Après une élection présidentielle enjambée, M. Macron, élu non sur un projet mais par l’addition d’électeurs en désaccord sur tout sauf sur leur volonté d’empêcher Marine Le Pen d’entrer à l’Elysée, imaginait bénéficier du vote pavlovien habituel donnant une majorité législative au président. Raté ! Cette fois, chacun est resté sur sa préférence initiale. L’archipel français a voté : la France de l’Ouest, celle qui vit plutôt bien, dans les régions les plus calmes, dans les métropoles, et dans les circonscriptions les plus aisées, les retraités inquiets des changements, ont élu des députés macronistes ; la France périphérique qui souffre de la double peine de l’appauvrissement et de l’insécurité, a voté pour le Rassemblement National ; les quartiers sensibles, les villes vérolées par une immigration incontrôlée ou par une faune boboïsée ont aimé la Nupes. Les partis du monde d’avant ont sauvé les meubles dans leurs fiefs les plus solides. L’hypothèse absurde d’une France penchant à droite pour répondre à des problèmes que la gauche crée et nourrit, alors que la droite peut y répondre, et élisant l’Assemblée la plus à gauche de la Ve République, ne s’est pas vérifiée malgré les médias qui l’ont claironnée sur tous les tons pour ramener les moutons vers le bercail macronien par peur de Mélenchon. Les Français craignent davantage l’extrême-gauche que l’extrême-droite : le plafond de verre a été brisé. Le RN fait une entrée fracassante à l’Assemblée en multipliant par dix ses députés sans même avoir fait alliance avec Reconquête, ce qui lui aurait sans doute permis davantage de candidats pour le second tour. Il constitue néanmoins le premier groupe d’opposition devant la France Insoumise.
Les députés se partageront sans doute en dix groupes. Il manquera 44 députés à la majorité présidentielle pour être absolue. Macron, avec le mépris qui lui est habituel à l’encontre des parlementaires parle d’une “trentaine” qui manque, réduisant la qualité intrinsèque des députés élus au suffrage uninominal à n’être qu’une quantité plus ou moins achetable, comme on achète les oeufs à la douzaine. Pour gouverner, il faudra donc atteindre la majorité absolue. Quatre options sont envisageables : d’abord, l’union nationale qui aurait besoin pour se justifier d’un drame national à affronter qui ne se résume pas à l’incapacité et aux maladresses des détenteurs du pouvoir au moins depuis 2012 ; ensuite, la construction d’une coalition de gouvernement par l’addition de groupes actuellement dans l’opposition ; le débauchage individuel d’un nombre suffisant de parlementaires serait une troisième solution ; enfin, à partir d’une majorité relative, chercher une majorité texte par texte, un coup à gauche, un coup à droite. Le président a compris que les conditions d’une union nationale n’étaient pas réunies et a prétendu élargir sa majorité comme une omelette dont on couperait les deux extrémités jugées peu républicaines, selon un préjugé qui commence à sentir le rance. Il rêve donc d’une coalition allant des communistes aux républicains. Cette majorité de 379 sièges sans compter les individualités ralliées serait très confortable, mais pour quoi faire ? On doute que sur les questions économiques et sociales, sur l’énergie, sur la sécurité, sur l’immigration, sur les problèmes sociétaux, on puisse la réunir. Quant au débauchage de plus de quarante opportunistes ambitieux, ou même d’une “trentaine”, cela paraît bien peu réaliste. Ils pèseront leur chance d’être réélus et si on leur offre un ministère, il n’est pas sûr que leur suppléant soit sur la même ligne. Il ne reste donc que la politique à la godille texte par texte, et la “présidente” du futur groupe “renaissance” n’a pas hésité à lancer une de ces fausses bonnes idées qui naissent chez des esprits superficiels voire irresponsables pour qui l’opportunité des circonstances et le coup médiatique l’emportent sur le sens de l’Etat et du Bien commun. Les Français sont majoritairement attachés au prétendu droit à l’avortement, les élus plus encore par démagogie “féministe” : inscrire ce droit dans la Constitution rallierait, selon cette arriviste forcenée, une majorité de députés. François Bayrou a tout de suite dénoncé le procédé : le prétexte d’un vote de la Cour Suprême américaine, dans un contexte sans rapport avec celui de la France, ne saurait justifier l’alourdissement d’une Constitution suffisamment encombrée de préambules qui accroissent le gouvernement des juges et ralentissent la mise en oeuvre de la volonté du peuple et de ses représentants. C’est en fait la majorité elle-même qui avec le Modem risquerait d’être ébranlée par cette proposition “en même temps” opportuniste et incongrue. Que penser d’élus assez minables pour faire de la vie d’un enfant à naître ou de la détresse d’une femme la variable d’ajustement d’une majorité opportune ?
Macron dans un rare moment de lucidité et de sincérité a jugé qu’il “fallait bâtir des compromis à l’Assemblée, une situation affreusement banale au niveau européen”. Ben voyons ! Jupiter passe aux aveux : son grand projet pour la France qu’on serait bien en peine de définir, mais qu’on voyait se dessiner à la gomme avec sa disparition dans une Europe fédérale, prélude au gouvernement mondial, se réduit finalement à la rendre médiocre comme tout le monde, comme tous les autres Etats européens inféodés aux Etats-Unis d’Amérique, passant d’un compromis à un autre sans la moindre perspective. Si l’on en juge par la boulette allemande du renoncement au nucléaire pour faire plaisir aux écolos, c’est le chemin du déclin assuré. A défaut de réalisations, on émet des signaux : on annonce la candidature de l’Ukraine à l’Union Européenne, tout en sachant que son entrée n’est pas pour une date proche, ou, sur le plan national, on programme des augmentations de prestations sociales tout en disant que la dépense publique et l’endettement ont atteint des limites indépassables. La Ve République a les reins solides. Elle peut permettre à un exécutif minoritaire de gouverner sous la menace de la dissolution, de gouverner médiocrement mais sans éviter que le vrai souverain, le peuple à force d’être évincé du pays légal ne choisisse le pouvoir de la rue.