Notre époque est celle de la liberté paradoxale. Sartre avait déjà cultivé le paradoxe avec son ” Jamais nous n’avons été plus libres que sous l’occupation allemande”. Il voulait dire par là que la présence du vainqueur, l’oppression militaire et la censure éveillaient la volonté de s’engager, de résister face à la contrainte et à la répression. On pourrait préciser que son engagement fut tardif et discret et que beaucoup d’intellectuels et d’artistes ont été “libres” de façon plus triviale, en jouissant de la vie avec les Allemands sans trop se soucier des malheurs de la majorité des Français. Patrick Buisson le décrit très bien dans “les Années érotiques”. Il est vrai que la liberté étant rare, certains jouissent davantage du peu qu’ils en ont quand tous les autres en sont privés. C’est un aspect moins reluisant du paradoxe.
Aujourd’hui, le paradoxe s’est déplacé sur deux fronts opposés. Depuis 1968, les naïfs pouvaient penser que les pavés ayant découvert les plages, il était interdit d’interdire dans le meilleur des mondes libertaires. En fait, notre société a glissé dans un chaos où la pornographie côtoie l’inquisition et les nouveaux commissaires politiques. Ce mouvement offre une apparence de logique. Ce qui était en bas et proscrit hier devient sacré et protégé aujourd’hui, tandis que les anciens blasphèmes deviennent paroles d’évangile républicain. Mais ce n’est pas si simple. Le sacré d’ailleurs et de toujours prend plus de poids que celui d’ici. Chacun doit lutter contre le fruit de son éducation : c’est un tissu de préjugés qu’il faut arracher. La censure a disparu en surface, mais l’autocensure règne dans la mesure où chacun doit se méfier de lui-même et de ce qu’on lui a enseigné. Les générations qui avaient appris la décence dans les propos et les comportements, mais aussi à préférer les moeurs et les coutumes de leur culture doivent réévaluer en permanence les critères de leurs jugements. Le cadre moral est devenu flasque comme une méduse, mais ,comme elle, il pique de manière inattendue et brutale pour punir ce qui vous paraissait une évidence et devient un sacrilège. Des voix catholiques se font entendre pour trouver excessif le soutien à un journal qui après l’attentat qu’il a subi récidive dans la caricature du prophète, mais on ne les avait guère entendues lorsque le même affichait une très pornographique sodomie trinitaire à sa une. Il n’y a pas chez nous de police des moeurs comme en Arabie saoudite, mais il y a une police de la pensée qui traque les hérétiques. Elle est constituée de multiples associations qui dénoncent non seulement les faits, mais les pensées et leurs intentions. Le racisme ou l’homophobie sont pourchassés par des associations souvent suivies dans leurs chasses aux sorcières par les Parquets, voire par les Juges. Les prétendues victimes des propos dits “sulfureux” peuvent être abstraites. Les associations dotées de subventions ne le sont pas et les coupables “intentionnels”, seront condamnés non seulement à des amendes mais aussi à leur verser des dommages et intérêts. L’idée qu’une double inégalité entre l’individu et le groupe, entre l’appartenance et la non-appartenance à une catégorie protégée, est une bien étrange pratique de la justice n’effleure pas le Législateur. Un pâtissier a récemment été accusé de racisme par le Cran pour vendre des gâteaux au chocolat représentant des “noirs” aux organes avantageux. Cet événement, comme le gâteau lui-même sans doute, est un régal : cette association prétend regrouper et défendre les “noirs”, comme si la pigmentation de la peau avait une quelconque valeur juridique et humaine dans notre pays. N’est-ce pas chez elle que se loge le racisme puisqu’elle méconnaît la véritable diversité qui est culturelle et personnelle et n’a que faire de la couleur ? Il fut un temps où les puritains auraient dénoncé ces friandises de mauvais goût pour leur caractère licencieux. Non ce n’est pas la taille du zizi mais la couleur de son détenteur qui doit être retirée de la vue des enfants !
