L’Afrique, à défaut d’être entrée dans l’Histoire, est à la une de l’actualité. La coïncidence entre le Sommet sur la Paix et la Sécurité qui se tient à Paris en présence de 40 dirigeants aficains, l’intervention française en République Centre-Africaine, et la disparition de Nelson Mandela braque les projecteurs sur un continent au devenir incertain. L’événement auquel les médias se consacrent le plus est la mort de Madiba. Il est révélateur que le décès d’un homme de 95 ans, retiré du pouvoir, prenne le pas sur le reste. Le marché de l’information cultive l’émotion à son plus grand profit. En l’occurrence, contrairement à d’autres, princesse britannique ou révolutionnaire argentin, Mandela mérite de la susciter. Son charisme le situe parmi les icônes qui relèvent d’un mythe dont la remise en cause serait sacrilège. Cela transcende la politique pour atteindre le quasi-religieux avec cette part de dévotion qui obscurcit parfois le jugement. La pluie de louanges, la ferveur des oraisons sont telles qu’elles ôtent l’envie d’en ajouter. Leur quantité mais aussi la qualité parfois douteuse des panégyristes freinent les ardeurs. Toute la caste branchée des “progressistes” verbeux, des chevaliers de la décadence, des marxistes non repentis, et des mondialistes libertaires a profité de l’occasion pour habiller ses échecs et sa médiocrité de la tunique immaculée de Madiba. Cela donne envie d’éteindre les radios et de réfléchir. Nelson Mandela partage avec Gandhi, dont l’action avait débuté aussi sur cette terre d’Afrique du Sud, le fait d’avoir été une exception, un symbole actif plutôt qu’un homme de pouvoir. Tous deux, contrairement aux mondialistes superficiels et aux champions de l’individualisme sans racines, ont cultivé à la fois le sens de l’identité culturelle et le respect de l’autre. Ce sont des personnalistes et non des individualistes. Le premier a réussi, en accord avec Frederik de Klerk à mettre fin au régime de l’apartheid sans bain de sang ni départ massif des Blancs qui ont construit l’Afrique du Sud. Le second, s’il a libéré en douceur l’Inde de la présence britannique n’a pas réalisé l’entente entre Hindous et Musulmans et en est mort, victime des extrémistes de sa religion. Tous deux ont été portés par une éthique et appartiennent davantage à la race des Saints qu’à celle des Héros. La question demeure donc de savoir si leur impulsion peut l’emporter à long terme sur les pesanteurs naturelles de l’humanité. Gandhi a déjà perdu. Mandela dont le pays a échappé à la dérive du Zimbabwe voisin l’emportera-t-il à long terme, alors que des centaines de milliers de blancs l’ont fui, que les inégalités et la pauvreté accentuent les tensions, que la violence et le Sida y battent des records ?
L’Afrique du Sud est-elle un exemple ou une exception ? Elle aurait pu exploser entre ses différentes ethnies. Elle a maintenu ses frontières héritées d’une triple colonisation par les Afrikaners, les Bantous et les Anglais et semble connaître comme tout pays développé des problèmes sociaux plus que des affrontements ethniques. Mais cette situation que certains jugent précaire n’est pas celle du continent. Le plus souvent, dans des espaces abstraits qu’a délimités la puissance coloniale vivent des populations qui n’ont pas construit d’identité ni même de solidarité nationales. Le jeu apparent d’une démocratie plaquée sur une réalité où elle est étrangère est souvent contrarié par des rapports de force entre les groupes qui peuvent aussi prendre le visage de luttes religieuses. Tel peuple plus fécond l’emporte aux élections non par son souci de l’intérêt national, mais par le poids de sa démographie. Tel peuple plus guerrier s’impose par son aptitude au combat. Ainsi les Tutsis minoritaires ont-ils chassé les Hutus du pouvoir au Rwanda. Ainsi les peuples islamisés du nord exercent-ils une supériorité militaire sur les sédentaires, parfois chrétiens, du sud. Lorsque l’absence de sens de l’Etat, la corruption et le service exclusif de son groupe ont ruiné l’idée même d’un Etat et rendu sa réalité évanescente, alors se produit la situation de la République Centre-Africaine, envahie tour-à-tour par les rebelles ougandais au Sud et par la Séléka à dominante musulmane au Nord. Une telle implosion du pays s’est déjà produite au Zaïre à la chute de Mobutu ou au Mali plus récemment. La France dans le large espace de la Francophonie africaine a constamment joué un rôle important pour enrayer les conflits issus de l’absurdité politique et géographique post-coloniale. De Kolwezi à Bangui, en passant par le Tchad, le Rwuanda, la Côte d’Ivoire et le Mali, la France assume avec plus ou moins de bonheur le rôle du gendarme dans cette région. Ces interventions ne visent pas systématiquement des objectifs économiques. Elles sont le plus souvent humanitaires et politiques, comme le montre l’exigence de protéger les populations chrétiennes de Centre-Afrique contre les exactions de la Séléka. En Octobre 2012, F. Hollande disait à Dakar vouloir tourner la page de la Françafrique : c’est au contraire celle qu’il s’est appliqué à écrire avec le plus de zèle. En l’absence de véritable concours de l’Europe, il devra donc donner à l’Armée les moyens de ses missions. Les Français savent que leur Président n’est ni un saint ni un héros. Ils lui demandent simplement d’être efficace et cohérent, ce qui ne semble pas sa tendance la plus naturelle.
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