Le premier à mon bureau de vote, ce matin du 27 Juin 2021… et le seul jusqu’à ce que je le quitte après avoir risqué la phrase du Dîner de cons, “c’est pas bon signe”, j’ai retraversé la ville de Tourcoing où je suis né, où j’ai travaillé, où j’ai été élu, pour rentrer chez moi puisque j’y habite toujours. Les changements sont importants, notamment pour les commerces, les cafés et les restaurants. Les bonnes maisons dont la réputation attirait la bourgeoisie locale ne sont plus qu’un souvenir, l’exotisme a envahi la restauration entre kebab et sushi, et je me remémore avec nostalgie les sorties de messe du dimanche qui jetaient la foule des fidèles sur la place animée, avec ses nombreux commerces “de bouche”. Ce matin, on aurait pu citer le trait d’humour de Tristan Bernard à qui un ami demandait une invitation pour une de ses pièces : “venez armé, l’endroit est désert”. Malgré tout, l’urbanisme du centre s’est amélioré depuis des décennies, des équipements collectifs ont été réalisés, les monuments et édifices patrimoniaux restaurés, comme l’Eglise Notre Dame des Anges en ce moment. C’est une lutte entre une certaine volonté de demeurer soi-même et le changement puissant, permanent et irréversible. Tourcoing, ville industrielle et ouvrière quand je suis né, mais moins populaire que sa voisine Roubaix, avec des maisons en front de rue mais sans les courées qui caractérisaient cette dernière, n’a jamais été marquée par une activité commerciale rayonnante, en raison de sa proximité de Lille et de la Belgique. Mais, aujourd’hui, ses rues commerçantes disparaissent les unes après les autres. Même les voies piétonnes du centre comptent nombre de boutiques fermées. Les magasins spécialisés sont résiduels : l’unique librairie demeure bien seule. Avec près de 100 000 habitants, Tourcoing est devenue une grosse cité-dortoir dont l’attrait tient à la fois à sa présence dans une grande métropole, et aux prix modestes de l’immobilier, surtout si vous n’êtes pas une cible fiscale sans défense devant les impôts locaux qui, eux, sont élevés. Aussi, on habite à Tourcoing, mais on n’y vit pas, et on ne se sent guère tourquennois. L’identité tourquennoise est en voie de disparition : l’importance de l’abstention en est le signe. Auparavant commune très civique au début de la Ve République lorsqu’elle votait gaulliste, elle bat maintenant des records d’abstention, avec 75% aux municipales et 80% la semaine dernière. L’importance de l’immigration, l’absence d’assimilation, la faiblesse de l’intégration dans certains quartiers font atteindre à ceux-ci des sommets plus élevés encore. Mais dans l’ensemble de la ville, les esprits ne sont guère mobilisés par son avenir, ni intéressés de savoir qui est en charge de la municipalité. Ses élus, ceux du département, de la région, et même maintenant les deux députés qui représentent ses citoyens, ne sont plus que des ombres lointaines. La vie et ses préoccupations sont ailleurs.
C’est pourquoi, il faut relier la citoyenneté et l’enracinement, la citoyenneté et l’identité. Il n’y a jamais eu de démocratie chez les peuples nomades. Il suffit d’avoir un chef, un chef de guerre le plus souvent. Chez les peuples sédentaires, ceux qui vivaient de la terre ou ceux qui dans les cités veillaient à la fabrication artisanale puis industrielle et aux échanges, l’identification à un lieu est aussi un lien. Elle délimite la communauté et fixe l’appartenance. C’est un espace qui perdure dans le temps et où se succèdent les générations. C’est aussi un bien commun qu’il faut entretenir et transmettre, d’où viennent l’intérêt pour sa gestion et le désir qu’on ressent de le défendre. De la Cité grecque au Canton suisse, on voit bien que la proximité a permis la démocratie directe, celle où les citoyens décident de l’avenir de leur “patrie” petite ou grande. Son extension a facilité d’autres régimes mais la démocratie est revenue avec le patriotisme lorsque la nation a pris conscience du bien commun qu’elle avait à sauvegarder contre ceux qui le dilapidaient, contre ceux qui le pillaient.
Simone Weil écrivait de l’enracinement qu'”il reste peut-être le besoin le plus important de l’âme humaine. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir.” Comment ne pas voir le lien entre ce “besoin de l’âme humaine” et la démocratie comme “participation… à l’existence d’une collectivité” ? L’abstention galopante est le signe du déracinement, de la séparation entre l’individu et le citoyen. Celui à qui l’on dit que le monde et l’Europe sont plus importants que la France et qui le croit, celui qui est là comme il serait ailleurs, celui qui possède une panoplie de cartes d’identités, n’est citoyen du monde que pour n’avoir aucune collectivité à laquelle s’attacher, ne serait-ce qu’en y payant des impôts. Comme le disait Rousseau, “Tel philosophe ( on pense aujourd’hui à BHL) aime les Tartares, pour être dispensé d’aimer ses voisins…” Il peut être aussi le membre d’une communauté plus vaste que la nation et qui ne veut pas le bien de celle-ci. Dans le passé, il était communiste, croyait servir le prolétariat international, et ne servait en fait que la dictature soviétique. Aujourd’hui, il peut être membre de l’Oumma et se sentir plus proche de l’Arabie saoudite ou d’un autre Etat islamique que de la France. L’enracinement, l’identité sont indissociables de la démocratie. L’internationalisme est au contraire une menace pour elle. Ces quelques notes font mesurer l’irréflexion et l’inculture de ceux qui préfèrent le communisme, l’extrême-gauche aux “identitaires” parce qu’ils seraient d’extrême-droite, comme l’a dit Xavier Bertrand. L’identité n’est pas un gros mot, c’est la capacité de rester soi-même pour avoir encore quelque chose à offrir aux autres dans la mesure où ils ne viennent ni le prendre, ni l’altérer. Cela est vrai de la commune à la nation : la Suisse l’a bien compris qui est une démocratie du bas en haut, jalouse de son identité, défendue par ses citoyens, le contraire d’une dictature extrémiste.
3 commentaires
Bertrand préférant les communistes aux patriotes! Ca en dit long sur ce qu’est devenu LR, syndicat de gauchos à la remorque de la socialocratie politico-médiatique et qui osent encore se dire de droite! J’espère que ce gugusse prendra une bonne déculottée l’an prochain et que les citoyens le renverront dans sa région!
Si on pouvait déjà être certain de renvoyer Macron sur la plage du Touquet, ce serait déjà pas mal !
“L’identité n’est pas un gros mot, c’est la capacité de rester soi-même pour avoir encore quelque chose à offrir aux autres dans la mesure où ils ne viennent ni le prendre, ni l’altérer.” Comme vous avez raison !
Le prochain président ? Vauquier me semblerait à l’heure actuelle , le meilleur !