A la veille des élections européennes, le paysage politique français est de plus en plus confus. Cette confusion résulte de deux choix contradictoires. Le premier a introduit le mode de scrutin proportionnel, en rupture avec l’esprit de la Ve République. Présenté comme le plus “démocratique”, c’est un leurre : il consacre le pouvoir des partis qui placent leurs apparatchiks en tête de liste et leur assurent une longue carrière professionnelle à condition d’être disciplinés et de faire taire leurs états d’âme. En outre, il multiplie les formations politiques obligées, si elles veulent gouverner, à des coalitions baroques au sein desquelles les “idées” fondatrices qui motivaient les électeurs sont noyées dans les compromis tandis que les majorités branlantes, obtenues à grand peine, n’assurent pas la continuité de l’Etat. La Ve République ne jouit d’une grande stabilité que parce qu’elle dépend d’une majorité issue d’un vote uninominal par circonscription. Macron en bénéficie aujourd’hui. Le chaos n’est évité que grâce à ce système, malgré les fautes et les maladresses commises. Le contrepoint réside évidemment dans l’usage du référendum qui permet, lui, d’exprimer l’opinion des Français notamment lorsqu’ils sont en désaccord avec leurs représentants. On remarquera que le personnel politique est plutôt favorable à la proportionnelle et hostile au référendum. C’est un aveu : ce qui compte le plus à ses yeux est non l’intérêt supérieur du pays, ni même la volonté populaire, mais la possibilité de continuer à danser en rond dans les palais de la République ou de l’Europe. L’introduction de la proportionnelle aux élections européennes puis aux régionales a fait éclater la représentation politique et apparaître le Front National dont la présence, refusée par tous les autres, fausse le fonctionnement de notre démocratie. Pourquoi ? Parce que les deux modes d’élection sont contradictoires : à la proportionnelle, le Front National existe de plus en plus, mais dès qu’il s’agit d’élections uninominales, il est minimisé. Le comble de l’absurdité a été atteint aux dernières régionales : le PS et Les Républicains peuvent à la limite constituer une majorité issue de la proportionnelle. De même, Les Républicains et le Front National. Au lieu de cela, le PS s’est sabordé au profit de LR pour éviter que le Front National accède au moindre exécutif. Autrement dit, dans un système où toutes les opinions doivent être représentées, on a fait en sorte que l’une d’elle disparaisse pour qu’une autre, et la plus forte en voix, soit mise hors-jeu.
Le second choix malheureux a consisté à fondre le RPR et l’UDF dans le même moule. Les partis dépendent avant tout des législatives. Très logiquement, les élections uninominales par circonscription à un tour conduisent à l’existence de deux partis, démocrate et républicain par exemple aux Etats-Unis. En France, les deux tours amenaient à quatre partis : RPR et UDF à droite, PS et PC à gauche. Un jour ou l’autre les écologistes auraient remplacé le PC dont l’idéologie est morte. A droite, l’UDF était centriste et européenne, le RPR plus à droite, conservateur et eurosceptique. Lorsque le RPR a fusionné avec l’UDF au sein de l’UMP, Il a ouvert un boulevard au FN. En gagnant en 2007, Sarkozy avait freiné la dérive pour l’accentuer ensuite avec sa stupide ouverture à gauche. Depuis, le tableau de la politique française est passé de l’équilibre classique et rationnel à un fouillis surréaliste. La gauche a éclaté entre des factions qui témoignent d’une imprégnation idéologique marxiste beaucoup plus forte en France que dans la plupart des autres pays européens. Même les écologistes sont le plus souvent des gauchistes rouges que l’on a repeints en vert pour les rendre présentables. La droite s’est elle aussi profondément divisée. Il n’était pas absurde que des gaullistes, patriotes avant tout, des chrétiens conservateurs et des libéraux attachés aux libertés fondamentales et d’abord préoccupés par les performances économiques du pays s’unissent : c’était la majorité qui soutenait de Gaulle. Mais les chrétiens conservateurs ne sont plus présents sur la liste qui sera conduite par Nicolas Dupont-Aignan, et la présence de Bellamy à la tête de la liste LR ne devrait pas les rassurer, compte tenu de l’évolution de ce parti “de droite” sur les problèmes sociétaux. Des membres de la droite populaire, gaullistes et conservateurs figurent maintenant sur la liste RN. Cette dernière est certes eurosceptique, mais elle tourne le dos à l’efficacité économique et manifeste une diversité inquiétante dans le domaine sociétal.
