Les deux font la paire. Les couples formés par le Ministre de la Justice et celui de l’Intérieur depuis Badinter et Deferre font partie des grands classiques. Le premier est parvenu à obtenir l’abolition de la peine de mort. Le second ne l’excluait pas pour les trafiquants de drogue. Clown blanc et auguste, Dr Jekyll et Mr Hyde : les rôles sont convenus. Le Garde des Sceaux doit incarner la sagesse circonspecte de la Justice, le second la passion de l’ordre public et la répression des délinquants. La balance d’un côté, le Kärcher de l’autre. La version actuelle de la comédie a innové en inversant les personnages. C’est la Ministre de la Justice qui affiche l’originalité et cultive l’excès. Arrivées à l’Elysée, casquée et à vélo, parole ampoulée, attitudes belliqueuses envers l’opposition, gestes ostentatoires : la dame respire la boursouflure de l’ego. Curieuse justice qui manque d’équilibre et de retenue ! A l’inverse, le Ministre de l’Intérieur distille des propos mesurés, apaisés et apaisants, dans une tenue toujours impeccable, d’une élégance classique qui doit faire rougir le locataire de la Présidence, le visage impavide et la posture hiératique. L’ordre républicain sera assuré avec fermeté et sérénité, nous assure-t-il. Un vrai psychotrope !
Sans doute ce jeu de rôles a-t-il un effet positif chez certains. Les militants doivent se sentir proches d’une ex-indépendantiste emphatique. Les braves gens doivent être rassurés par l’allure tranquille du responsable de leur sécurité. Mais cette mise en scène révèle ce qu’est devenue la politique, un pur jeu de communication. Jamais le fossé entre les discours et la réalité n’a atteint une telle largeur. Pour ceux qui, de plus en plus nombreux, échappent à l’hypnotisme des médias, les déclarations des politiciens deviennent grotesques et insupportables face à une réalité qui leur échappe et les contredit à jet continu. Qui a vu les avocats brutalisés devant le Palais de Justice de Lille, alors qu’ils manifestaient pacifiquement, et des bandes de casseurs à l’oeuvre à Moirans, sans que la police ait procédé à la moindre interpellation, conclut à la double défaillance de la Justice et de la police, incapables de faire respecter l’ordre et de défendre les biens, mais efficaces quand il s’agit de réprimer la liberté de manifester. La contravention distribuée par une machine cible l’automobiliste sans rémission. La peine statistiquement rare prononcée contre le délinquant, fût-il récidiviste, est plus rarement appliquée encore, rapidement amputée, et toujours regrettée par une justice plus soucieuse de “réinsertion” que de réparation, plus attentive au condamné qu’à sa victime, quand elle n’est pas simplement entravée par la gestion hôtelière d’un équipement pénitentiaire indigent. La Justice française est lente, dispose de peu de moyens et subit l’idéologie dominante, prompte à criminaliser l’ordre injuste et à absoudre ses prétendues “victimes”. Quant à la Ministre, pasionaria de la “révolution” gay, lorsqu’elle parle de “bataille”, ce n’est pas contre le crime, mais pour obtenir le droit à la “procréation médicalement assistée” pour les “couples” de femmes. L’idéologie du désordre à la Chancellerie de la place Vendôme, est-ce bien raisonnable ?
