Le débat européen semble tourner autour de la solution pour sortir de la crise : la réponse majoritaire soutenue par le Centre-Droit, sous la houlette de la CDU-CSU allemande, consiste à rétablir la rigueur des équilibres prévus par les traités européens. L’Allemagne, obsédée par la stabilité monétaire depuis la terrible inflation des années 1920, et qui a fourni les efforts nécessaires pour digérer l’ex-RDA, a accepté l’abandon du Mark avec réticence. Elle est aujourd’hui le seul pays à bénéficier d’une monnaie dévaluée qui s’appelle l’Euro. Sa réussite relative est imposée comme un modèle. La Banque Centrale Européenne, indépendante, est soumise à l’objectif prioritaire d’empêcher l’inflation. Les réformes structurelles qui assurent la compétitivité germanique, avec pour conséquences positives une balance commerciale excédentaire et un retour dans les critères de Maastricht, et avec une stagnation du pouvoir d’achat, voire une augmentation du nombre des travailleurs pauvres pour revers de la médaille, deviennent pour les pays du sud, habitués aux dévaluations compétitives et handicapés par une monnaie trop forte, des cures d’austérité insupportables pour une partie de la population. L’Espagne, par exemple, regagne des parts de marché, mais son déficit public dépasse de 7 points les 3 % et son taux de chômage est au-delà de 20%. La France, si tant est qu’elle ait fait un choix, paraît rechigner devant la rigueur, et laisse à penser que lorsqu’elle dit “croisssance”, elle pense déficit et dépense. L’attitude laxiste de la Commission Européenne à son égard, les déboires du AAA des champions de l’austérité britanniques, peuvent donner quelque crédit, c’est le cas de le dire, à la réponse française.
Le ralentissement de la croissance Outre-Rhin, les chiffres négatifs qui s’accumulent sur l’économie européenne devraient amener à s’interroger sur la pertinence des deux solutions. La cure ascètique risque de conduire à la mort d’un malade européen guéri dans la douleur. Les injections massives de morphine par la dépense publique, les déficits et la dette, mèneront à un résultat identique : paralysé par la charge de la dette, privé de toute autonomie, et perdant la conscience de la réalité qui l’entoure, le patient s’endormira pour un sommeil éternel. Le problème doit être abordé à un autre niveau. Voilà des années que l’Europe offre deux visages rébarbatifs : le premier, c’est celui du technocrate froid, mondialiste, s’acharnant à compliquer inutilement la vie des Européens par une réglementation inspirée par l’idéologie des dirigeants, mais incapable de susciter le moindre élan aux peuples de notre continent. Le second, c’est celui du comptable, arc-bouté sur ses chiffres inaccessibles et désespérants. La satisfaction de Moscovici se félicitant du 1,2 de croissance prévu pour 2014 mettait mal à l’aise : ou il se moquait de nous puisque ce chiffre incertain est très insuffisant, notamment pour résorber le chômage ; ou il était vraiment cet enfant à problème dont a parlé un responsable allemand à propos de la France. Content d’avoir échappé à la sanction de Bruxelles, le mauvais élève se réfugiait dans sa médiocrité, dans le moindre mal plutôt que dans l’excellence promise par la stratègie de Lisbonne. Le “stratège” européen, quant à lui, se révèle un tacticien lointain et maladroit qui autorise le retour des farines animales en pleine crise de sécurité alimentaire. Le Président français, qui a des électeurs, dit non. Mais il avoue devoir plaider devant la Commission européenne. A quoi sert l’Europe ? Que devient la Nation ?
