Le langage technocratique fuit les excès. Il ménage la chèvre politicienne et le chou électoral. Le rapport de France Stratégie cherche l’équilibre en refusant le catastrophisme au profit de la lucidité. Beaucoup d’informations et de tableaux comparatifs avec les autres pays contenus dans ses pages nous inciteraient au pessimisme. Aussitôt, des atouts surgissent pour plaider en faveur du redressement. C’est une sorte d’inversion de la phrase attribuée à Talleyrand. Ici, lorsque je me compare, je me désole et lorsque je me considère, je me console… Comment peut-on de manière quasi-rituelle insister sur le message universaliste d’une France qui ne serait elle-même qu’en faisant école, et ne viser que le retour dans une honnête moyenne, celle du premier tiers des pays européens que nous avons quitté, et à condition de prendre de nouvelles orientations ? Le diagnostic est alarmant, le remède homéopathique. Il fallait sonner le tocsin et appeler aux armes, ce qu’on imagine mal sous François Hollande à qui le rapport est destiné. Alors, dans une phraséologie politiquement correcte de centre-gauche, on n’appelle pas évidemment à la révolution conservatrice, mais on aligne quelques directions pour les mesurettes à venir, bien enrobées dans un souci obsessionnel de l’égalité “au coeur de la promesse républicaine” et attentives à la dimension environnementale. Du “sur-mesure” pour la majorité actuelle, où l’on ose glisser une relecture de la fonction publique (quel courage !) ou souhaiter un développement du numérique (quelle audace !). Il faut noter l’absence de la grande oubliée : la liberté, qui pourrait davantage nous aider à retrouver le chemin de l’innovation que le rapport nous invite à prendre.
Les réformes sont indispensables. L’auteur montre qu’elles ont même été plus nombreuses en France qu’ailleurs, mais qu’elles sont allées à petits pas en raison de la crainte des réactions sociales. Cette prudence lui paraît raisonnable après les expériences de 1995 et de 2006. C’est pourquoi il considère qu’il leur faut dix ans pour se développer entre les risques de l’immobilisme et du radicalisme. Dix ans ? Deux mandats insuffisants pour que la “droite” réformât, et qui en exigeraient trois pour la majorité actuelle… C’est à la fois trop optimiste dans le temps politicien, et trop prudent pour l’exigence nationale ! Dans le domaine économique, avec circonspection, M. Pisani-Ferry privilégie le qualitatif. C’est l’innovation qui doit nous sauver, alors que les performances maintenant lointaines de nos entreprises étaient plutôt fondées sur la compétitivité des prix. C’est pourquoi il écarte les “dévaluations fiscales”, comme la TVA sociale et comme l’usine à gaz du CICE qui lui a été hypocritement substituée. Malheureusement, là c’est l’auteur qui n’innove guère. Il faut faire grandir nos entreprises, nous dit-il, multiplier les Entreprises de Taille Intermédiaire qui exportent, dont le manque est l’un de nos handicaps par rapport à l’Allemagne. Il en faut mille de plus. On entend galoper les “gazelles”, les PME de croissance de Renaud Dutreil, qui, en désespoir de cause est allé les chercher aux Etats-Unis… Pour cela, il faut “aménager” les effets de seuil liés à la taille des entreprises, qui sont des buttoirs à leur développement, mais en négociant bien sûr avec nos syndicats d’un autre âge… Il faut aussi inciter l’épargne à quitter un peu l’immobilier pour le risque entrepreneurial. Il faut oser les fonds de pension. Ce sont les audaces majeures du texte qui insiste aussi sur la formation, sur la nécessité de donner plus de poids à la R&D du secteur privé, notamment en mutualisant. Les 71 pôles de compétitivité (2005), trop nombreux pour être tous efficaces, mais assez pour satisfaire nos chers élus, l’ouverture du PEA aux PME (Janvier 2014), la réforme de l’Université (2007) allaient déjà dans cette direction. Décidément, rien de neuf ! Les rapports nous rassurent toujours sur l’aptitude de nos technocrates à manier avec virtuosité la langue qui leur est propre, délicieux mélange des mots-clefs à la mode dans la sphère du pouvoir et d’euphémismes sophistiqués pour dire, mais pas trop, en laissant la porte ouverte. Mais les rapports angoissent aussi, tant, année après année, ils se ressemblent alors que la France ne bouge guère dans un monde en mouvement. “Une économie du mouvement” était d’ailleurs le titre du chapitre consacré à cette question…