Tocqueville dans “De la démocratie en Amérique” a écrit un texte que chacun devrait aujourd’hui méditer tant il a un caractère prophétique davantage d’ailleurs pour notre pays que pour les Etats-Unis : ” Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde… Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?”
Dans ces lignes, le vrai libéral qu’était Tocqueville décrit un Etat qui n’existe pas encore mais dont le germe est déjà dans les esprits et dans les institutions notamment celles issues du passage de Napoléon Bonaparte au pouvoir. Une centralisation excessive, une administration tentaculaire, un contrôle tatillon des activités privées, des prélèvements obligatoires nécessaires pour nourrir le monstre n’ont fait que croître depuis, portés par une idéologie sympathique, maternante, mais en fait étouffante. La social-démocratie pleine de générosité redistributive allait transformer l’Etat paternel, le gendarme autoritaire et répressif, en une mère attentive, accompagnatrice de toutes les souffrances, mais incapable de détacher son affection de ses protégés, jusqu’à dévorer leur intimité, jusqu’à leur refuser de grandir. Michel Schneider, en partant de Tocqueville avait remarquablement analysé ce basculement de l’Etat-Père à l’Etat-Mère dans son essai “Big Mother” dont le titre faisait évidemment allusion au “Big Brother” d’Orwell dans 1984. Dans les deux cas, il y a dictature, celle du parti totalitaire qui contrôle absolument les individus et les manipule, non sans violence chez Orwell, celle d’un pouvoir qui s’insinue en douceur dans la vie et la conscience des gens, mais dans leur intérêt qu’il connaît beaucoup mieux qu’eux-mêmes dans l’Etat imaginaire de Tocqueville. Zemmour a perçu depuis longtemps ce basculement opéré par le pouvoir du viril au féminin, qui se voit dans la féminisation de professions détentrices d’autorité, comme l’enseignement et la justice, et qui se traduit par une expression différente de l’autorité, laquelle évite une trop grande raideur, une brutalité qu’elle tente de remplacer par la prévention, l’accompagnement, la réinsertion. Onfray a remarquablement montré que l’Etat orwellien était à l’oeuvre au sein de notre société actuelle. Simplement, il n’a pas le côté sinistre et véhément de l’Océania, mais il est lui aussi animé par une idéologie, celle qui construit l’Empire maastrichien, technocratique, uniformisant, appauvrissant, formatant.
Tout véritable homme de droite, même s’il ne partage pas nombre des idées de Charles Maurras, se reconnaîtra dans la formule qui devait caractériser selon lui le meilleur des Etats possibles : autorité en haut, libertés en bas. L’absence de libertés en bas, une autorité absente ou au contraire invasive en haut sont les marques constantes de la gauche politique dont la social-démocratie est l’accomplissement possible, si l’on excepte l’anarchie ou le communisme qui ont définitivement fait la preuve de leur divorce avec la réalité. Il faut que les électeurs de droite, les Versaillais typiques, prennent conscience de leur erreur et de la manipulation dont ils sont les victimes, lorsqu’on tente de leur faire oublier que le régime actuel et le personnage de Macron en particulier sont les parfaits représentants de cette gauche social-démocrate, de ce cocktail de Big Mother et de Big Brother. La succession de la crise des Gilets jaunes et de la crise sanitaire a illustré les deux aspects du “en même temps” : l’excès de contrôles et de taxes avait suscité la première, et déclenché une répression disproportionnée souvent liée à des provocations dans lesquelles il n’était pas absurde de percevoir de la manipulation ; la gestion chaotique de la seconde à ses débuts a laissé place à une orchestration médiatique impressionnante des mesures prises lesquelles ont développé une emprise “maternante” sur les individus telle qu’on n’en avait jamais connue. Il s’agissait de retrouver le plus vite possible le bonheur du “vivre ensemble”, des terrasses et des spectacles, des grandes surfaces consommatoires, et pour cela accepter d’être épié, guidé, intimidé, masqué, vacciné, revacciné, enregistré, fiché, et bien sûr sanctionné et banni en cas de résistance.
Macron, c’est la synthèse du cauchemar de Tocqueville et de celui d’Orwell, 80% du premier, 20% du second, avec un zeste d’autre chose, un parfum, une signature qui le classent définitivement à gauche : le troupeau materné et parfois maté est celui des “braves gens”, de ceux que Cicéron appelait les “Boni”, ce que Nixon dénommait la majorité silencieuse, avec des cibles particulières comme l’Eglise catholique qui ne cesse de tendre l’autre joue et qu’on humilie avec jouissance, mais en revanche, il y a les autres, ceux qui ne se soumettent pas, qui restent à part dans les quartiers où ils sont déjà les maîtres et que la répression ignore. ( à suivre)
2 commentaires
Les cours d’Instruction civique devraient se limiter à l’étude du chef-d’oeuvre de Tocqueville. Sans doute les générations montantes en garderaient-elles une certaine aversion contre le parternalisme rampant et l’assistanat trompeur.
Nos démocraties et plus encore aujourd’hui avec le wokisme, sont déjà passées à “1985” !
Très juste !