150 000 soldats, 100 avions : l’Arabie saoudite n’a pas lésiné ni traîné dans son intervention contre les “Houthis” du Yémen. Certes, ce pays est pour elle le dangereux et remuant voisin du sud, mais son voisin du nord, l’Irak, connait lui aussi la guerre. Le contrôle d’une grande partie de son territoire par l’Etat islamique n’est pas plus rassurant que la domination exercée désormais sur une vaste portion du Yémen par les milices “houthies”. La retenue dans un cas, l’emploi massif de la force dans l’autre suscitent la réflexion.
En premier lieu, cette situation achève de peindre le bilan chaotique de l’action menée par le Président américain le plus nul de l’Histoire récente. Le prix Nobel de la paix par anticipation et sympathie idéologique affiche le record absolu de désordres et de conflits engendrés par sa politique. Une collection de guerres civiles s’est développée dans la partie du monde où il avait prétendu changer radicalement la vision américaine dans son discours du Caire. Certes, les choses ont changé : elles sont devenues pires. Le seul pays arabe qui semble avoir vraiment connu le printemps, la Tunisie, a retrouvé ses dirigeants d’avant la révolution, le dictateur corrompu excepté. Pour cela, il a dû passer par la case islamiste et se trouve aujourd’hui confronté au terrorisme qui mine sa principale ressource, le tourisme. “C’était bien la peine de changer de gouvernement”, chante-t-on dans la fille de Mme Angot. L’Egypte a renoué avec un régime militaire, mais doit combattre les menées islamistes dans le Sinaï. La Libye voit s’affronter deux gouvernements dans un chaos général. L’Etat islamique y a pris pied. Le Liban et la Jordanie sont fragilisés par les tensions internes et l’afflux des réfugiés. La Syrie ne sort pas d’une sanglante guerre civile entre les islamistes soutenus par les Turcs et le régime baassiste. Il ne reste plus grand chose des gentils opposants démocrates et modérés, armés, en dépit du bon sens, par Obama. L’Etat islamique occupe presque la moitié de l’Irak et les Kurdes d’une part, l’armée nationale d’autre part peinent à le faire reculer. L’armada occidentale se contente de piqûres de moustique aériennes. Et voilà que le Yémen qui, lui aussi, avait connu le “Printemps” avec le départ du Président Saleh en 2012, sombre dans l’anarchie, avec le renversement du nouveau président, le maréchal Hadi, la prise de la capitale, Sanaa, par les rebelles “houthis” et leurs avancées vers Aden et le sud du pays, arrêtées par l’intervention, cette fois énergique, de l’Arabie saoudite et d’une dizaine d’alliés.
Jamais sans doute, les deux symboles des partis politiques américains n’ont semblé plus pertinents. Le Président G.W.Bush hier, la majorité du Congrès aujourd’hui semblent des éléphants républicains dans le magasin de porcelaines moyen-oriental : invasion de l’Irak pour faire tomber Saddam Hussein, guerre à outrance contre la Syrie de Assad. Quant à Obama qui n’a manifestement rien anticipé ni compris, buté, borné, refusant d’avancer, il reste fidèle à l’âne démocrate. Son aviation en est à bombarder les forces de l’Etat islamique tout en fournissant des armes aux opposants “modérés” à Assad, deux adversaires que combattent également les Islamistes. Avec la même incohérence, elle bombarde les islamistes en Irak pour soutenir l’armée de Bagdad, renforcée par les milices chiites soutenues et équipées par Téhéran, l’allié de Damas. Pour achever ce tableau surréaliste, où triomphe la logique des non-A d’Obama, les Etats-Unis apportent leur aide à l’offensive saoudienne au Yémen, contre les Chiites “houthis” opposés aux terroristes d’Al-Qaïda et de l’Etat islamique implantés dans ce pays. Dans le même temps, Washington qui soutient l’Arabie saoudite contre l’Iran au Yémen, et les amis de l’Iran au pouvoir à Bagdad contre des islamistes, eux-mêmes salafistes comme les Saoudiens, veut aussi trouver une sortie de crise nucléaire avec le régime des Ayatollahs. Doit-on préférer l’ami de mon ennemi ou rechercher l’amitié de l’ennemi de mes amis ? Doit-on aider ou écraser l’ennemi de mes ennemis parce qu’il n’est pas l’ami de mes amis ? Ou l’on atteint le sommet du machiavélisme, ou l’on constate une absence de stratégie, que remplace un ensemble confus de contradictions..
