Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le monde entier a les regards tournés vers un minuscule territoire du Proche-Orient où des guerres jamais vraiment éteintes se rallument périodiquement. La Palestine, le secteur à l’ouest du Jourdain confié à l’issue de la Grande Guerre par mandat au Royaume-Uni est plus petit que la Belgique et à l’époque était nettement moins peuplé. Face aux pogroms d’Europe Orientale et à la montée des nationalismes antisémites, le sionisme appelait au retour des Juifs dans leur berceau géographique originel. La déclaration Balfour a fait droit à cette demande en 1917 en ouvrant la voie à un foyer national juif en Palestine, après la chute de l’Empire Ottoman. La politique d’extermination menée par les Nazis a fait apparaître la revendication d’un Etat juif en Palestine à la fois comme une nécessité protectrice et comme une réparation. Beaucoup de rescapés de la Shoah ont donc rejoint à la fin de la seconde guerre mondiale les Sabras autour de Tel Aviv, en Galilée ou dans le Neguev. Exodus retrace cette épopée de ceux qui quittent l’Europe pour rejoindre les Kibboutz. Les Arabes voulaient en revanche qu’après le départ des Anglais la totalité du territoire leur revienne. L’ONU vote néanmoins en 1947 un plan de partage improbable entre deux Etats, l’un arabe et l’autre juif avec trois zones mal reliées entre elles pour chacun des deux peuples. Dès la proclamation de l’Etat d’Israël, les voisins arabes déclenchent les opérations militaires contre lui. A la fin de ce premier conflit, le nouvel Etat qui comprenait un tiers de la population s’empare de 80% du territoire, donnant à celui-ci plus de cohérence, mais poussant à l’exil des centaines de milliers de Palestiniens dont beaucoup se réfugient désormais dans des camps. Depuis, les guerres n’ont pas cessé. Elles ont toutefois changé de visage.
En 1949, en 1967, en 1973, le pays des rescapés de l’holocauste se battait contre des voisins plus nombreux. C’était la démocratie seule contre les dictatures. Lorsque les victoires d’Israël contre les Etats arabes ont mis fin à l’espoir d’une solution militaire, les revendications des nationalistes arabes, des Chrétiens, parfois, ont emprunté la voie du terrorisme. Israël demeurait victime d’extrémistes soutenus par l’Est et par les dictateurs arabes. Puis le basculement est intervenu lorsque Tsahal, l’armée la plus puissante, la mieux équipée de la région a dû affronter non plus des armées conventionnelles mais des mouvements armés ou même se livrer à des opérations de maintien de l’ordre contre des civils lors des “intifada”. Désormais Israël paraissait le fort écrasant le faible, intervenait non plus dans le désert mais dans des guerres urbaines coûteuses en vies humaines. La forte densité multipliait les victimes civiles avec le décompte des enfants traumatisant pour l’opinion publique internationale. La victimisation changeait de camp tandis que les mouvements islamistes prenaient la place des nationalistes arabes, avec le Hamas, sunnite, lié aux Frères Musulmans à Gaza et le Hezbollah chiite au Sud-Liban.
Malgré la trêve qui est observée depuis mardi pour trois jours, qu’Israël pourrait prolonger, mais non le Hamas, la situation est désespérante. Kofi Annan dans le livre qui retrace ses activités de Secrétaire des Nations Unies résumait sa frustration : “Les seuls vainqueurs à émerger de cette litanie d’échecs ont été ceux qui cherchent à perpétuer les conflits..” Il constatait le risque de voir s’éloigner l’espoir d’une solution politique globale, pourtant indispensable, et pointait la duplicité des parties prenantes. Rien n’a changé. L’opération “Bordure protectrice” menée par Israël contre la Bande de Gaza se solde par trois conséquences. D’abord, l’image de l’Etat Hébreu a continué de se dégrader. L’opinion publique compare les chiffres, les 67 morts israéliens, dont 64 militaires aux 1875 Gazaouis dont 430 enfants. Elle voit les destructions massives provoquées, évaluées à 4 ou 6 Milliards de Dollars. Elle entend les mères de famille dont les habitations ont été anéanties. L’expression de Benjamin Netanyahou qualifiant l’opération de “justifiée” et “proportionnée” suscite évidemment le doute. Mais les résultats politiques sont plus favorables à Israël. L’Egypte est revenue au centre des pourparlers. C’est le Caire qui a obtenu la suspension des combats et accueille les négociations. Le nouveau Raïs Al-Sissi, dans la continuité de Sadate, est objectivement allié d’Israël. Adversaire des Frères Musulmans, soutenu par l’Arabie Saoudite, contrôlant une des frontières de Gaza, il retrouve la respectabilité internationale après ce qui a ressemblé à un coup d’Etat militaire et évince le Qatar et la Turquie, les soutiens du Hamas. L’Union Européenne, de son côté, demande la démilitarisation de cette organisation terroriste, ce qui est aussi l’exigence d’Israël. Du coup, les Iraniens et le Hezbollah lui tendent la main. Depuis 1949, les divisions de ses adversaires ont été d’un puissant secours à la réalisation du Sionisme.
Dans ces conditions le passage de la trêve à la paix durable semble une illusion. En fait, chacun des protagonistes poursuit ses propres objectifs qui sont éloignés de la réalisation des deux Etats vivant en paix l’un avec l’autre. Le Hamas fédère autour de lui parce qu’il se bat. Il veut affaiblir Israël en montrant que son armée n’est pas invincible, en tuant le plus possible de ses soldats et en détruisant son image. C’est la raison pour laquelle il provoque l’Etat hébreu avec l’envoi de roquettes et de missiles de portée de plus en plus longue et contraint celui-ci à bombarder des lieux, évidemment utilisés pour ces lancements, mais terriblement symboliques, des hôpitaux ou des écoles. Toutefois, Benjamin Netanyahou préfère sans doute que le Hamas demeure le maître à Gaza. Cela divise les Palestiniens entre deux territoires dont l’un est minuscule et cohérent, mais dirigé par des “terroristes” et l’autre, la Cisjordanie, sous l’Autorité Palestinienne, plus acceptable aux yeux de la Communauté Internationale pour former l’Etat Palestinien. Mais c’est une peau de Léopard soumise à trois et même quatre régimes d’administration différents selon le degré d’autonomie, et cela sur 5800 km2, avec 500 000 colons juifs pour 3,2 Millions d’habitants. La Cisjordanie, c’est la Judée-Samarie pour les Juifs, leur vrai berceau originel. Pour beaucoup de membres du Likoud et de ses alliés. un seul Etat qui l’engloberait n’est-il pas la bonne solution ? Après tout, Israël abrite déjà 20% d’Arabes qui vivent mieux que dans les camps de réfugiés, et beaucoup de Palestiniens lassés des difficultés de leur vie auront sans doute émigré d’ici-là… Pour le moment, le Hamas ne sera pas démilitarisé. Israël ne pourra donc pas mettre fin au blocus et la situation s’enlisera jusqu’à la prochaine explosion… A moins que les Nations Unies interviennent, y compris militairement pour faire respecter leurs résolutions et imposer la solution des deux Etats et la paix entre eux. Le désengagement obamanien, la politique ambiguë et les alliances compliquées des Etats-Unis, le poids de leur politique intérieure, enfin, rendent cette hypothèse très peu probable… C’est donc la paix jusqu’à la prochaine guerre…