L’esprit cartésien, c’est-à-dire le bon sens, aurait conçu la réforme territoriale de la manière suivante. En premier lieu, un constat : le millefeuille est compliqué et son fonctionnement, alourdi par la multiplication des intercommunalités et le recrutement irresponsable d’un grand nombre de fonctionnaires et de contractuels, surtout dans les collectivités de gauche, a vu son coût croître plus vite que la moyenne de la dépense publique, sans proportion avec les exigences de la décentralisation. L’accroissement des dépenses de personnel a été de 4,73% par an entre 2002 et 2010. A périmètre constant, l’augmentation de ces dépenses a été de 36% durant cette période. Afin de participer comme l’Etat à la décrue de nos déficits, les collectivités et les Etablissements Publics de coopération intercommunale doivent donc se réformer. La majorité dite “de droite” avait, sous la Présidence précédente, voté un texte qui préparait timidement cette réforme, en instaurant des conseillers territoriaux siégeant à la fois dans les assemblées régionales et départementales. Beaucoup voyaient là un premier petit pas vers la suppression de l’échelon départemental. La gauche a, dès son arrivée, abrogé ce texte. Deux ans plus tard, dans ce domaine comme dans d’autres, elle revient sur son erreur. Ce tête-à-queue et cette perte de temps sont une première absurdité.
La logique et le courage qui ont déserté depuis longtemps la caste politique auraient dû procéder de façon plus simple. Le département est une création de la Révolution pour substituer aux provinces des entités comparables sur le plan géographique. La distance d’une journée de cheval entre le chef-lieu et la limite du département était le critère pour définir la superficie de celui-ci. Beaucoup étaient plus petits que les provinces, certains étaient plus grands. Le critère étant devenu obsolète, il fallait supprimer les départements, transférer leurs compétences et les personnels correspondants aux régions. Des conseillers régionaux élus par circonscription auraient constitué les assemblées régionales. Les économies auraient alors découlé de la diminution des élus mais surtout de la suppression du fonctionnement des assemblées départementales, de la disparition des doublons, et de la réduction progressive du nombre des fonctionnaires. Mais comme il fallait une révision constitutionnelle pour modifier le statut départemental et que le Président avait un besoin urgent de réformes, il a carrément mis la charrue avant les boeufs. Au lieu de supprimer un échelon, on allait diminuer le nombre des régions à l’étage supérieur… Les économies attendues de la suppression de sept à huit régions sont difficiles à évaluer. André Vallini, d’habitude plus sérieux, parle de 12 à 25 Milliards, puis de 10 Milliards sur 10 ans. L’agence Moody’s juge ces chiffres trop généreux. Il est probable que l’opération générera une hausse des dépenses dans un premier temps, puis une seconde en raison de l’alignement des aides, subventions et rémunérations sur les régions les plus dispendieuses. C’est seulement à long terme que les gains apparaîtront. En fait, les collectivités vont devoir de toutes manières se serrer la ceinture, puisque l’Etat va diminuer son soutien de 11 Milliards d’ici 2017.
Alors, les députés socialistes se sont lancés dans un jeu de cartes absurde. De 22 régions à 15 d’abord, leur soif de regroupement les conduit à 13 aujourd’hui, avec une logique affichée et sans doute bien des arrières pensées. L’argument essentiel est la puissance économique et la capacité d’être efficace dans la lutte contre le chômage. Olivier Faure a même osé une comparaison avec l’Allemagne qui témoigne soit d’une ignorance abyssale, soit d’une mauvaise foi vertigineuse. L’Allemagne est fédérale. Les compétences et les budgets des Länder sont sans comparaison avec nos régions. De plus, leur surface et leur nombre d’habitants sont disparates. Rien de commun entre la Bavière et ses 70551 km2, la Rhénanie du Nord-Westphalie et ses 17,5 Millions d’habitants et la ville de Brème, ses 661000 habitants et ses 404 km2. Nos chers parlementaires continuent néanmoins à faire joujou avec la carte de la France continentale comme un enfant qui barbouille. La Champagne quitte la Picardie pour l’Alsace-Lorraine, le Limousin abandonne le Centre, qui reste bien seul, pour convoler avec l’Aquitaine. Aucun compte n’est tenu des identités historiques, qui fondent le fédéralisme allemand. Les populations ne sont pas consultées. Les bassins de vie qui pourraient légitimer les régions sur le plan économique sont ignorés. Qui pourrait croire que Beauvais ou Compiègne ont plus à voir avec Lille qu’avec Paris ? Quelles seront les capitales régionales ? Si les Français s’interrogeaient encore sur le bricolage qui règne à la tête de l’Etat, ils ont la réponse. Premièrement, on regroupe pour obéir au Président. Deuxièmement on écoute essentiellement les amis politiques, parfois suivis par de prétendus opposants de l’UMP. Il n’est pas étonnant que le Nord-Pas-de-Calais, socialiste, mais pas forcément “ami”, s’agace. Troisièmement, on ignore superbement les populations que l’on est censé représenter. Quatrièmement, on situe la fusion régionale dans une perspective européenne. La Nation, les Provinces, l’Identité des habitants et leur volonté ne sont rien. En avant pour le parti et pour l’Europe dans l’improvisation et la con…fusion.