L’Europe est sortie de la Seconde Guerre Mondiale, affaiblie, contrainte de renoncer à ses empires, soumise soit aux Etats-Unis, soit à l’URSS, avec un dégoût de ses traditions guerrières, et parfois même un dégoût de soi, de son histoire, de sa culture. Pendant un temps, elle a pu croire au rêve de Pères de l’Europe, ce continent uni dans une perspective démocrate-chrétienne avec l’ambition d’être un modèle de pacifisme et de justice sociale sur la base d’une richesse retrouvée. Réussite économique d’un côté, antiracisme de l’autre, tels étaient les deux visages du Janus européen. Le premier s’est effacé pour laisser la place au technocrate-comptable cherchant désespérément la martingale perdue. Le second est toujours là prompt à la censure et à l’émasculation. L’Europe n’a pas osé se référer à ses valeurs chrétiennes. Or, la solution à la maladie de langueur dont souffre l’Europe n’est pas économique, mais politique. Ce sont les hommes qui font l’économie, et depuis Max Weber, on sait que la mentalité des acteurs est le principal moteur de son développement. Il n’y a pas d’exemple dans le monde de puissance économique qui ne soit solidement appuyé sur un patriotisme et sur un esprit national. Les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, le Brésil, et jusqu’à Singapour affrontent les problèmes économiques non comme des mécanismes implacables auxquels sont soumis les individus mais comme des batailles que les nations doivent gagner. Avec Poutine, la Russie a retrouvé la confiance en soi. En choisissant Shinzo Abe, le Japon abandonne la contrition pour faire face à son puissant voisin chinois et renouer avec ses ambitions.
Si l’Europe est incapable de devenir une super-nation, avec une super-monnaie et un super-président, comme en témoigne, à l’évidence, la situation actuelle, parce que chaque pays joue son jeu, avec les cartes de son histoire, de ses intérêts et de ses échéances électorales internes, parce que l’Euro est un boulet plus qu’un vecteur, parce que le “Président”, sans pouvoir, sans représentativité est totalement inutile, alors il est préférable de dissiper le malentendu. L’Europe est un marché, qui doit se protéger davantage. Ce n’est pas un acteur politique mondial. Il appartient aux grands Etats nationaux d’agir de concert à ce niveau. La lourdeur de la machinerie européenne encombrée par des pays qui n’ont ni tradition ni ambition sur la scène mondiale est un obstacle plus qu’un levier. La France est à la croisée des chemins : elle est l’un des pays qui existent le plus dans le monde par sa diplomatie partout présente et active, parfois suivie par d’autres moyens, comme disait Clausewitz. Elle bénéficie encore d’une des démographies les moins mauvaises du continent. Pays béni des dieux, selon Christian Saint-Etienne, elle subit aujourd’hui les conséquences de la gouvernance la plus nulle qui soit depuis plus de trente ans. Le résultat, c’est une industrie anémiée, une collection de déficits que l’importance de la dépense et de l’emploi publics, d’un côté, les prélèvements obligatoires décourageants, de l’autre, ne parviennent pas à résorber, c’est enfin une monnaie sans rapport avec notre réalité économique. Tant d’atouts gâchés, de difficultés accumulées doivent inspirer un sursaut. Il n’y a pas de relance économique sans confiance ni de confiance sans une politique qui soulève non un rêve, mais un espoir. Or, cette politique doit être nationale puisque l’Europe n’est pas politique.
3 commentaires
Les valeurs de la France sont tout autant gréco-latines que chrétiennes, sa place dans les sciences exactes dont la méthode est héritée des Grecs le démontre amplement. Par ailleurs il ne faut pas oublier que le christianisme n’a pas toujours été, et n’est encore pas toujours, à la hauteur de ses valeurs.
Oui. Le Christianisme, le Catholicisme, en particulier, est une synthèse de l’héritage évangélique et de l’héritage gréco-latin, depuis Saint Paul et les Pères et Docteurs de l’Eglise. Il faut lire l’excellent “Héritage d’Athéna” d’Yvan Blot, à ce sujet.
C’est en effet aux Etats de faire les réformes nécessaires pour retrouver la prospérité: réduire le poids et le coût de la sphère publique et libérer l’économie pour la rendre compétitive. L’idéal qui devrait inspirer cette transformation est celui de la liberté individuelle, de la responsabilité, du droit de propriété, de l’état de droit. Bref il faudrait fermer la parenthèse du socialisme et revenir aux principes de base de notre civilisation. L’essence de l’occident c’est la liberté.