L’Europe est un vieux continent dont la population vieillit. Il souffre d’une maladie politique qui se répand de jour en jour. La politique n’y est plus gouvernée que par la peur. Des régimes d’oppression peuvent s’appuyer sur la crainte qu’ils inspirent. Les nations libres doivent pouvoir choisir entre les espoirs que soulèvent les candidats qui se présentent aux suffrages des électeurs. Lorsque l’un d’eux parvient à cristalliser cet espoir en une formule porteuse comme Kennedy l’avait réussi avec la “nouvelle frontière”, alors la démocratie est ce qu’elle doit être, et personne n’imaginerait devoir dénoncer cet élan en l’accusant d’être populiste. Malheureusement, partout en Europe la peur a remplacé l’espoir. L’Europe ne fait plus rêver. Elle n’ouvre pas un avenir, elle rend le présent angoissant. Les angoisses se télescopent et provoquent des résultats électoraux de moins en moins prévisibles. Le long terme n’est plus accessible aux gouvernants. La conduite des nations devient une navigation à la godille entre les récifs.
La peur, qui est loin d’être un fantasme, de voir les Européens submergés par une immigration excessive venue de cultures par trop différentes et rétives à l’assimilation, la peur de n’être plus chez soi, de perdre une identité qu’on a reçue et qu’on désire transmettre, voilà qui a joué le rôle principal dans le vote des Anglais en faveur du brexit. S’y est ajoutée la crainte de voir les étrangers occuper les emplois et, ce faisant, peser sur les salaires et le chômage. Maintenant que le peuple s’est prononcé, d’autres inquiétudes se font jour sur les conséquences de ce choix. Les Irlandais du Nord redoutent de voir réapparaître la frontière avec leurs voisins du Sud et de ne plus pouvoir circuler aussi facilement sur le continent. Beaucoup par précaution cherchent à obtenir la citoyenneté de la République d’Irlande. Les Ecossais demandent un nouveau référendum sur l’Indépendance de peur de se trouver pris dans les difficultés économiques britanniques issues du retrait de l’Union Européenne.
Les Espagnols ont élu leurs députés hier. Durant ces élections, deux peurs se sont affrontées. La première avait expliqué le recul du Parti Populaire et la montée de l’extrême-gauche de Podemos en Décembre 2015. Ce parti qui se réclame du nébuleux mouvement des Indignés a prospéré comme Syriza en Grèce sur les appréhensions légitimes d’une partie de la population devant les mesures d’austérité imposées par Bruxelles et un taux de chômage monstrueux de 25%. Il a utilisé et développé une véritable phobie à l’encontre du capitalisme et de la mondialisation, en mélangeant dans son réquisitoire les soucis de justice sociale et de risque environnemental. Il est en Espagne le parti de la peur. Mais c’est le Parti Populaire qui a remporté les élections du 26 Juin, plus fortement que prévu, sans toutefois atteindre la majorité. On pourrait penser que les résultats relativement bons sur le plan économique et la baisse du chômage expliquent ce succès modéré de Mariano Rajoy. Il n’en est rien. Le gain de 700 000 voix et la perte de plus d’un million d’électeurs par Podemos proviennent de la panique qui a saisi nombre d’Espagnols après le brexit. Immédiatement, les taux d’intérêts ont bondi dans ce pays où la dette vient de franchir les 100% du PIB, la bourse a chuté de 12% à Madrid. Les Espagnols ont pour beaucoup préféré ce qu’ils tenaient plutôt que le risque et l’incertitude d’un bouleversement politique qui pouvait aussi conduire au démembrement du pays avec le souhait d’indépendance des Catalans.
Les écologistes auront au moins réussi à instaurer le règne du principe de précaution. Puisque nos dirigeants ne nous protègent pas, la prudence nous conduit à les désavouer. Mais si ce désaveu par sa brutalité produit de l’affolement, alors raccrochons nous à ceux qui nous gouvernent habituellement. Au moins, on les connaît. L’Europe est soumise au balancier des peurs. Elle est effrayée des menaces qui pèsent sur elle et obscurcissent son avenir, l’invasion migratoire qui suscite la poussée de l’extrême-droite et la crise économique avec la descente aux enfers de la rigueur qui anime la progression de l’extrême-gauche. La chancelière allemande, Madame Merkel a joué dans ce choc des peurs le rôle essentiel. L’Allemagne a été portée par l’espoir de la réunification qu’elle a réussie. Elle est grâce à son Mark bon marché, qu’on appelle l’Euro, la première puissance européenne. Elle ignore la peur beaucoup plus que les autres. La seule frayeur qui l’habite est celle de son terrible passé. Elle a donc sans vergogne appelé les autres Etats à plus de sérieux. Beaucoup ont du mal à répondre à son attente : ni la Grèce, ni l’Espagne, ni même la France n’ont pu atteindre les objectifs imposés. Elle a aussi appelé les migrants à venir chez elle, par générosité certes, par souci de se faire pardonner aussi, mais surtout devant l’effroi que suscite son hiver démographique.
Assiégée par le terrorisme, envahie par des étrangers qui ne s’assimilent pas, dépassée par les nouveaux venus de l’économie planétaire, l’Europe n’est plus gouvernée que par les peurs antagonistes. La seule révolution qui vaille serait que des hommes politiques soient capables de lui rendre l’espoir, l’espoir d’être elle-même, d’être une puissance qui protège, certes, mais qui compte dans le monde. Il faudrait pour cela que quelques hommes à la tête des principales puissances du continent redonnent sa vigueur au projet du Général de Gaulle d’une Confédération de nations. L’Europe n’a pas besoin d’autre chose.