L’Europe c’est du roman. En l’occurrence, “l’Homme Invisible”. Après l’inexistant rédacteur de “haïkus” Van Rompuy qui fut quelques mois Premier Ministre de Belgique, ce pays qui, lui aussi existe si peu qu’il peut de passer pendant longtemps de gouvernement, voici Donald Tusk qui devient donc Président du Conseil Européen. Certes, cet homme a une personnalité plus affirmée que son prédécesseur et a été sept ans Premier Ministre de Pologne, un pays qui, lui, existe vraiment quelques soient ses frontières, en raison de la forte identité de son peuple. Le contraire de la Belgique, en somme. Notons aussi que si la Belgique a souvent été dirigée par des sociaux-chrétiens, c’est l’un des pays qui a été le plus en pointe pour donner une traduction législative à la “culture de mort”, bref pour détruire les racines chrétiennes de la société et soumettre le pays à l’individualisme libertaire. La Pologne, au contraire, voit s’affronter pour l’exercice du pouvoir la Plateforme Civique, majoritaire, d’où sont issus Tusk et le Président Komorowski, un parti libéral en économie et proeuropéen mais conservateur sur le plan sociétal, et Droit et Justice, clairement conservateur sur tous les plans. Heureux pays qui fidèle aux valeurs indispensables à toute société ne se divise que sur les questions économiques ! Là s’arrêtent les aspects positifs de cette nomination.
En revanche, selon une mauvaise habitude, l’Europe devient un instrument de recyclage des politiciens en difficulté. Le Président de la Commission sera l’ancien Premier Ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, battu aux élections, et qui succède à Barroso, lui même deux ans chef du gouvernement portugais lequel basculera à gauche moins d’un an après son départ. Tusk enlisé dans plusieurs scandales était pratiquement sûr de perdre les élections. Lui aussi est exfiltré à temps. Soyons honnête. Madame Ashton, cette dame que nous avons vue auprès des Chefs d’Etat et de gouvernement en nous demandant qui elle était et ce qu’elle y faisait, laissera la place à une jeune et sémillante socialiste italienne qui a le grand mérite de n’avoir pas eu le temps de faire grand chose, ouvrant ainsi tous les espoirs. Ses atouts sont considérables : elle est socialiste, et il en fallait un pour équilibrer les deux PPE. Elle est femme, et cette qualité l’emporte tellement sur la compétence que la composition de la Commission Juncker bute sur la nomination de son membre belge, lequel doit impérativement être une femme. Remarquons en passant que ce détail revêt pourtant de moins en moins d’importance dans la législation belge. Mais la Belgique est exportatrice, notamment de son humour, et elle ne doit pas être mécontente de nous refiler une part de son savoir-faire en foutoir politique et en patience dans la résolution des problèmes qu’il engendre.
Aucun Français dans ces nominations. On peut même y voir une relégation de notre pays. Il est clair que M. Tusk est proche de l’Allemagne et de Madame Merkel dont il parle la langue. La tension permanente entre la Pologne et la Russie a jeté la première dans les bras des Etats-Unis et l’a éloignée de la volonté française d’assumer naguère une identité européenne en politique internationale. Cela laisse des traces même si la France s’est, elle-aussi, alignée. Il est piquant de constater que le seul fait marquant de la courte carrière de Madame Federica Mogherini comme Ministre des Affaires Etrangères italienne aura été sa rencontre avec Vladimir Poutine. Les relations commerciales entre la Russie et l’Italie sont importantes et essentielles pour la seconde, notamment en matière énergétique. Il est donc probable que les approches du Polonais et de l’Italienne sur le dossier ukrainien ne seront pas semblables. Il est aussi intéressant de noter que le Président Tusk vient d’un pays qui n’a pas adopté l’Euro et qui doit s’en réjouir puisque ses résultats économiques sont bons : pas de récession en 2008-2010 et une croissance flamboyante un peu ralentie à partir de 2012. Le beurre, la zone de prospérité allemande, l’argent du beurre, une monnaie à soi, et le sourire de Madame Merkel ! Que demander de plus ? Peut-être aux cigales du sud de l’Euroland d’être plus sérieuses ? Ben voyons !
Au fond, ces nominations n’ont aucune importance. Ces postes sont des gadgets pour faire croire que l’Europe existe et continue d’avancer. A y regarder de près, elle marche à la manière d’un somnambule et lorsqu’on cherche à percevoir son visage, on croit y reconnaître quelques traits de l’oncle Sam ! L’Europe, avec sa démographie suicidaire, son économie anémiée, sa monnaie trop forte, n’existe pas dans le monde, sinon comme coffre-fort. Elle n’existe pas militairement. C’est l’OTAN qui existe. Elle n’existe pas politiquement. C’est chacun des grands pays qui la composent qui existe encore un peu. L’Europe, c’est l’homme invisible, auquel on vient de donner des visages de cire.
Un commentaire
«… […] Belgique, ce pays qui, lui aussi existe si peu qu’il peut de passer pendant longtemps de gouvernement»
Loin de moi l’idée d’essayer de vous expliquer la Belgique, ses institutions, son État Fédéral (bien que déjà teinté de confédéralisme), ses trois régions (ou entités) fédérées , ses trois communautés institutionnelles et ses quatre régions linguistiques: je pourrais vous expliquer ça jusqu’à demain soir, Christian Vanneste, et demain soir… vous n’aurez toujours rien compris! La «plomberie institutionnelle» est une discipline politique typiquement belge, et même nous, nous ne nous y retrouvons pas toujours! 😀
Mais je ne peux vous laisser propager cette erreur selon laquelle nous n’avions pas de gouvernement: en fait, nous n’avions pas de [nouveau] gouvernement Fédéral (pendant 541 jours) mais les gouvernements des entités fédérées (qui ont l’essentiel des compétences économiques dans leurs attribution) fonctionnaient normalement. Et si nous n’avions pas de nouveau gouvernement Fédéral, nous avions toujours l’ancien! qui fonctionnait en gestion des affaires courantes (ce qui, en Belgique couvre aussi les affaires “prudentes ” et les affaires “urgentes”), et ce d’autant plus efficacement que s’il ne pouvait pas imprimer d’orientation s politiques nouvelles, il n’avait pas non plus à craindre d’obstruction parlementaire (même s’il continuait à rendre compte de son action aux chambres, pour information).
Au fur et à mesure que le délai pour constituer un nouveau gouvernement s’allongeait, ce gouvernement d’affaires courantes a été amené – sous peu les pressions conjointes de la prudence et de l’urgence) à gérer des opérations aussi peu “courantes” que l’établissement du budget fédéral (même si celui-ci était, en gros, la réplique de celui de l’année précédente), ou encore, de prêter main-forte à la France dans sa guerre contre la Libye (ce qui était moins heureux et plus discutable)!
La plomberie institutionnelle belge (avec son cortège de majorités particulières, ses mécanismes de “sonnette d’alarme, etc.) est sans doute malaisée à comprendre, d’autant qu’elle a été mainte et mainte fois remaniée, pour éviter les fuites, mais elle a quand même tenu le coup, et permis au pays de tenir 541 jours!
Quant au rédacteur de haïkus (Herman Van Rompuy), de vous à moi (mais ne le répétez à personne), on l’a un peu poussé en dehors de la politique belge! Merci l’Europe! 😛