Le procès au long cours contre les “complices” de Mohamed Merah, l’assassin de 7 personnes à Toulouse et Montauban en Mars 2012, son frère Abdelkader et Fettah Malki, a conduit à cinq semaines de débat devant la Cour d’Assises spéciale de Paris. Le jugement rendu a été équilibré puisqu’il a reconnu la participation des deux accusés à une association de malfaiteurs en relation avec le terrorisme, mais non leur complicité dans les assassinats. Le Parquet a fait appel d’une décision trop clémente aux yeux de beaucoup, à commencer par les Parties civiles. En fait, cette affaire, dont la conclusion temporaire soulève un malaise évident, révèle plusieurs contradictions qui se développent et minent sourdement notre société.
La première se situe au coeur même de la Justice, notamment lorsqu’il s’agit de crimes lourds qu’il appartient à la Cour d’Assises de traiter. On observera d’abord que la Cour d’Assises spéciale ne comprend que des magistrats professionnels. S’agit-il de spécialistes du terrorisme ? Non. Ils peuvent aussi traiter des affaires de stupéfiants. La création de cette instance est-elle la conséquence d’une spécialisation autour de sujets délicats ? Non. Simplement, le jury populaire menacé lors d’une audience en 1986 avait refusé de siéger et cette situation a donné lieu à ce remplacement. Autrement dit, c’est parce que l’Etat est incapable de protéger ses citoyens contre les criminels que des juges se sont substitués au Peuple. Sans doute a-t-on perdu par là le sens profond de la Justice qui dépasse largement les préoccupations techniques des professionnels du droit. Lorsqu’on se vante que le droit a été respecté par des juges soucieux de leur déontologie, on oublie que le droit n’est pas une idole, mais un outil pour viser un but plus élevé, maintenir la cohésion sociale. Emile Durkheim avait dégagé cette vérité qui échappe aux magistrats qui sont des myopes intellectuels comme tous les spécialistes. Pour l’auteur “De la Division du Travail Social”, “un acte est criminel quand il blesse la conscience collective” et “la peine consiste essentiellement dans une réaction passionnelle, d’intensité graduée… sur ceux de ses membres qui ont violé certaines règles de conduite”. En l’occurrence, la blessure provoquée à la conscience collective par le meurtre de trois soldats français, d’un enseignant et de trois enfants dans une école juive, revêtait une profondeur et une gravité inégalées. L’armée, attaquée lâchement sur le sol national, des enfants d’une communauté déjà meurtrie par les persécutions au cours de l’histoire, donnaient à ces assassinats un caractère ignoble qui ne pouvait qu’entraîner une émotion légitime. Prétendre qu’il ne faut pas en tenir compte, qu’il faut juger en raison, techniquement, c’est affaiblir un peu plus la confiance dans la justice, celle-là même qui libère trop tôt les récidivistes pour leur donner l’occasion de recommencer. L’apparat d’une Cour d’Assises n’a de sens qu’en raison de cette mission à l’égard du pays : faire savoir que ses valeurs ne seront pas bafouées impunément. Des décisions techniques n’en ont nul besoin. Lorsque le caractère spectaculaire du procès conclut à une condamnation nuancée, ni la justice, ni la conscience collective ne sont satisfaites. Seuls le juristes le sont. La blessure sociale n’a fait que s’agrandir : dans quelques années, celui qui a nourri la passion antifrançaise de son frère sera libre. Le seul survivant des attentats sera toujours tétraplégique.