Le calme du résident de la place Beauvau pourrait nous consoler. Toujours présent au lendemain des émeutes ou des attentats, prêt à s’épancher sur les victimes et à féliciter les forces de l’ordre, il serait rassurant s’il n’offrait pas l’image du pompier arrivant quand la maison a brûlé et éteignant avec l’eau tiède de ses discours les flammes du mécontentement plutôt que celles de l’incendie. Les 10 000 policiers qui ont protesté Place Vendôme, où manifestent aujourd’hui même les personnels pénitentiaires, auraient pu le faire tout autant devant les grilles du Ministère de l’Intérieur. La réalité cruelle est que les policiers et les gendarmes, indépendamment des freins et des lourdeurs que leur imposent les Magistrats, n’ont plus la possibilité de répondre à leur mission. Leurs syndicats ou leurs représentants, comme ceux des gardiens de prison, vont demander des moyens, et ils ont raison, mais chacun sait que le vrai problème est ailleurs. Il est d’abord dans l’effondrement de l’autorité de l’Etat. Des quartiers sont abandonnés aux bandes et aux réseaux, des “communautés” s’arrogent des privilèges, le recours à la violence progresse quand l’Etat renonce à sa spécificité d’être l’unique détenteur de la violence légitime. L’émeute des “gens du voyage” de Moirans résulte évidemment du blocage de l’autoroute A1 dans des circonstances analogues, sans suite judiciaire autre qu’une réponse positive à la demande des émeutiers. Les policiers ont peur d’utiliser leurs armes. Les personnels des prisons ont peur en permanence. Les responsables politiques ont peur de faire exploser les chaudrons en utilisant la force contre des gens dangereux, et parfois, simplement en faisant appliquer la loi, par exemple celle qui interdit le voile intégral. La contrainte physique est donc réservée aux gens qui ne sont pas agressifs. Les avocats l’ont appris, comme naguère les manifestants pour la famille. Notre prétendu Etat de droit n’est plus qu’un rapport de forces.
La totale incompétence de nos gouvernants n’arrange rien. Ils ont multiplié les missions sans s’inquiéter de leur cohérence et de leur faisabilité. C’est ainsi qu’on veut réduire la foule des migrants qui assiège Calais comme on combat une inondation à la petite cuillère. Un avion transporte donc 5 clandestins encadrés chacun par deux policiers jusqu’à un centre de rétention qu’ils quittent dans les deux jours pour regagner les rives de la manche. Cette opération superflue coûte au bas mot 23 000 Euros. Le nombre des personnalités et des lieux protégés croît sans cesse de même que celui des fiches de signalement émises. L’expérience montre que ces mesures déconnectées des moyens ne peuvent atteindre leurs objectifs. Le duo Taubira-Cazeneuve occupe la scène de manière non seulement inutile, mais nuisible. C’est sans doute dans ce domaine de la sécurité, ou de la sûreté, première liberté des citoyens selon Montesquieu que la révolution conservatrice devrait urgemment faire son oeuvre.
6 commentaires
La plus grande partie de ce que vous dénoncez, cela existait déjà sous Chirac et sous Sarkozy. Notre pays connaît, à défaut d’une autre, au moins une grande stabilité juridique.
Oui, comme je le dis, c’est un grand classique. Ce qui change profondément, ce n’est pas l’absence de résultat. C’est la distribution des rôles.
Monsieur Vanneste, vous faites preuve d’un véritable talent littéraire, j’allais dire épistolaire.
A l’attention de Courouve: les méfaits du socialisme sont évidemment clairement dénoncés ici. Le vrai problème, c’est Sarkozy et les autres: quelle alternance?
Je vous fait la pub de mon bouquin “Economie ou socialisme: il faut choisir” où la configuration mentale et le potentiel, notamment la capacité à diriger, des politiques sont décortiqués et notés. Vous verrez: ce n’est pas triste.
Monsieur Vanneste , je me permets de relever une erreur d’orthographe afin que vous puissiez la corriger :arrivée et non arrivées neuvième ligne.
Pour le fond, je suis en phase avec vous.
Elle n’est pas arrivée une seule fois. Ce sont donc des “arrivées” et à chaque fois elle était casquée… Il n’y a donc aucune faute.
Laxisme judiciaire ? Allons donc ! Aujourd’hui il y a 66 000 détenus + 80 000 condamnés à des peines de prison ferme non appliquées faute de place. Soit 7 fois plus qu’il y a 4 décennies où nos prisons ne comptaient que 20 000 détenus ; peines alternatives ou de substitutions n’existant pas. Laxisme voire lâcheté politique plutôt et là il n’y a pas d’étiquette. J’écoutais Xavier Bertrand ce matin qui veut créer un ministère de l’autorité. Louable initiative. Marine Le Pen comme ministre ?
3 jeunes manifestent dans la rue contre une réforme et nos gouvernants font dans leur culotte. Cà fait 40 ans que cela dure.