Lors d’une conférence de presse, en 1965, le Général de Gaulle avait fait rire en disant qu’il n’était pas revenu à la barre pour inaugurer les chrysanthèmes. Avec Hollande, les chrysanthèmes sont de retour. Tous les clignotants de la politique, de l’économie à la sécurité, étant au rouge, les projets initiaux comme ceux du virage social-démocrate échouant les uns après les autres, la France étant réduite à l’état d’accompagnatrice de la politique américaine sur la scène internationale, le Président au mépris de l’esprit de la Constitution, s’est réfugié dans la commémoration en continu. Comme on est plus à l’aise avec ce qui se passait il y a cent ans qu’avec ce qui va arriver demain et qu’on n’aura pas su prévoir, le Président, tournant donc résolument le dos à l’avenir, affiche la posture de l’unanimité célébrante.
Les commémorations se succèdent donc avec l’intention manifeste de redonner au titulaire de la fonction présidentielle le prestige lié à la mise en scène des célébrations officielles. Elles ont la vertu de favoriser les discours rassembleurs sur l’héritage commun de la Nation et d’écarter les polémiques, les provocations et les manifestations hostiles. La suprême habileté réside dans deux touches subtiles : d’abord, la compassion à l’égard des victimes pour susciter la sympathie du public pour un homme sensible qu’on avait tort de prendre pour un technocrate, ensuite, la lecture idéologique de l’Histoire afin de retrouver le peuple de gauche et de faire adhérer un grand nombre de Français aux légendes et à l’hagiographie du parti.
Jean Jaurès est ainsi l’un des pères de l’église socialiste. C’est d’ailleurs pour ça que la gauche revenue au pouvoir en 1924 s’est empressée de l’installer au Panthéon, l’église Sainte Geneviève symboliquement transformée en temple de l’idéologie “progressiste”par la Révolution. On aurait du mal à y trouver des hommes qui ne soient pas compatibles avec la gauche. Curieuse conception de la Nation et de son Histoire ! En 1981, Mitterrand dont l’origine politique était diamétralement opposée, s’y est livré à une parodie liturgique autour de Jaurès. Mais l’objectif du président élu était de faire oublier son trouble passé en baptisant son septennat au Panthéon. C’est en se faisant l’héritier et le disciple de l’icône socialiste que lui-même pouvait prendre rang dans la galerie des Saints. Jaurès, ce politicien devenu socialiste, lors des grèves de Carmaux, n’est pourtant pas un Homme d’Etat. C’est un homme de parti dont le bilan politique est bien mince. On peut résumer son rôle à celui d’inventeur de ce mélange de marxisme et d’humanisme, cette rhétorique verbeuse et impuissante, le socialisme français qui n’a cessé d’affaiblir le pays chaque fois qu’il est parvenu au pouvoir. La politisation syndicale, la guerre contre l’Eglise, le ralliement tardif à Dreyfus sur fond d’antisémitisme de classe, et l’opposition à la préparation d’une guerre inévitable, avec des idées saugrenues sur l’organisation de la Défense… Comparé à ses collègues députés, cet homme est pourtant plus adulé qu’Albert de Mun, ce lointain précurseur de la Démocratie Chrétienne qui obtint par sa ténacité des résultats contre le travail et l’exploitation des enfants, plus célébré que Maurice Barrès, cet écrivain patriote de talent, auquel la tradition gaulliste ne peut que rendre hommage. Sur l’ensemble du XIXe, il est plus connu que Tocqueville grâce aux nombreuses rues et places qui portent son nom alors que l’un a été d’une clairvoyance géniale et l’autre d’un aveuglement stérile, mais éloquent. Jaurès voulait une armée du peuple vouée à la défense. De Gaulle a écrit “Vers l’Armée de Métier”. C’est toute la différence entre un dangereux rêveur et un Homme d’Etat capable de mettre son savoir professionnel au service de l’intérêt supérieur de la Patrie.
Le pèlerinage au Café du Croissant où Jaurès fut assassiné a eu le mérite de montrer où en était la gauche française. Les communistes héritiers de Jules Guesde ont tenu à clamer que le grand homme leur appartenait aussi puisque le fondateur de l’Humanité était mort avant la scission du congrès de Tours. Telle est la gauche, enlisée dans les querelles du passé, incapable de franchir la ligne du réalisme et de l’efficacité sans être accusée de trahison. Elle croyait incarner le sens de l’Histoire. Elle en fait sortir la France chaque fois qu’elle est au pouvoir, et notre droite la plus bête du monde accepte cette férule idéologique, se raccroche à Jaurès, elle aussi, ou ne manque pas de s’y référer lorsqu’elle est aux affaires, puisque ce mot lui convient davantage.
Pendant ce temps, notre économie est la seule en Europe à ne pas enregistrer de résultat positif sur le front du chômage… On tue pour quelques cartouches de cigarettes alors que la Ministre de la Justice se préoccupe avant tout de la surpopulation carcérale… Les affaires de ripoux se multiplient… Les rentrés fiscales se font sur le recul de la politique familiale… Jamais depuis la naissance de la Ve République, la situation du pays n’a été aussi désastreuse et ses dirigeants plus éloignés du Bien Commun. Ce ne sont pas les interprétations du passé qui intéressent aujourd’hui les Français, mais les solutions qu’on apporte aux problèmes de leur présent et de leur avenir immédiat. Les roses promises ont laissé place aux chrysanthèmes. Il serait temps d’abandonner les fleurs de rhétorique pour le réalisme de l’action.