresse, la cohésion sociale s’étiole, le doute sur les institutions s’accroît, la vie collective perd son sens. A ce moment, on voit le rapport thématique s’approcher de l’essentiel, lorsqu’il évoque l’immigration qui rend la société plus complexe, et soulève les questions de l’appartenance et de l’identité, mais il s’écarte rapidement de la zone rouge pour égrener un chapelet de bonnes intentions : il faut plus de représentativité, plus de jeunes, plus de femmes, limiter le poids de la haute fonction publique, faire voter les étrangers, mettre fin au brouillage du pouvoir en définissant mieux les responsabilités. Enfin, il faut introduire de la démocratie participative et ne pas hésiter comme les Suisses à consulter le Peuple. Il faut rapprocher les citoyens des décisions !
On peut difficilement mieux cerner la maladie et proposer néanmoins une thérapeutique plus conforme à l’air du temps qui la provoque. Le filtre de la pensée unique opère efficacement entre la réflexion et la conclusion. Quinze grandes régions sans identité pour la plupart au lieu de vingt-deux pour rapprocher le peuple des décideurs ? L’identité territoriale autour des métropoles sur une base économique ? Le vieux discours des technocrates planificateurs est de retour. Des référendums seulement consultatifs, comme au niveau européen, non comme en Suisse ? Une démocratie sociale plutôt que directe pour donner toute leur place aux syndicats idéologiques fossilisés ? Une place accrue des minorités pour doper le communautarisme ? Subsistent malgré tout l’idée de clarifier les responsabilités pour recréer de la confiance entre élus et citoyens et l’interdiction du cumul des mandats pour enrayer l’évidente professionnalisation politique. Est-il si sûr que les élus le souhaitent ? Il est probable que ce rapport, issu de la même matrice social-libérale et eurocratique que les autres, après avoir justifié quelques mesures techniques, ira comme ses prédécesseurs stimuler la “critique rongeuse des rats et des souris”.
2 commentaires
S’agissant de l’économie, la cause du mal est le socialisme (de gauche comme de droite) et le remède est le libéralisme.
S’agissant de l’identité, il faut défendre notre civilisation qui est celle de la liberté individuelle.
Bref, ce qui nous tue c’est le refus de la liberté.
Bonjour,
Attendons les réactions maintenant en fonction de ce rapport !
Cordialement
Yann