L’apparente victoire sur le fil des “indépendantistes” catalans mérite une analyse qui corrige nettement ce résultat trompeur. Certes, les trois listes indépendantistes obtiennent 70 sièges sur les 135 du parlement régional, soit 2 de plus que la majorité, mais 2 de moins qu’en 2015. Toutefois, en raison d’un découpage favorable au camp qui l’a effectué, c’est-à-dire les indépendantistes eux-mêmes, et qui favorise les zones rurales, cette majorité en élus traduit une minorité en électeurs : 47,8%. On est donc loin des 90% de voix favorables à l’indépendance du “référendum” illégal qui avait mis le feu aux poudres alors que moins d’un électeur sur deux avait voté, si tant est qu’il l’ait fait. Cette fois, le scrutin a été honnête, dans l’ensemble, et a réuni une participation de 81% qui établit un record. On ne peut pas imaginer un instant que des politiciens responsables puissent vouloir continuer un processus de séparation inconstitutionnel avec le reste de l’Espagne, alors que 52% des votants s’y opposent. La réalité doit rappeler à la modestie les monomaniaques de l’indépendance. Celle-ci peut sans doute être l’expression de la volonté populaire dans le cadre d’une votation à la Suisse qui reposerait sur cette question unique, en admettant que le cadre constitutionnel s’y prête, ce qui n’est même pas le cas dans la très libérale Confédération Helvétique. Hier, les Catalans n’ont pas voté pour ou contre l’indépendance. Ils ont élu leur parlement régional et leurs suffrages ont désigné leurs représentants pour gouverner la région dans les limites de son autonomie constitutionnelle.
Seuls des démagogues invétérés comme Puigdemont peuvent confondre les deux consultations. Hier, il s’agissait d’élire des députés régionaux capables de former une majorité pour gouverner, c’est-à-dire appliquer un programme. Or, les trois formations “indépendantistes” n’ont pas la même ligne politique. Celle qui arrive en tête JUNTSxCAT, de Puigdemont, avec 21,66% est de centre-droit, mais elle est suivie de peu par ERC-CatSi de Junqueras, avec 21,39% qui est elle de centre-gauche. Surtout, elles ne peuvent atteindre la majorité absolue que grâce aux quatre élus de CUP, un parti d’extrême-gauche. Les deux listes qui appuyaient le gouvernement régional démis avaient obtenu un moins bon résultat en 2015 en étant unies, avec 62 élus, mais l’élection du président avait bénéficié à l’époque de la bienveillance des 10 élus de CUP. Le choix de deux listes a sans doute été fondé tactiquement sur le rendement électoral de ce dispositif, mais en 2012, il leur avait donné 71 sièges. En fait, le rapport de forces n’a pas changé entre les deux blocs depuis cinq ans, mais il a évolué à l’intérieur des deux camps. Chez les indépendantistes, la gauche de l’ERC, deux fois plus faible en 2012, fait jeu égal avec la droite. Son chef de file est incarcéré, tandis que son rival légèrement vainqueur continue de faire le pitre à Bruxelles. La Justice espagnole poursuivra son action, et il faudra donc que les deux listes s’entendent sur des candidats éligibles à la Présidence et sur une politique, qui, notamment, sorte la Catalogne de sa mauvaise gouvernance et de son endettement, alors que leur agitation stérile a entamé la confiance des acteurs économiques dans l’avenir de la région, en principe la plus dynamique d’Espagne. Chaque vote au parlement sera ensuite l’objet de tractations entre les deux groupes qui ont déjà gouverné ensemble, et aussi avec le troisième, affaibli, mais que son extrémisme met à l’écart.
A droite, il y a un vainqueur et un battu, et ce résultat peut peser sur l’avenir politique de l’ensemble de l’Espagne. C’est le parti centriste Ciutadans qui est le grand gagnant puisqu’il recueille plus de suffrages que chacun des partis indépendantistes, avec 25%, et obtient le plus grand nombre d’élus, 37. Inès Arrimadas qui conduisait la liste s’est affirmée durant la campagne, et l’on observe une montée continue de cette formation en Catalogne, avec 9 sièges en 2012, 25 en 2015, et la première place aujourd’hui. En revanche, le Parti Populaire qui avait 19 députés en 2012, 11 en 2015, n’en conserve que 3 et se retrouve en dernière position. Le vote d’hier ne peut conduire à l’indépendance. Il entraînera une certaine confusion à Barcelone et des tensions permanentes avec Madrid, mais c’est peut-être dans la capitale espagnole que les résultats auront les effets les plus pervers. Depuis 2015, le Premier Ministre Rajoy, affaibli par des soupçons de corruption et par une politique de rigueur destinée à redresser l’Espagne après le passage calamiteux des socialistes au pouvoir, là comme ailleurs, ne dispose plus d’une majorité absolue aux Cortès. Après deux élections législatives successives en 2015 et 2016, il avait néanmoins regagné des sièges avec 137 députés sur 350, tandis que le rival centriste, Ciudadanos, en perdait 8 pour en conserver 32. Malgré cette fragilité, Rajoy a sans doute choisi une ligne dure pour réunir les unionistes derrière lui. Ceux-ci se sont exprimés en Catalogne, mais en choisissant nettement la formation centriste, ils ont désavoué la politique menée par Rajoy, et sans doute les interventions policières contre le référendum, qui habilement utilisées par Puigdemont ont laissé des traces nuisibles dans l’esprit des habitants de la région. Il n’est pas interdit de penser que Ciudadanos, qui a inversé les places et les rôles en Catalogne, veuille tendre au même exploit dans l’ensemble du pays.
La grande fragilité des pouvoirs démocratiques en Europe menacés par les régionalismes et la fin du bipartisme, d’une part, et par l’arrogance de la bureautechnocratie bruxelloise, d’autre part, souligne à quel point l’Etat-Nation est inséparable d’une pratique solide de la démocratie. Que les référendums, et la décentralisation, fondée sur la subsidiarité, améliorent son fonctionnement est souhaitable, à condition de raison garder et de maintenir l’idée qu’une démocratie est avant tout un régime qui repose sur un peuple souverain suffisamment uni et conscient de son identité pour décider de la manière de défendre et de promouvoir son bien commun.
Un commentaire
Tout cela pourrait en effet faire “boule de neige” mais en y réfléchissant :
Quelle différence y aurait-il entre une Europe (soi-disant) des Nations telle que nous la connaissons et une Europe des régions ?