Faute de liberté de penser, nous possédons au moins celle de nous déplacer, de communiquer en privé et de cultiver nos jardins secrets. Pas si sûr ! Si un respect très sélectif nous prive de la première, c’est la sécurité qui va sournoisement nous ôter la seconde. L’automobile était un extraordinaire vecteur de liberté individuelle. Pollueur, dangereux et encombrant, il est désormais hypertaxé et condamné à limiter sa vitesse, voir ses lieux et ses temps d’utilisation. Pendant que le délinquant se prélasse en prison, avec drogue et portable à disposition, l’automobiliste fait profil bas entre deux retraits de points et se représente à lui-même comme un criminel en sursis. Mais la sécurité alimentaire a introduit un nouveau concept : la traçabilité. L’ennui, c’est que nos déplacements, et nos goûts sont également devenus traçables et que nous sommes en permanence “tracés”. Avec un smartphone muni d’un GPS, la localisation de son détenteur est précise au mètre près. Notre carte de crédit permet également de suivre nos pérégrinations et de dessiner notre profil de consommateur. Des puces RFID sont incorporées à certains produits qui facilitent la localisation voire l’identification de l’acheteur. La navigation sur le net et sur les réseaux sociaux révèle aussi beaucoup de nos habitudes. Là encore, certains utiisateurs peuvent être coupables, et la licence offerte apparemment aux déviants peut être piégée. Big Brother est donc en marche, mais dans le meilleur des mondes hédonistes. Présent discrètement, il accompagne nos jeux. Il peut au besoin se faire bon policier repérant la présence d’un complice à proximité du crime. Mais il peut être envahissant par le biais d’écoutes intempestives et surtout, ce n’est pas forcément l’Etat protecteur et non plus le dictateur qui l’utilise. Son champ dépasse les frontières et ses commanditaires deviennent parfois des acteurs privés. Les Etats-Unis et leurs alliés anglo-saxons veillent sur leur sécurité et sur la nôtre au moyen du système automatisé d’écoutes “Echelon”. La NSA peut écouter tout le monde dés lors que le Sésame est prononcé. Mais la multiplication des publicités sur un type de produits dont vous êtes friands montre aussi que votre ordinateur préféré est une fenêtre ouverte sur votre intérieur tout autant que sur le vaste monde. Votre champ de liberté ne sera plus délimité par les lois et les tribunaux de votre pays, mais par l’Ethique et les tribunaux de la société étrangère qui maîtrise l’outil utilisé. C’est ainsi qu’un amateur de Courbet s’est vu interdire Facebook. Le sommet sera atteint avec la puce bancaire, médicale et carte d’identité à la fois, implantée sous la peau et qui permettra de savoir qu’une personne s’étant livrée à quelque effort intime risque un foudroyant infarctus dans un hôtel lillois ou new-yorkais. !
Bref, nous savourons un délicieux mélange de 1984 et du Meilleur des Mondes. Certes, nous sommes plus libres que sous l’occupation mais à condition de résister aux totalitarismes mous de notre époque, et surtout d’être conscients de leur existence.
2 commentaires
Et ce sont les libertaires qui tuent la liberté. Mais il a fallu que la résistance à ce système totalitaire s’organise et s’exprime pour s’apercevoir que la répression était dissimulée derrière.
Le refus du peuple de certains projets qui avaient un caractère très symbolique à savoir notamment le mariage pour tous a révélé l’immense supercherie. Cela a coïncidé avec la révélation de la propagande à grande échelle des médias subventionnés.
On a enfin compris que nous avons été drogué et endormi pendant des décennies par une nébuleuse où tout le monde se tient par la barbichette. Aujourd’hui, nous avons devant nous des libertaires à qui on a arraché le masque et l’on voit leur visage d’idéologue, de doctrinaire.
Notre liberté est premièrement celle de penser et cela suppose en premier lieu une cure de désintoxication en nous sevrant de la com’ et de la propagande médiatique et publicitaire.