Dans ce paysage dévasté a poussé un champignon : Macron et LREM, qui prétendent se situer au-delà des idéologies au nom du bien commun, alors qu’ils ne sont qu’une double addition : d’abord celle des ambitions, qui ont agglutiné autour d’un homme profondément narcissique, des rescapés de gauche et de droite plus soucieux de carrière que de valeurs, et un certain nombre d’amateurs dénués d’expérience, mais sûrs de leur génie. On voit le résultat. Jamais la France n’a été à ce point divisée. La désintégration rapide de l’unanimité autour de Notre-Dame le montre : l’intervention intempestive de riches donateurs a relancé la lutte des classes, la volonté présidentielle d’accélérer la restauration pour en tirer parti susciter une lever de boucliers chez les conservateurs. Le macronisme est ensuite l’addition de politiques contradictoires : on tend à privilégier les très riches et à assister encore davantage les plus démunis, mais en matraquant les classes moyennes : social-démocratie en bas et ultralibéralisme en haut ! Sous couvert d’unanimisme, on accentue l’affrontement entre les urbains et les périphériques. Les premiers vont souhaiter l’intégration européenne, les seconds vont s’opposer à une mondialisation qui les écrase. Effectivement, les élections européennes devraient voir s’affronter ces deux populations, celle qui croit que le “progrès” lui est favorable, et celle qui tente de préserver son identité, ses valeurs, les conditions de son existence. La dispersion politicienne prive les Français de ce choix clair et cohérent.
7 commentaires
Il faudra comparer les “professions de foi” des diverses listes pour tenter d’y voir clair.
L’essentiel est de pouvoir distinguer le moment venu ceux qui proposent une UE, espace dirigiste, réglementaire et “harmonisé”, de ceux qui proposent une UE, espace de liberté et de concurrence.
“Un jour ou l’autre les écologistes auraient remplacé le PC dont l’idéologie est morte.”
Il y a encore une gauche se disant radicale autour de Mélenchon. Par ailleurs, si on me donne le choix entre le PCF d’avant (pro-nucléaire et malgré tout pro-instruction, de plus Marchais sur l’immigration au début des années 80) et les écolos contemporains qui sont tout l’inverse, je choisis sans problème les premiers.
“Des membres de la droite populaire, gaullistes et conservateurs figurent maintenant sur la liste RN. Cette dernière est certes eurosceptique, mais elle tourne le dos à l’efficacité économique”
Dire que l’attachement aux services publics et à des inégalités diminuées par la redistribution serait contraire à l’efficacité économique, il faut le dire vite et être sans vergogne. Il suffit de comparer les réalisations des trente glorieuses et la vente à la découpe actuelle pour n’avoir aucun doute à ce sujet.
Le programme du RN en 2017 était plutôt bien, bien meilleur en tout cas que celui de Fillon, qui voulait mettre le feu à la cathédrale de la sécurité sociale (sous prétexte de la reconstruire encore plus belle en cinq ans, en réalité pour ouvrir des marchés à ses soutiens assureurs).
Sans doute faudrait-il que ce programme soit porté par un autre parti de droite pour accéder au pouvoir. Mais manifestement, la droite préfère continuer la vente à la découpe, sur laquelle de fructueuses commissions peuvent être prélevés par sa couche dirigeante.
