La condamnation à mort pour blasphème de la Chrétienne Asia Bibi a été confirmée en appel par la Haute Cour de Lahore au Pakistan. Je suis atterré par la faiblesse des réactions devant cette décision inhumaine. Il y a plus de trois ans, j’avais reçu son mari et sa fille à l’Assemblée Nationale, et saisi Michèle Alliot-Marie et Alain Juppé pour qu’ils interviennent auprès du gouvernement pakistanais. Alain Juppé a tenu sa promesse. Malheureusement, ayant quitté l’Assemblée, je m’aperçois que le calvaire enduré par cette mère de cinq enfants non seulement s’est poursuivi, mais vient même de s’aggraver avec le rejet de l’appel.
Il faudrait pourtant une mobilisation de grande ampleur non seulement pour sauver cette femme de la mort, mais encore de la détention injuste qu’elle subit dans des conditions physiques insupportables depuis quatre ans et sous une pression psychologique atroce puisqu’elle craint pour sa vie à chaque instant.
Le Pakistan, le “Pays des Purs” s’est séparé de l’Inde lors de l’indépendance dans la douleur et les massacres pour regrouper les Musulmans dans un pays islamique. Il a hérité à la fois de traditions britanniques et d’une orientation religieuse rigoriste. Les premières expliquent le fonctionnement lent de la justice et son parcours de décision en recours, ainsi que son alignement habituel sur l’Occident. La peine de mort n’est pas appliquée actuellement en raison d’un moratoire et l’avocat d’Asia Bibi va saisir la Cour Suprême. Mais, le Pakistan a un autre visage. Lors d’un des nombreux coups d’Etat militaires, le général Zia Ul-Haq a voulu asseoir son pouvoir sur l’extrémisme musulman et a islamisé le droit, en instaurant notamment, en 1986, une loi punissant de la peine de mort le blasphème. C’est une arme contre les minorités religieuses qui ne regroupent que 3% de la population et subissent 50% des sanctions.
Asia Bibi en a été victime. Cette mère de famille pauvre et nombreuse avait décidé de participer à une cueillette avec d’autres femmes de son village afin de gagner un peu d’argent. Sous le coup de la chaleur, elle a bu de l’eau du puits avec le gobelet qui était à proximité. Les autres femmes, l’une d’elles notamment, l’ont alors accusée en tant que chrétienne d’avoir souillé le gobelet, et peut-être l’eau du puits, d’avoir rendu leur usage “haram” pour de bons Musulmans. Elle aurait sans doute dû, à leurs yeux, se soumettre, s’excuser, voire se convertir. Elle a tenu tête avec courage en affirmant sa fierté d’être chrétienne et de suivre le Christ, meilleur que Mahomet. Non seulement, c’est une évidence pour un Chrétien, mais encore, n’importe quel humaniste de bon sens pensera qu’un homme qui prêche la paix est préférable à un homme de guerre. Le problème, c’est qu’au Pakistan, il est dans le fond interdit de ne pas être musulman et terriblement dangereux de parler du prophète autrement qu’en louanges et vénération. L’imam du coin a donc déclenché la procédure. Ce Pakistan-là est celui qui a soutenu les Talibans et hébergé Al-Qaïda. Contre les soviétiques, cela plaisait aux Américains. Ils ont changé d’avis depuis. Quant à l’armée pakistanaise, elle n’a pas forcément renoncé à la profondeur stratégique que lui accorderait l’Afghanistan contre L’Inde. Les deux pays disposent de l’arme atomique.
Cette situation religieuse, politique et militaire rend évidemment prudent à tous les niveaux. Les deux responsables politiques qui avaient pris la défense d’Asia Bibi, le gouverneur du Pendjab, Salman Taser, et le catholique Shabaz Bhatti, ministre des minorités religieuses, ont tous deux été assassinés. Depuis l’attentat de Karachi, la France est bien placée pour savoir que dans ce pays la vengeance est violente. Les juges de seconde instance ont donc confirmé la sentence de mort, et les imams, les bons pasteurs d’une religion de paix et d’amour si mal comprise (?), ont fêté l’événement et promis à leurs ouailles des friandises pour le rendre plus doux encore. On parle moins d’Asia Bibi que de tel ou tel condamné à mort sous Franco, que d’une prisonnière des Farc, que d’une Française retenue au Mexique pour avoir fréquenté des gens infréquentables. Est-ce parce qu’elle n’est pas française ? Est-ce parce que c’est une pauvre paysanne, peut-être illettrée ? Est-ce parce qu’elle est chrétienne ? Ou est-ce parce que le poids de l’Islam et la violence qu’il est capable de susciter en imposent ? La faiblesse de l’Occident devant des groupes qui ne sont pas des Etats au Moyen-Orient comme au Nigéria le suggèrent malheureusement.
Une fois n’est pas coutume : parmi les Prix Nobel de la Paix extrêmement discutables, il en est un qui offre une opportunité. En 2014, c’est une jeune Pakistanaise qui s’est vu décerner l’un des deux prix. Bien sûr, il s’agit d’une jeune musulmane, Malala Yousufzai, fille d’un propriétaire d’écoles et qui s’est battue au péril de sa vie pour que les Talibans n’excluent pas les filles de l’éducation scolaire, mais elle est soutenue par les milieux politiques locaux, et malgré tout ce qui la sépare d’Asia, sa voix serait peut-être entendue. Chez nous j’espère aussi que la marée des protestations et des appels à la clémence va se soulever, et que les Musulmans eux-mêmes diront combien ils réprouvent l’interprétation et le visage que le sort d’Asia Bibi donnent de leur religion.