Depuis 2017, le paysage politique français est devenu chaotique, illisible. Il y a deux manières de pratiquer la démocratie représentative. Le point de divergence repose sur le mode de scrutin, plus que sur le caractère présidentiel ou parlementaire du régime. Ou l’élection est uninominale par circonscription si possible à un seul tour, et l’intelligence des électeurs crée un bipartisme avec alternance, soit la proportionnelle multiplie les partis avec une tendance perverse qui veut que cette diversité épouse davantage les ambitions des uns et des autres que la pluralité des opinions. Dans le premier système, les choix sont donc clairs : celui des hommes a lieu dans le cadre des primaires internes aux deux grandes formations politiques, celui des idées doit également procéder d’une compétition entre les courants au sein des partis. Dans le second système, la multiplication des partis oblige à des coalitions parfois précaires, et même quelquefois hétéroclites. Les Anglo-Saxons offrent le meilleur exemple de la première hypothèse : l’élection du Président, des sénateurs et des représentants aux Etats-Unis, celle des députés britanniques , et on pourrait citer d’autres Etats issus de l’Empire créé par les Anglais, ont lieu dans le cadre d’un bipartisme qui permet des alternances et aussi des évolutions “idéologiques” internes aux partis. Le Sud profond votait systématiquement démocrate par hostilité au parti de Lincoln, républicain, mais son conservatisme l’a fait progressivement préférer le parti républicain devenu plus conservateur quand le parti démocrate s’orientait plus à gauche. Ensuite, le caractère présidentiel ou parlementaire ne fait qu’apporter des différences secondaires. Aux Etats-Unis, le Président conduit la politique, mais peut être ralenti ou entravé par une majorité hostile tandis qu’au Royaume-Uni, une majorité souvent nette permet au Premier Ministre d’exercer le pouvoir de manière très clairement orientée.
Le mode de scrutin proportionnel disperse les suffrages, ne permet pas des majorités solides. C’est une supercherie qui repose sur l’illusion que le nombre des partis facilite la représentation des opinions alors qu’il a un tout autre but : ouvrir la route à de petits chefs maîtres de leur petite formation, obligés à des alliances pour participer au pouvoir même quand ils représentent peu d’électeurs, et formant une profession politicienne grâce à des réélections assurées par la place en haut de la liste. Des alliances contre nature sont possibles et bien sûr dans le dos des électeurs. L’exemple le plus criant est actuellement Israël où une majorité aussi composite que fragile de huit partis chacun doté de 6 ou 7 députés s’est imposée au Parlement contre le Likoud qui avait obtenu à lui seul 30 sièges. Le premier ministre Naftali Bennett est nationaliste religieux et devra céder la place dans deux ans à son allié Yaïr Lapid, laïc et de centre-gauche. Leur “majorité” réunit donc l’extrême-droite, la gauche socialiste et des Arabes musulmans. Les voix qui s’étaient portées sur Bennet ne visaient pas à mettre un jour Lapid au pouvoir.
La France avait choisi le scrutin majoritaire à deux tours, uninominal sauf pour les municipales et les sénatoriales, au début de la Ve République. Cela permettait d’éviter que le Parti communiste qui pesait alors 25% des voix ne prenne la majorité ce qui était très possible avec un seul tour. L’élection du Président au suffrage universel direct étendait le système au plus haut niveau. Par la suite, essentiellement du fait de la gauche, la confusion a été introduite avec l’introduction de la proportionnelle pour les municipales, pour les régionales et pour les européennes, et en 1986 uniquement, pour les législatives, avec des limites différentes pour chaque type d’élection. Le vote uninominal majoritaire à deux tours conduisait logiquement à quatre partis, deux de gauche, PS et PC, deux de droite, RPR et UDF. L’introduction de la proportionnelle en a introduit d’autres, et notamment le Front National et les écologistes, faux-nez des gauchistes soixante-huitards. Une fausse bonne idée a progressivement gagné la “droite”, celle d’unir en un seul mouvement les durs et les modérés, ce qui a adouci l’ensemble et favorisé le transfert d’un certain nombre des premiers vers le Front National. La logique de l’élection primordiale dans un régime parlementaire , à savoir les législatives, aurait dû amener un “jeu” à quatre : écolo-gauchistes et socialistes à gauche, FN et UMP à droite. Le poids dominant de l’UMP lui aurait assuré la suprématie, mais le FN aurait existé à la mesure du nombre de ses électeurs et aurait sans doute poussé l’ensemble vers une politique de droite en cas de succès.
Deux facteurs ont brisé cette logique : d’une part, un interdit irrationnel à l’intérieur de la droite parlementaire a empêché tout rapprochement avec le FN, même pour partager le pouvoir local ; d’autre part, le quinquennat a présidentialisé le régime de manière excessive et vidé les législatives de leur importance. Alors, on se retrouve dans une situation ubuesque où l’alliance contre nature entre la “droite” et la gauche l’emporte sur la clarté d’une confrontation gauche-droite. Un rappel simple de la Ve République montre que la gauche est la cause essentielle du déclin et de la décadence de notre pays que de Gaulle voulait éviter : 1968, la décadence culturelle, 1981, le déclin économique, 1997, avec les 35 heures et une politique à contre-temps, l’immigationnisme militant, l’européisme étouffant, le “progressisme” sociétal débilitant. Comment est-il possible qu’au nom d’obscures valeurs la “droite” préfère la gauche à la droite ? Or des élus qui se prétendent “de droite” soutiennent le rejeton du PS tendance Attali, caviar, et Terra Nova, qui occupe l’Elysée, et ceux qui semblent vouloir le déloger, comme un certain Xavier Bertrand, désignent le Rassemblement National comme leur ennemi, et les Identitaires comme plus infréquentables que les communistes. On comprend la position allemande assez voisine et fondée sur des souvenirs difficiles à effacer. Mais il n’y a rien de tel en France ! La France de Vichy est morte depuis longtemps et elle n’était pas plus à droite que de Gaulle lui-même et les premiers Français libres qui l’avaient rejoint. Quant à l’Algérie, elle a suscité une opposition de droite au Général fondée non sur les valeurs, notamment le patriotisme, mais sur la stratégie et le réalisme de celle-ci à propos d’un problème limité dans le temps. On comprend la réaction outrée de Robert Ménard lorsque Xavier Bertrand refuse de lui parler. Il est indispensable en effet que ce brouillard entretenu se dissipe, que les gens qui se sentent proches par les idées se parlent et essaient de s’unir plutôt que de trahir les valeurs de ceux qui les élisent en s’alliant avec une gauche qui ne renonce pas à son idéologie.