L’Amérique latine agit sur la France comme un révélateur idéologique. Si la France ignore en grande partie la complexité et la diversité de cette civilisation issue de la colonisation espagnole et portugaise, elle en profite pour combler ses lacunes avec les préjugés gauchisants qui peuplent le microcosme médiatico-politique à sa tête. C’est ainsi qu’un duo de gauchisme délirant et d’ignorance crasse nous a été offert par Victorin Lurel, l’actuel Ministre de l’Outre-Mer et par l’ineffable Jego, qui avait déjà remporté en Guadeloupe la palme du plus nul des titulaires du Ministère. Le premier présente Chavez comme une synthèse de De Gaulle et de Blum, pas moins. Sa vision fantasmatique de notre histoire oublie quelques “détails” : Chavez a commencé par un coup d’Etat manqué et par de la prison. Blum, c’est vrai, a mis en oeuvre au pire moment une politique économique et sociale calamiteuse, et le parallèle se justifie davantage, mais il n’avait pas les plus grandes réserves mondiales de pétrole pour en limiter les conséquences, et n’a pas contraint les libertés démocratiques ni le fonctionnement des institutions républicaines. Comparer un histrion démagogue et irresponsable, qui a fait de son pays le 2éme au monde pour la criminalité, à De Gaulle, relève chez un Ministre français de l’injure à la mémoire de celui qui a incarné l’honneur de la patrie au lendemain de la pire défaite de son histoire. Hélas, la réponse de l’ancien Ministre utilise un mot déplacé qui montre sa méconnaissance du sujet. Chavez n’est pas un dictateur. On peut lui reprocher une politique économique moins efficace que celle de Pinochet, mais il a été élu et réélu à plusieurs reprises. On peut s’inquiéter de l’omniprésence de son parti en uniforme, de sa pratique constitutionnelle, et de son traitement de l’opposition, mais celle-ci existe et obtient des scores importants aux élections. On peut surtout s’alarmer de ses amitiés douteuses pour de vrais dictateurs comme Khadafi ou Castro-Frères, mais la présence massive des Présidents sud-américains élus, comme le voisin colombien, à ses funérailles, montre que personne ne contestait sa légitimité, même si beaucoup n’appréciaient pas son style.
Cela dit la complaisance ou la dévotion de certains Français à l’égard de Chavez et de Castro devraient nous couvrir de honte. La dictature cubaine, ses chefs et ses complices ont souvent bénéficié dans notre pays d’une indulgence et parfois d’un enthousiasme bien suspects dans la “patrie des Droits de l’Homme”. On se souvient du panégyrique de Sartre, fasciné en 1960 par Castro, comme souvent les intellectuels politiquement impuissants par la personnalité volontaire et agissante des dictateurs. Déjà, en d’autres temps, Brasillach et Drieu… En 2005, lors du centenaire de la naissance de Sartre, celui-ci avait disparu des bibliothèques et des librairies cubaines pour avoir tardivement critiqué l’emprisonnement des dissidents, et la honteuse autocritique publique imposée à l’écrivain Heberto Padilla. Mme Mitterrand y avait été moins sensible, comme le dénonce Jacobo Machover, écrivain et universitaire cubain exilé en France. Comment de prétendus humanistes, des politiques, des journalistes si vindicatifs à l’encontre des régimes autoritaires “de droite”, si soupçonneux envers des démocraties en difficulté, comme la Colombie ou le Mexique, ont-ils pu être aussi distraits à l’égard de la dictature castriste ? Celle-ci, durant son long règne sans partage n’a pas hésité à jeter les opposants, les intellectuels, en particulier, dans ses cachots. Mais les “Dames en blanc” cubaines, femmes de prisonniers politiques, sont moins connues que les Mères de la Place de Mai argentines. Des opposants incarcérés sont morts à la suite de longues grèves de la faim, comme le poète Pedro Luis Boitel, embastillé et torturé, mort en 1972, ou Orlando Zapata en 2010. Ceux-ci n’ont pas éveillé la même compassion que l’Irlandais Bobby Sands. Guillermo Farinas, prix Cyberliberté de reporters sans Frontières 2006 avait lui aussi entamé une grève de la faim à la mort de Zapata. Il a, à nouveau, été arrêté le 24 Juillet 2012, lors des obsèques d’Oswaldo Payà Sardinas.
Il est indispensable qu’en France soit levé le silence qui entoure la mort d’Oswaldo Payà Sardinas. Benoît XVI a rendu hommage à ce Chrétien engagé et qui a disparu dans des circonstances troublantes. Angel Carromero qui conduisait le véhicule à l’arrière duquel avait pris place le dissident cubain et qui a gagné l’Espagne après sa libération conditionnelle vient de révéler que l’accident qui a entraîné la disparition de l’opposant a été délibérément provoqué par une Lada de la Sécurité d’Etat qui les suivait. Oswaldo Payà avait été le porte-parole des membres du Mouvement Chrétien de Libération incarcérés en 2003, lors du Printemps Noir au cours duquel 75 opposants avaient été jetés en prison. Ils ne l’ont quittée qu’en 2010, pour se réfugier en Espagne, pour la plupart d’entre eux. Oswaldo Payà était resté en liberté en raison de sa notoriété internationale. Auteur du Projet Varella qui demande un référendum constitutionnel pour établir la démocratie à Cuba, il avait reçu le prix Sakharov de la Liberté de Pensée 2002, du Parlement Européen qui l’a également décerné aux Dames en Blanc en 2005 et à Guillermo Farinas en 2010. Ce dernier n’a pas été autorisé à se rendre à la cérémonie par ce vestige de l’URSS brejnévienne qu’est Cuba. La France est victime d’une curieuse hémiplégie sélective en matière de Droits de l’Homme, de Libertés Publiques et de Démocratie. Il est plus que temps qu’elle se soigne. Il est plus que temps qu’elle soit aux côtés de ceux qui se battent pour la liberté dans une des dernières dictatures communistes du monde.
Un commentaire