Cette situation inextricable est un noeud que l’Histoire s’est plu à compliquer à l’extrême. La rivalité des Perses et des Sémites est séculaire. Elle a emprunté le visage de l’opposition entre les Sunnites, arabes ou turcs et les Chiites iraniens. Le Chiisme n’est pas qu’iranien, mais sous ses différentes formes, il s’appuie aujourd’hui sur L’Iran. Le nationalisme arabe associé à des figures de dictateurs d’origine militaire a constitué une troisième force souvent alliée à l’URSS contre les Etats-Unis proches des pays plus religieux. C’est cette troisième force qui a été ébranlée par l’action des Etats-Unis et de leurs alliés. Jusqu’en 1962, le Yémen était une monarchie religieuse chiite. L’Egypte de Nasser y a fomenté un coup d’Etat militaire pour installer une dictature laïque dont le Président Saleh est devenu l’Homme fort. L’Arabie saoudite avait soutenu les royalistes, mais mollement, car il étaient Chiites. Saleh a rejoint le camp occidental avec l’Egypte et a bénéficié, à la chute de l’URSS, de l’unification avec le Sud-Yémen, demeuré l’allié de celle-ci. En revanche, il n’a pas soutenu l’intervention des Occidentaux contre Saddam. Le nationalisme arabe les reliait.
Par son histoire, le Yémen superpose tous les affrontements. Les “Houthis”sont des Chiites zaydites, héritiers de l’ancien royaume et majoritaires au nord. Le Président chassé de Sanaa par leur irruption, le maréchal Hadi est un sunnite du Sud, un ancien officier du Sud-Yémen pro-soviétique. Les “Houthis”doivent leurs succès à la participation des troupes yéménites fidèles à l’ancien Président Saleh, un zaydite du nord, officier nassérien avant ses 33 ans de pouvoir sans partage. Au sommet de cette confrontation, il y a le vieux duel entre Américains et Russes que l’administration Obama a stupidement relancé. Leurs “champions” sont les Saoudiens et les Iraniens. Cette rivalité s’est muée en résurgence de la guerre de religion qui a marqué l’islam dès son origine entre Sunnites et Chiites. Celle-ci est aujourd’hui utilisée par les dictateurs qui auparavant se situaient dans une logique nationaliste et laïque. On comprend bien l’émoi de Washington devant la perspective de voir leur vieil allié wahabite menacé par l’Iran, devant le risque de voir Téhéran contrôler les détroits. Mais ce qu’on ne comprend pas c’est l’incapacité des Etats-Unis à aller à l’essentiel et à y aller vite, d’abord en reconnaissant à la Russie la place qu’elle mérite, ensuite, en mettant fin à l’Etat islamique, étonnamment préservé et qui bénéficie de la complaisance, de l’inertie ou de la mollesse de prétendus alliés du monde libre, empressés de prouver leur solidarité avec tous les Sunnites, même les plus intégristes.
2 commentaires
quelle pagaille ! un cochon n’y retrouverait pas ses petits ! (c’est de l’humour, noir !) mais que faire ?
Vous avez tout à fait raison de souligner l’impore ce sujettance des événements qui se passent actuellement au Yemen et et que nos médias ignorent bien évidemment. Deux coalitions s’affrontent et les forces en présence sont conséquentes.
Pour faire de la ré-information, je conseille la lecture de deux articles qui traitent de ce sujet.
1- Sur le site METAMAG : YEMEN : LE COUP DE POIGNARD D’ISRAEL – Comment on piège les États-unis de Michel LHOMME
2- Sur le site CF2R : YÉMEN : IRAN – PAYS SUNNITES LA GUERRE EST LANCÉE par Alain RODIER