Le politiquement correct est une idéologie totalitaire douce pour défendre une pensée qui s’écrit à la gomme. Le sentier est balisé. Le discours ambiant ne doit pas s’en écarter, mais le chemin est vide de toute pensée positive. Il n’existe que par les barrières qui empêchent de le quitter, par les interdits qui pourchassant les mauvaises pensées, et non par un système idéologique qui imposerait d’emprunter ses concepts et ses règles. C’est ainsi que l’actualité présente nous invite à nous méfier du mot “civilisation”. Il est exclu d’évoquer la lutte contre le prétendu “état islamique” comme un choc de civilisations. Tout au plus peut-on opposer LA civilisation à la barbarie. D’un côté, il y aurait l’immense majorité des humains avec leurs différences culturelles et de l’autre une poignée de fanatiques qui n’auraient pas lu le Coran. La civilisation, ce serait donc la quasi-totalité de l’humanité. Cette conception large justifierait amplement que les nations européennes, les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite forment une coalition contre le terrorisme prétendument islamique. Mais que défend cette coalition ? Les naïfs diront aussitôt : l’humanisme, le respect de l’autre, la tolérance, la liberté, la démocratie. C’est d’ailleurs au nom de ces valeurs que nos rejetons à la fois les djihadistes et leurs adversaires, les régimes autoritaires laïcs, leurs massacres au gaz, et leur implacable tyrannie.
Malheureusement, cette proclamation ne résiste pas à la critique. Le royaume wahabite, notre allié, qui règne sur les lieux saints de l’Islam n’est évidemment pas une démocratie. La liberté y est inconnue, la charia y est appliquée avec rigueur. Les décapitations publiques au sabre s’y font simplement davantage dans les formes. On cherchera en vain la dose supplémentaire d’humanisme présente à Ryad et absente à Damas. Il est possible depuis près de vingt siècles d’être pleinement chrétien en Syrie quand ça ne l’est pas aujourd’hui en Arabie saoudite. La différence est la même pour la condition féminine. Nous ne défendons pas une civilisation commune qui n’existe nullement. Nous mêmes serions bien en peine de peine de définir les valeurs de l’occident. Elles ne s’affirment plus, mais ne se définissent plus que par des négations. L’Europe est culturellement issue d’un mariage réussi entre la civilisation grecque et romaine d’une part, et le Christianisme d’autre part. On peut y déceler des traces celtiques ou germaniques, mais la religion, l’art, la politique et le droit ont une identité et une cohérence, que les Européens, et les Français en particulier, ont nié en refusant de se référer à leurs évidentes racines chrétiennes. Parce qu’il est interdit de blesser l'”Autre” qui ne se gène nullement, il est interdit d’être soi.
Si l’on descend de l’étage de la réflexion philosophique pour en revenir à l’examen des intérêts réels en jeu, on comprend bien que les Etats peu démocratiques du Golfe, nos économies, et nos puissants groupes pétroliers soient dans le même camp. On devine aussi que la Russie, l’Iran et leurs alliés puissent avoir d’autres objectifs non seulement économiques, mais géopolitiques. Arabes sunnites et Perses Chiites s’affrontent. Les Turcs sont en embuscade dès qu’ils entendent parler de califat. Des rivalités se développent pour la possession des richesses du sous-sol, pour la maîtrise de la circulation des produits qui en sont issus, pour le contrôle des ressources en eau aussi. Les puissances occidentales ne sont pas désintéressées et se préoccupent de ces enjeux. Mais elles masquent cette réalité derrière cette idéologie creuse de la démocratie humaniste dont Obama est le talentueux spécialiste. Partout, pourtant, où les Occidentaux ont prétendu faire advenir la démocratie, ils ont créé l’anarchie, suscité le djihadisme ou conduit au maintien du régime autoritaire.
La plupart des protagonistes des conflits actuels ont à la fois des intérêts très concrets et aussi une idéologie qui les anime. Chez les uns, ce sera le nationalisme, plus ou moins teinté de religion. Le souvenir d’un passé glorieux ou tragique soutiendra l’espoir d’une restauration. Il y a une parenté entre le “Grand Israël”, la Russie impériale de Poutine, le rêve néo-ottoman de la Turquie d’Erdogan, et le Chiisme perse qui porte les ambitions iraniennes. Chez les autres, la religion correspondra presque seule au ressourcement identitaire que les salafistes incarnent officiellement dans certains Etats et jusqu’à la caricature sanguinaire dans les rangs djihadistes. Il s’agit donc bien là d’un choc entre des civilisations concurrentes, et paradoxalement, le principal acteur, celui qui est encore le plus riche et le plus fort, militairement, se refuse à être ce qu’il est. Surtout, ne parlons pas de croisade. Surtout, prenons le temps de réunir quelques pays arabes sunnites, pour montrer que l’Islam est avec nous. Défendons nos intérêts économiques, contenons le réveil russe d’un côté et le terrorisme islamiste de l’autre, mais sans jamais préciser ce que nous défendons : une démocratie qui est une confiscation du pouvoir par une oligarchie ? Une égalité proclamée qui est démentie par des écarts totalement illégitimes entre les uns et les autres ? Une tolérance qui prend de plus en plus souvent le visage de la transgression ? Une liberté qui s’autocensure dans la pensée unique ? Une foule d’individus préoccupés de besoins matériels et de satisfactions immédiates et que n’anime plus une foi commune est-elle capable de se défendre ? Peut-elle empêcher qu’en son sein des dissidences ne se forment ? Peut-elle éviter que le vide spirituel ne soit comblé chez certains par de dangereux substituts ? Comme le disait Valéry, les civilisations sont mortelles, et elles sont d’autant plus proches de leur disparition qu’elles oublient ce qu’elles sont.
4 commentaires
L’amour du prochain et le respect des autres sont-ils des mots que l’on puisse trouver dans le Coran ? Si “l’Islam est avec nous”, il ne sera jamais comme nous…
Est-ce la disparition en une foi commune (pas essentiellement religieuse) qui nous précipite dans le matérialisme absolu ou l’inverse ? Histoire de combler un vide.
Il n’y a vraiment pas de quoi avoir le moral en ce moment.
Finira-t-on par se réveiller ?
Lorsque je lis certains commentaires et articles “bien pensants” j’ai à la fois la nausée et la rage…Dieu sait pourtant que j’ai commencé par penser à gauche !
Si on est pas de gauche à 20 ans,c’est qu’on a pas de cœur…et si on ne regarde pas vers les extrêmes à 60 ,c’est qu’on est aveugle !