Peut-être est-ce d’ailleurs pour cela que la diabolisation perdure…
“Le programme du RN en 2017 était plutôt bien”. Un programme socialo communiste qui aurait surement redressé le pays. lol !
Je vois que, comme à leur habitude, les moutons bêlent…
Je lis avec plaisir vos billet mais je suis déçu de lire que vous vous raccrochez au scrutin majoritaire à deux tours. Depuis le départ du Général, qui se voulait au-dessus des partis, il n’a plus lieu d’être; c’était une bizarrerie inhérente à l’homme qui avait souvent fustigé les partis dont il ne voulait pas dépendre. La proportionnelle est le seul scrutin démocratique. Tous les courants sont représentés et les élections ne se font pas en mariant carpes et lapins, tour de passe-passe qui permet à la gauche extrême d’avoir bien plus d’élus que le RN et de peser sur la vie politique et sociale de façon éhontée.
Maintenant si le RN vous donne de l’urticaire, moi c’est le PCF, la FI et les groupuscules de gauche, où sont les vrais fascistes. Et les vaillants Matamore de droite se couchent devant eux, devant les écolos, devant les islamistes. Ecœurant !
Si des assemblées sont élues à la proportionnelle rien n’empêche de prévoir dans la Constitution des dispositions qui imposeront aux députés de voter le budget et de faire acte de présence pour voter les lois sous peine d’être renvoyés devant les électeurs. En décomptant le nombre de votants pour l’adoption d’une loi on voit que la représentation nationale active, rapportée aux citoyens inscrits, ne représente rien du tout et on frémit devant cette imposture démocratique.
Vous savez ce qui cause l’abstentionnisme ? Le foutage de gueule permanent dont les Français font l’objet. Ils en ont marre et c’est leur réponse.
L’idée principale de la Ve République réside dans la puissance de l’Etat démocratique issu de la volonté populaire. C’est le Président de la République élu du suffrage universel qui l’incarne, mais comme notre régime est parlementaire, il doit avoir une majorité claire et nette à l’Assemblée. Seul le scrutin uninominal peut lui en fournir une. L’obsession de de Gaulle était d’empêcher le retour du régime des partis qui avait régné durant les IIIe et IVe Républiques. Le scrutin proportionnel qui est le moins démocratique conduit à des majorités instables de petits partis dont les élus sont désignés par les chefs des partis et situés par eux en position éligible sur les listes. Ils n’ont que faire de leurs électeurs puisque c’est le parti qui les choisit. Qui plus est, ils sont obligés de former des majorités de compromis. Ainsi, les électeurs ne connaissent pas ceux pour qui ils votent et ne sont pas sûrs que les idées pour lesquels ils ont cru voter subsisteront à l’approche du pouvoir. Le scrutin uninominal suscite des majorités claires d’élus qui rendent compte à des électeurs qui les connaissent. En revanche, le combat des idées a lieu à l’intérieur des grands partis. C’est ainsi que Thatcher est parvenu au pouvoir lorsque les conservateurs se sont ralliés à elle. Imaginons en France que le RPR soit resté celui qu’il était à sa création, nous n’aurions pas eu besoin du FN car ses idées auraient pris le pouvoir, alors que lui a servi à la gauche de repoussoir. Je reste partisan d’un grand parti de droite très large. Dans la situation actuelle, il n’est pas impensable que celui-ci se fédère autour du RN avec sans doute une autre présidente. MAis pour cela, il faut garder le vote par circonscription.
Votre tableau traduit bien l’immonde merdier de la politique française de ce début de siècle. Les efforts des gens en place sont concentrés sur leurs propres intérêts et visent à retarder le moment de l’effondrement. Pour l’heure, l’important est de participer à la défaite de Macron aux élections européennes. Il la redoute et la verrait comme une humiliation. Sa dernière allocution et sa conférence de presse ont démontré qu’il avait perdu sa belle assurance. Il faut à mon avis se cantonner pour l’instant à ce seul objectif.