Les événements tragiques qui se déroulent en Irak et que subissent en particulier les communautés chrétiennes présentes dans ces régions depuis l’aube du Christianisme appellent une réflexion qui devrait susciter l’angoisse. Le fait que l’Occident, les Etats-Unis en particulier n’utilisent pas leur immense supériorité militaire pour anéantir les “djihadistes” n’est pas le fruit d’une tactique habile visant à employer des moyens mesurés sans exposer les troupes au sol. C’est une politique dénuée de vision à long terme, prisonnière du temps médiatique de plus en plus réduit à l’émotionnel et à l’éphémère.
La projection dans un futur lointain se nourrit de la connaissance d’un passé reculé. Les mouvements fanatiques dopés par l’aide américaine et saoudienne à la résistance afghane contre l’URSS sont inspirés par le salafisme, c’est-à-dire l’idée d’une purification de l’Islam par un retour à l’origine, à l’époque où une communauté finalement peu nombreuse mais animée par la “vérité” révélée par le Prophète a entrepris avec succès la conquête du monde, des Pyrénées à l’Indus en un siècle. Quatre ans après la mort de Mahomet, en 636, l’Arabie actuelle étant soumise à l’Islam, l’armée musulmane défait, en deux batailles, Yarmouk et Al Qâdisiyya, les troupes plus nombreuses des deux empires qui se partageaient la région depuis des siècles en luttant l’un contre l’autre, les “Romains” ou Byzantins chrétiens en Syrie à l’ouest et les Perses sassanides et zoroastriens qui occupaient l’Irak actuel. On ne saurait mesurer combien la situation du calife autoproclamé de Mossoul doit renforcer les fantasmes du djihad salafiste. Contre les Syriens d’Assad d’un côté, les chiites de Bagdad, c’est-à-dire les hérétiques dont le centre est l’Iran de l’autre, les Russes qui soutiennent Damas et les Américains dont la puissance est enlisée dans une politique confuse, les djihadistes de l’EIIL, vainqueurs de forces très supérieures en nombre, doivent imaginer qu’ils vérifient la justesse du wahhabisme qui situe la force dans la pureté des origines. Il est donc vital et urgent d’apporter un démenti en anéantissant ces bandes dont les victoires ne peuvent que susciter le prosélytisme. Combien d’autres foyers de “djihad” vont-ils s’allumer ? Combien de jeunes désaxés de nos sociétés décadentes vont-ils aller trouver là d’excellentes raisons de vivre et de mourir ?
La raison la plus évidente de la retenue occidentale est la volonté de ne pas exposer les vies des soldats. Cette attitude apparemment généreuse est surtout irresponsable. La plupart des démocraties occidentales ont des armées professionnelles fort bien équipées, même si les budgets diminuent dangereusement. Si l’enlisement dans une occupation en butte à la guérilla doit être évitée, les actions rapides et massives pour détruire le potentiel militaire de l’adversaire ne présentent qu’un risque limité. La France en a fait la démonstration au Mali. Or un curieux mélange de culpabilité historique et de pression médiatique paralyse l’action nécessaire et opportune. L’Occident commémore les deux guerres mondiales durant lesquelles un grand nombre de jeunes conscrits sont morts. Aujourd’hui que de telles confrontations sont exclues, il est possible d’éteindre les incendies à temps. Chaque fois que par peur d’offrir aux médias l’occasion de compter les pertes militaires ou les otages, on tergiverse ou on retient les actions nécessaires, on provoque à coup sûr des catastrophes humaines bien plus considérables. Kofi Annan montre ainsi combien les 18 morts américains de Mogadiscio en octobre 93 (La chute du Faucon Noir) ont pesé ensuite sur les opérations de maintien de la paix, notamment au Rwanda avec les 800 000 victimes du génocide, et sur la Somalie elle-même abandonnée jusqu’à aujourd’hui à la guerre civile et à la piraterie avec leurs répercussions sur les populations, les pays voisins et le trafic maritime. Le yoyo américain passant de la paralysie de Clinton à l’interventionnisme démesuré et maladroit de Bush pour revenir à l’attitude timorée et tortueuse d’Obama est calamiteux.
Dans un opuscule d’une légèreté insoutenable, Luc Ferry sabre le champagne pour la meilleure nouvelle du millénaire. “Qui voudrait aujourd’hui encore, du moins en Europe de l’Ouest, mourir pour Dieu, pour la Patrie ou pour la Révolution ?” Sans doute sous-entend-il que le “sacrifice” subsiste encore pour le proche ou le prochain, mais en est-il si sûr ? Les héritiers de ceux qui préféraient être rouges plutôt que morts sont-ils sensibles au sort des Chrétiens de la plaine de Ninive ? Entre la vie dans la soumission et la mort, que choisiraient-ils ? Les minorités qui ne craignent pas la mort sont infiniment plus fortes que les majorités prêtes à la fuir à tout prix. Les valeurs les plus stupides qui donnent à la vie un sens l’emporteront toujours sur le règne du vide. Le double problème de l’Europe de l’Ouest, c’est que le reste du monde ne partage pas nécessairement son pacifisme bêlant et que l’ouverture de ses portes introduit également en son sein des minorités explosives.
On pourrait bien sûr se féliciter de la haute teneur en humanisme des réponses militaires ciblées. Ce serait introduire une intéressante synonymie entre humanisme et hypocrisie. Les Etats-Unis, à la veille des élections de mi-mandat et dans leur constante bousculade médiatico-politique, se soucient des morts américains à l’unité près, beaucoup moins des autres à une échelle mille fois supérieure. Leur réseau d’alliances paradoxales et intéressées, politiquement et économiquement, ne se situe pas sur le plan de la morale. Le discours présidentiel a surtout pour tâche de cacher cette vérité. Quant à l’Europe, elle est tragiquement inexistante. Elle est sortie de l’Histoire.
2 commentaires
Dans la basse & haute politique locale, nationale ou mondiale, le “plan de la morale” ça n’existe pas si l’on désire vraiment la victoire. Il est donc inutile de polémiquer dans le vide & de faire de jolis cours d’histoire qui n’intéressent en réalité que très peu de gens. Surtout que l’Occident commence à se fatiguer de se flageller lui-même au nom de visées équivoques perceptibles au sein même de l’Occident.
“Quant à l’Europe, elle est tragiquement inexistante. Elle est sortie de l’Histoire”
Malheureusement,dans sa sortie , elle entraîne avec elle les Etats membres qui se croient obligés de la suivre…
Au secours Général, revenez !