La France est, quoiqu’on prétende, une démocratie qui fonctionne mal. Après des révolutions, des coups d’Etat, des défaites militaires et des occupations dont la dernière a été totale, au bout de 15 constitutions, la France est toujours une démocratie bancale. Son souverain devrait être le peuple. Son pouvoir devrait être limité par des principes fondamentaux inscrits dans le préambule de la Constitution. Il devrait également être divisé en trois, le législatif pour écrire la loi, l’exécutif pour l’appliquer la loi et conduire la nation dans le cadre constitutionnel, la Justice pour faire respecter la loi, garantir l’ordre public et les libertés, régler les différends entre les personnes et faire reconnaître leurs droits. Or, en l’absence de votations à la suisse, le peuple n’est pratiquement jamais consulté, et quand il répond “mal”, on s’empresse de contourner ses choix. Les principes fondamentaux qui encadrent cette volonté populaire à éclipses prolongées sont “interprétés” par un Conseil Constitutionnel non-élu, qui peut s’en servir pour castrer le Parlement. Celui-ci est de moins en moins représentatif, peuplé d’apparatchiks des partis, dont la compétence et la culture sont en chute libre, qui y trouvent la satisfaction d’ambitions sans rapport avec leurs faibles talents. Une partie de leur temps consiste d’ailleurs à entériner les directives des technocrates de Bruxelles. La Justice qui n’est qu’une autorité, et non un pouvoir, réclame des moyens qui sont scandaleusement insuffisants dans notre pays. Les Parquets soumis aux directives générales du Ministre voudraient plus d’autonomie mais les magistrats, en repoussant avec dédain l’idéologie du “tout-sécuritaire”, montrent que leur conception corporatiste du droit méprise les exigences légitimes du Peuple. D’amont en aval, c’est le peuple, le “démos”, le gêneur qui est laissé sur la rive.
Les contradictions et les défaillances du système éclatent aujourd’hui au grand jour. Ainsi, la Justice veut donc être plus indépendante. Pour l’être, pour être un pouvoir, elle devrait s’appuyer sur une légitimité démocratique. Les juges devraient être élus ! En tant que parlementaire, je souhaitais une extension des jurys populaires. Le nombre des jurés a été diminué : plus de juges, moins de peuple. Sans justification démocratique, à quoi servirait l’autonomie judiciaire ? A interpréter les textes en fonction de l’idéologie afin de contrecarrer la volonté du Législateur ? C’est l’option manifeste d’un syndicat, rendu célèbre par le “Mur des Cons”. A suivre les vents dominants de l’opinion fabriquée par les médias ? Après la grâce présidentielle à l’issue d’une campagne bien orchestrée, le permis de tuer un mari violent semble avoir été délivré. L’affaire suivante a, comme par hasard, abouti à une peine avec sursis. Il est assez étonnant que personne ne soulève l’extraordinaire défaillance d’un système dont le droit, la police, les services sociaux, et la Justice ont largement les moyens d’empêcher de tels drames en amont. Dans notre société folle, on se contente d’applaudir à l’impunité de la justice personnelle pendant qu’on continue de s’interroger sur le droit des policiers à faire usage de leur arme contre des malfaisants. L’affaire d’Outreau est un autre exemple de cette justice-girouette, alors obsédée par les questions de pédophilie et de mise en cause de réseaux comprenant des notabilités.
Le doute envahit l’ensemble du système et suscite la multiplication des contestations violentes. La compétence des politiques est devenue un sujet de plaisanterie. Leurs bourdes à répétition et leur tendance à s’enliser dans des questions abstraites éloignées des problèmes concrets des Français les privent d’un respect indispensable à la démocratie. Ceux qui surnagent dans une flaque d’affaires douteuses éveillent le soupçon sur la corruption de l’ensemble. Pour un Cahuzac, combien de Thévenoud, de Balkany, de Lavrilleux ou encore de Sylvie Andrieux, etc ? Lorsque l’estime disparaît dans la majorité, alors naît ici où là le sentiment que tout est possible sinon permis. Le système ressenti comme injuste appelle chacun à se faire redresseur de torts. Et c’est le plus souvent la Justice affaiblie qui doit faire face à cette dérive. Or, son arme de dissuasion, la prison est devenue en même temps qu’une peine aléatoire, une sorte de logement temporaire et gratuit de durée variable. Rien d’étonnant à ce qu’on demande à en sortir pour raison personnelle. Le refuser justifie que l’on bloque une autoroute ou qu’on saccage une ville pour se faire entendre. L’exigence d’une famille l’emporte sur le Bien Commun. Une minorité qui s’érige en victime, les “gens du voyage” en l’occurrence, se donne désormais plus de droits que la majorité. Quand les tribunaux se font plus sévères avec des grévistes qui ont séquestré les cadres de leur usine, alors c’est le syndicat d’une entreprise nationale qui fait une grève par procuration. Les explications données par M. Oussedik de la CGT sont hallucinantes : il serait logique d’empêcher la libre circulation des usagers du métro parisien pour défendre les droits syndicaux et la liberté d’expression, comme si la séquestration, la privation de liberté pour autrui, était une “expression” ou un droit syndical ! Si on ajoute à cela les occupations illégales d’immeubles, de terrains ou de voies publiques, les raids dévastateurs sur des centre-villes comme à Rennes récemment, et sans oublier les quartiers d’où la République s’est retirée, l’impuissance publique, les décisions politiques ou judiciaires rendues arbitraires par l’idéologie ou le rapport de forces, révèlent l’épuisement du système et la nécessité d’une franche rupture.