L’un est apparemment de gauche, l’autre se dit de droite. Ils déjeunent ensemble. Au menu, on s’offre comme friandise le troisième lui aussi prétendument de droite. Le premier a été ministre du second qui a été Premier Ministre du troisième. Le second, membre du triumvirat qui assure l’intérim de l’UMP en attendant le retour de l’enfant prodigue, aurait demandé au premier, Secrétaire Général de l’Elysée, le lieutenant de Hollande, en somme, la tête du troisième, son ancien Président, et futur candidat au retour, alors que lui-même avait guigné le passage de l’Hotel au Palais pendant cinq longues années de collaborateur,frustré et inhibé. Le premier est un haut-fonctionnaire placide, un membre exemplaire jusqu’à en être caricatural de l’oligarchie française, voire mondiale : ENA, promotion Voltaire, comme Hollande, Inspection des Finances et une longue suite de séjours dans les cabinets ministériels de gauche, avant d’être ministre, dans une équipe “de droite.” Sa particularité est son appartenance à l’école de la pensée unique, celle qui déteste les débats idéologiques sur les valeurs du peuple pour leur préférer les convergences mondaines des techniciens de haut vol qui tombent d’accord entre dirigeants sérieux, loin des bruits de la foule, dès qu’ils se rencontrent. Il appartient donc au Siècle et est président d’honneur de l’Institut Aspen où souffle cet esprit éthéré. J’avais eu l’occasion de l’interroger en 2010, en tant que rapporteur du Comité d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée, lorsqu’il était Président de l’Autorité des Marchés Financiers. Déférence envers le Parlement, réponses à la fois précises et feutrées, défense du dialogue entre “sachants”, professionnels et magistrats, le personnage assumait son rôle à la perfection, donnant l’apparence d’une grande compétence et d’une parfaite maîtrise de sa fonction, qu’il devait au troisième du repas, celui qu’on mangeait. L’Institut d’Etudes Politiques, l’ENA, Paris Dauphine ont bénéficié de son précieux savoir. On peut toutefois émettre quelque doute sur l’efficacité de celui-ci puisqu’il a participé dans le cabinet Jospin à l’instauration de l’Euro…
Bref, un déjeuner qui réunissait du beau linge donne lieu à un lavage de linge sale en public. Le second, ancien Premier Ministre, aurait demandé au Secrétaire Général de l’Elysée, son ancien ministre de faire accélérer les procédures judiciaires contre le troisième et ancien Président de la République. Une intervention des Commissaires aux comptes de l’UMP auprès du Parquet, postérieur aux agapes, donnerait quelque crédit à cette hypothèse. Fable ! Bobard de journalistes crient en choeur nos deux dirigeants outragés qu’on puisse imaginer de pareilles turpitudes à la tête de la France ! Sauf que les indiscrétions du Secrétaire Général, qui donnent au mot secrétaire tout son sel, ont été enregistrées… Notre éminent oligarque se retrouve donc devant le choix cornélien d’avouer qu’il mentait en niant ses divulgations ou de confirmer leur véracité : un membre important de l’opposition, ancien responsable de l’Exécutif, et parlementaire de longue date peut demander à un rouage essentiel de l’Etat d’actionner la Justice, ignorant à la fois la fidélité à son camp et la séparation des Pouvoirs… On sait maintenant ce qu’on apprend à l’ENA. L’ancien condisciple de Hollande a trouvé une solution intelligente : il reconnaît avoir menti, mais bien sûr, aurait expliqué à l’ancien Premier Ministre que cette intrusion de l’exécutif dans le judiciaire était impossible. Ce qu’on peut être distrait, a dû se dire l’ex-locataire de Matignon. Mais maintenant, il nie absolument avoir tenu de tels propos et accuse son convive de mensonge au carré !
Parole contre parole, personne ne peut être certain de ce qui s’est dit au Pavillon Ledoyen, sauf les participants au repas. Il est toutefois instructif de retracer les épisodes du feuilleton. Il se peut qu’un candidat à l’Elysée, et amateur de course automobile, soit à ce point ulcéré d’avoir manqué la présidence de l’UMP et d’être relégué à la troisième place du concours, qu’il n’hésite plus à faire flèche de tout bois contre son ancien et, horreur, peut-être futur président. Dans ce cas, le bras droit de Hollande, serait non seulement un menteur, mais également un manipulateur, puisqu’en confirmant, après les avoir démentis, les propos enregistrés, il en ferait porter la responsabilité à un membre de l’opposition afin de jeter la discorde dans les rangs de celle-ci. Si la conversation n’a pas abordé le sujet, comme l’affirme, la main sur le coeur, celui qui est accusé de trahison, alors c’est notre distingué chevalier des cercles de la technocratie qui se révélerait un personnage douteux, chargé par un cabinet noir d’envoyer des boules puantes dans le camp d’en face. Comment concevoir une pareille vilenie au sommet de la République ? C’est en définitive son auteur qui est le plus atteint et dont l’UMP, réunie, offusquée, atteinte dans un honneur qu’on sait sans tâche, demande la tête en guise de réparation. Elle en profite même pour protéger la victime du complot, celui qu’on a voulu injustement accuser de traîtrise, comme si ce garçon pouvait commettre de tels méfaits. En somme, en premier lieu, un membre de l’UMP aurait essayé d’en dégommer un autre, par le truchement du camp d’en face. Celui-ci en profite pour susciter la zizanie dans le camp ennemi et atteindre d’un seul coup, les deux têtes de l’ancien exécutif. La balle ricoche sur l’auteur des indiscrétions et sur la Présidence elle-même. La proie initiale devient le bénéficiaire de l’opération : victime d’un acharnement judiciaire téléguidé par un Président honni, elle est néanmoins magnanime à l’égard de ceux qui l’auraient peut-être trahie et peut regagner la Présidence de l’UMP, avec une image moins altérée et un parti plus rassemblé.
Pour quelqu’un comme moi, qui ai fréquenté ce beau monde, sans jamais lui appartenir, aucune hypothèse, même la pire ne doit être écartée. La seule révélation de cette affaire est que la plupart des gens qui dirigent notre pays, et notamment ceux qui sont évoqués ici, n’ont pas les qualités pour le faire. Le beau linge énarchique a peut-être voulu que la famille UMP lave publiquement son linge sale. Or, ce n’est pas le linge qu’il faut changer, mais ceux qui le portent.
3 commentaires
Pendant que cette sombre histoire occupe le devant de la scène, le pays continue à s’enfoncer.
Peut-on encore de nos jours être “propre et honnête” pour réussir dans le monde politique ? Si la réponse est non,c’est démoralisant si la réponse est oui….quel courage !
Je dois avouer que je ne comprends pas pourquoi on s’étonne des manoeuvres de Fillon contre Sarkozy avec l’appui d’un haut fonctionnaire qui a mangé à tous les râteliers.
C’est une belle illustration que l’UMPS existe bien et fonctionne à plein régime y compris quand il s’agit de nuire à quelqu’un de leur propre camp. On voit en plein jour un exemple de saloperie que peuvent se faire ces gens portant costumes de prix et qui donnent des leçons de morale et des cours de maintien à tout le monde.
Cela prouve surtout que la Justice ou au moins une partie d’entre elle, a perdu sa neutralité, son indépendance, sa dignité et son prestige. A force de proximité et de collusion avec le pouvoir politique, cette institution s’est politisée, rend une justice politique et se dirige donc vers son naufrage.