En second lieu, ces assassinats vieux de cinq ans et demi dévoilent aussi une évolution préoccupante de la France. Parle-t-on encore d’une nation, ou de communautés qui vivent sur le territoire national ? Parmi les quatre militaires visés, il y avait deux musulmans Imad ben Ziaten et Mohamed Legouad. Le troisième, Abel Chennouf est un catholique d’origine Kabyle, dont la famille a retrouvé la religion de ses ancêtres. “D’apparence musulmane”, avait osé Sarkozy, avant que Hollande ne le convertît par erreur lors d’un dîner du CRIF. Loïc Liber, paralysé à vie, est un noir guadeloupéen, et on ne peut penser qu’avec répulsion à cette association militante qui prétend regrouper les hommes en fonction de leur couleur, comme si celle-ci jouait le moindre rôle dans la citoyenneté. Enfin les victimes de l’école Ozar Hatorah, les trois membres de la famille Sandler et la petite Yaakov Monsenego, étaient juives. Leur assassin vivait en France avec sa famille, mais cette dernière, à une exception près, nourrit à l’encontre de notre pays une haine profonde, plus ou moins enveloppée dans un islamisme hostile. Doit-on accepter que des immigrés, de première ou de seconde génération, qui bénéficient des avantages liés à leur présence dans notre pays, qui possèdent le plus souvent la double nationalité, soient en fait des ennemis, des ennemis acharnés de l’intérieur ? A cet égard, le spectacle judiciaire a atteint le niveau d’une tragédie classique en dressant face à face les deux mères, celle de l’assassin qui paraît haineuse, perfide et dissimulatrice, prête à tout pour protéger son accusé de fils, et Madame Latifa Ibn Ziaten, la maman de la première victime, d’une dignité si parfaite, qu’il faudrait l’inventer si elle n’existait pas. Les deux parcours sont symétriques. L’une n’a pas su élever ses enfants, l’autre les a poussés à réussir, à s’intégrer. Loin d’être abattue par son malheur, résiliente, elle a fondé une association qui porte le nom de son fils pour favoriser l’intégration des jeunes des quartiers difficiles. Elle bénéficie de l’aide des pouvoirs publics et s’est vue décerner plusieurs décorations. C’est évidemment un exemple. Mais de quoi ? Elle est musulmane, sans excès, et son voile discret ressemble effectivement à celui de nos grands-mères en deuil. Peut-on parler d’assimilation ? Elle demeure profondément marocaine en même temps qu’elle est française. Sans doute la voie qu’elle incarne soulève-t-elle l’espoir, mais on ne peut éviter deux questions : n’est-elle pas une exception ? Peut-elle devenir la règle ? Même en la félicitant pour ce qu’elle fait, et en l’écoutant lorsqu’elle conseille à la France d’être moins naïve, on peut néanmoins se demander ce que feraient cette femme et sa famille, qui ont deux allégeances, si un conflit opposait ces dernières.
2 commentaires
“Sans doute a-t-on perdu par là le sens profond de la Justice qui dépasse largement les préoccupations techniques des professionnels du droit. Lorsqu’on se vante que le droit a été respecté par des juges soucieux de leur déontologie, on oublie que le droit n’est pas une idole, mais un outil pour viser un but plus élevé, maintenir la cohésion sociale. Emile Durkheim avait dégagé cette vérité qui échappe aux magistrats qui sont des myopes intellectuels comme tous les spécialistes. Pour l’auteur « De la Division du Travail Social », « un acte est criminel quand il blesse la conscience collective » et « la peine consiste essentiellement dans une réaction passionnelle, d’intensité graduée… sur ceux de ses membres qui ont violé certaines règles de conduite » Alors que penser des juges et autres juristes qui s’entendent entre eux aux dépends de la victime pour cacher sous le tapis une affaire de harcèlement au travail (Le président de l’université attaquée est juriste…la victime a été interdite de parole devant les juges, l’affaire est passée en dernier quand la salle d’audience s’était vidée…). Il y a belle lurette que je ne fais plus confiance à la justice de mon pays…aucune déontologie, manipulations du droit aux dépends de la justice, il y aurait bcp plus à dire !
Nous sommes en guerre…ou non !
Si oui, seule la justice militaire devrait s’appliquer à l’ennemi. Certains sont passés par les armes pour moins que cela. Je pense que dans ce pays, plus personne ne sait vraiment où on en est, ni où l’on va…dans le mur peut-être, si ce n’est déjà fait !