Indépendamment des enjeux militaires qui mobilisent l’attention, c’est la véritable clef du scénario : les Etats-Unis veulent demeurer la puissance qui domine le monde. Face à la montée de la Chine, il est nécessaire de vassaliser l’Europe, de la maintenir dans l’état de prolongement de l’empire anglo-saxon à l’ouest tandis que les alliés de l’est, du Japon à l’Australie, compléteront le dispositif d’encerclement. Cette inféodation de l’Europe est une vieille tendance, dont paradoxalement, la prétendue construction européenne a été l’instrument. Il faut lire l’Ami américain de Branca pour voir le rôle néfaste d’un Jean Monnet agent permanent des Anglo-saxons, antigaulliste viscéral, dans la direction prise par la construction européenne, cumulant approfondissement et extension avec pour conséquence d’émasculer les Etats détenteurs de la volonté politique et de la souveraineté des nations européennes. Une UE de plus en plus étendue avec une multitude de petits Etats ayant voix au chapitre, suffisamment pour noyer toute volonté politique et laisser place à la technocratie bruxelloise atlantiste et mondialiste, prive les nations importantes comme la France de toute autonomie, engluées qu’elles sont dans le formalisme institutionnel qui tue toute souveraineté et dilue le vouloir-vivre des peuples. L’intégration à l’Union Européenne et à l’Otan des anciens satellites soviétiques souvent animés par un désir de revanche contre Moscou, comme les Etats baltes ou la Pologne, a affaibli le partenariat entre Berlin et Paris, renforcé le poids de l’Allemagne et la soumission au “protecteur et libérateur” américain. En poussant les frontières des deux organisations, l’une militaire, l’autre politique jusqu’à celles de la Russie, et en absorbant des Etats inscrits de longue date dans l’orbite russe-orthodoxe, comme l’Ukraine ou la Géorgie, la stratégie se muait en provocation délibérée qui sous couvert d’expansion démocratique servait l’impérialisme de Washington. La riposte devenait inévitable. La machine infernale de l’intervention russe en Crimée d’abord puis dans l’est de l’Ukraine, des sanctions, puis de l’effort de guerre contre la Russie était amorcée.
Mais, la confusion de fait entre l’UE et l’Otan, qui séduit apparemment par son unanimisme face à la Russie, c’est celle d’un troupeau, celui des moutons de Panurge, qui d’un seul élan, et avec enthousiasme foncent vers le précipice. D’abord celui d’une crise économique générée par l’alourdissement des coûts de l’énergie et des matières premières provoqué par l’embargo sur les produits russes, mais aussi par l’inflation déjà présente qui s’en trouvera accrue. Remarquons que l’un des buts de l’Union Européenne était de contenir l’inflation. Après la pandémie, la guerre en Ukraine accentue la pente fatale. Pendant ce temps, les Etats-Unis, de même qu’ils font tourner leur complexe militaro-industriel à plein régime pour armer l’Ukraine et compléter l’arsenal de leurs alliés, vendent aux Européens leur énergie fossile plus chère et plus polluante, et n’hésitent pas à faire sauter les gazoducs de la Baltique si nécessaires à l’Allemagne dont l’alignement sur Washington révèle plus que jamais la servilité, fatale à la conception gaulliste de l’Europe. Jamais l’Allemagne n’a adhéré au mirage français du couple franco-allemand fondateur d’une “puissance” européenne. La France se retrouve à la traîne de l’Allemagne, elle-même à la traîne des Etats-Unis ! La stupidité de la politique énergétique, et notamment nucléaire de la France, qui nous prive de l’autonomie et renverse les flux au profit de l’Allemagne et de son charbon relève de la haute trahison !
Ensuite, la crise économique débouchera sur une crise politique majeure lorsque les Européens prendront conscience de leur débâcle et plus profondément de leur décadence. Qui pourrait aujourd’hui rappeler le but proclamé de la stratégie de Lisbonne, sans provoquer le rire ou la stupeur : ” « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010, capable d’une croissance durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale » ? Malgré la mobilisation d’une majorité des médias au service de l’idéologie dominante, il devient de plus en plus évident que les gouvernants européens, et singulièrement l’oligarchie bruxelloise, trahissent les peuples. L’intérêt de ces derniers est de coopérer avec une Russie tellement complémentaire. L’illusion d’une démocratie sans cesse plus fallacieuse, quand la liberté d’expression est réduite, quand le pouvoir échappe aux peuples pour être capté non par leurs représentants mais par des politiciens professionnels qui s’y enrichissent, doit se dissiper. Retrouver la souveraineté nationale qui permet aux citoyens soit par leurs représentants, soit directement, de décider du destin de leur nation est la condition sine qua non de la démocratie. Nous en sommes loin et nous n’avons donc aucune raison de promouvoir ce régime qui n’est plus le nôtre dans une Ukraine dont le gouvernement corrompu est issu d’un coup d’Etat déguisé en révolution, et se comporte en satellite américain, épuisant sa population dans une guerre par procuration au profit de l’Amérique et au détriment de l’Europe. Quand les peuples européens sont dépossédés de leur souveraineté par une oligarchie bruxelloise qui se livre à un coup d’Etat permanent comme le dit Pierre Manent, les faux démocrates de Bruxelles ne font que prolonger leur tartufferie en soutenant les faux démocrates de Kiev. Cette guerre pouvait être évitée en respectant les accords de Minsk : une Ukraine neutre, fédérale pour reconnaître l’autonomie des oblasts russophones, et pont entre la Russie et l’Union Européenne, c’était la solution de la paix et du bon sens. L’Allemagne et la France en étaient les garants, mais ont laissé jouer sournoisement la manoeuvre américaine. Comme le dit Vincent Hervouët, le moteur franco-allemand a calé quand on en avait le plus besoin. Mme Merkel a avoué récemment que la solution de Minsk n’avait pas été sérieusement envisagée parce qu’il s’agissait de faire patienter les Russes pendant qu’on renforçait l’armée de Kiev. Le cynisme et le machiavélisme ne sont pas russes, mais “occidentaux” ! (à suivre)
Un commentaire
Pierre de Gaulle, le petit-fils du général, à l’instar de son grand-père, est favorable à une Europe forte, intégrant la Russie, face à l’Amérique et à la Chine.