Le Président Donald Trump s’est envolé pour un périple de 12 jours sur les rives asiatiques du Pacifique : Japon, Corée du Sud, Chine, Vietnam, et Philippines. Le contexte est à l’évidence d’une densité inégalée. Comme l’avait pronostiqué Alain Peyrefitte, la Chine s’est réveillée. Elle pèse de tout son poids sur le monde présent au sein duquel elle s’est hissée au second rang de la puissance économique. Son dirigeant actuel, Xi Jinping vient d’y être consolidé, lors du XIXe Congrès du PCC, comme le troisième grand homme du pays après Mao Zedong et Deng Xiaoping. La conquête du pouvoir par le parti communiste et l’installation de la révolution dans le pays avec un cortège de calamités, des millions de victimes, et des soubresauts ubuesques comme la révolution culturelle, ont marqué l’action du premier, le “grand Timonier”. Le second, le “petit Timonier” avec réalisme et habileté a fait décoller la Chine sur le plan économique. Le troisième veut désormais faire du géant économique une super-puissance mondiale sur le plan politique. Notamment à travers le projet d’une nouvelle Route de la Soie, la Chine développe son rayonnement et accentue par ailleurs sa présence sur tous les continents. Le 30 Juillet, le pays a étalé sa force militaire à Zhurihe, en déployant de nouvelles armes. L’idée que l'”Empire du Milieu” rétabli devienne la première puissance mondiale au milieu du siècle, et sur tous les plans, devient vraisemblable. C’est évidemment la hantise de Washington.
Dans l’ombre de la Chine, survit un régime qui est une sorte de fossile vivant du stalinisme, revisité par la tradition monarchique extrême-orientale, celui de la Corée du Nord, un épouvantail désormais hérissé de missiles porteurs d’ogives nucléaires et dirigé par un dictateur héréditaire qui semble sorti d’une bande dessinée. La Corée du Nord est à la fois une puissance militaire et un nain économique. Le caricatural Kim Jong-Un, qui parvient à peine à nourrir la population du pays, menace ses voisins immédiats, la Corée du Sud et le Japon, et se permet de défier les Etats-Unis. Il s’agit donc pour le Président Trump d’obtenir de la Chine qu’elle tempère son encombrant et remuant allié et de montrer que les Etats-Unis continuent à protéger leurs amis sud-coréen et japonais. Mais cette diplomatie sur fond de stratégie militaire a pour contrepoint la nouvelle politique économique américaine davantage protectionniste, comme l’a montré le retrait des USA de “l’accord de libre-échange Asie Pacifique” (TPP) dès l’arrivée de Trump à la Maison Blanche. Obama voulait équilibrer la vigilance militaire par l’ouverture économique. Trump veut une Amérique puissante économiquement et politiquement pour encadrer la montée en puissance de Pékin.
Au Vietnam, à l’occasion du sommet de l’APEC, l’organisation de coopération économique de l’Asie Pacifique, Donald Trump rencontrera Vladimir Poutine une nouvelle fois. Ce sera peut-être le point le plus important du déplacement. L’échange entre les deux hommes est crucial. On espérait beaucoup d’un changement politique positif de la part des Etats-Unis envers la Russie après le départ des démocrates de la Maison Blanche. Des pressions internes considérables ont empêché cette évolution aux Etats-Unis, y compris à l’intérieur du camp républicain. Certains continuent à caresser l’idée d’une destitution du Président américain en raison du rôle joué par la Russie dans les élections de 2016. Un Procureur spécial, ancien patron du FBI vient de mettre en accusation trois anciens conseillers du candidat républicain en raison de contacts avec des responsables russes durant la campagne. Ces soupçons d’ingérence ont sans doute conduit le Président Trump a faire preuve de fermeté à l’encontre de Moscou et de ses alliés syrien et iranien. En revanche, la Russie qui joue sur la diplomatie et la puissance militaire plus que sur l’économie a marqué des points. Elle a manifestement gagné la guerre en Syrie. Le Président Assad a consolidé son pouvoir, mais cette victoire provoque cette fois des inquiétudes beaucoup plus fortes que n’en suscitait l’Etat islamique auquel Obama s’attaquait avec une infinie mollesse. La libération de l’Est de la Syrie peut donner à Damas les moyens de se relever avec la reprise des puits de pétrole de la province de Deir Ez Zor. Elle peut surtout faire apparaître la consolidation de l’axe chiite, avec le Hezbollah de plus en plus puissant au Liban, une Syrie toujours dirigée par des alaouïtes, un Irak cette fois dominé par les chiites, et enfin l’Iran, le pays du chiisme. Trump, conscient de la crainte éveillée chez ses alliés régionaux, l’Arabie Saoudite et Israël, a d’une part refusé de certifier l’accord avec Téhéran sur le nucléaire, et a , d’autre part, multiplié les signaux de mise en garde en Syrie, avec des frappes ou des soutiens marqués à des groupes “rebelles” en concurrence avec l’Armée syrienne plus qu’en confrontation avec elle. La démission de Saad Hariri de son poste de Premier Ministre du Liban, annoncée depuis Ryad, les raids israéliens en Syrie contre le Hezbollah, témoignent de ce climat d’inquiétude. La Syrie est une preuve criante de l’échec de la politique menée par Obama et ses prédécesseurs au Moyen-Orient. La présence américaine ne se justifie plus sur le sol syrien dès lors que l’Etat islamique est vaincu. Les Russes, au contraire, sont là à la demande d’un gouvernement qui a conforté sa légitimité. La situation est donc doublement inégale sur les plans militaire et juridique.
La Russie n’est pas un danger économique pour les Etats-Unis. Elle a conforté et même, avec la Turquie, accru son réseau d’alliés, non seulement au Moyen-Orient, mais en Asie, où elle n’est pas sans relations avec son voisin, la Corée du Nord, ou encore en Amérique latine auprès de gouvernements peu reluisants mais qui gênent Washington. Si Trump avait les mains aussi libres chez lui que Poutine les a à Moscou, il semblerait hautement souhaitable que ces deux hommes trouvent avec réalisme un terrain d’entente. Ce serait logique entre deux patriotes appartenant à la même civilisation, deux héritiers lointains de Rome et de ses Aigles.
2 commentaires
Et si ces AIGLES se transformaient en colombes !!
C’est évidemment l’idée qui termine l’article. La Russie et les Etats-Unis sont des puissances chrétiennes, héritières l’une et l’autre de l’Europe et de Rome. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, c’est entre les puissances européennes ou issues de l’Europe que se jouait l’avenir du monde, à l’exception toute relative du Japon. Aujourd’hui, l’Europe elle-même est passée au second plan. Des puissances appartenant à d’autres civilisations sont apparues : la Chine, l’Inde, les pays riches ou très peuplés du monde musulman. La classique opposition de l’Empire de la mer avec celui de la Terre a pris fin entre les Etats-Unis et la Russie, cette dernière ne faisant plus le poids, avec la chute de l’URSS. Peut-être la Chine va-t-elle la remplacer. Les Etats-Unis et la Russie incarnaient aussi deux systèmes politiques fondés sur deux conceptions des rapports entre l’homme et la société, individualisme et holisme. Ces oppositions s’estompent. En revanche, il y a manifestement une conjonction de groupes et d’intérêts disparates, allant du sunnisme saoudien à Israël, du progressisme radical au néo-conservatisme qui milite contre tout rapprochement entre Moscou et Washington, avec le risque de relancer le conflit au Moyen-Orient, notamment sur le pauvre Liban, qui est pour nous un pays frère.