Dans la plupart des démocraties libérales, c’est-à-dire pluralistes, les partis politiques ont trois fonctions : représenter les opinions du corps électoral, les “familles de pensée ; participer à la compétition comme des écuries de course choisissant les poulains les plus à même de l’emporter ; offrir une alternance crédible entre le pouvoir et l’opposition. Le mode de scrutin en détermine le nombre. Des élections uninominales par circonscription à un tour conduisent au bipartisme anglo-saxon. Les courants d’opinion se concurrencent à l’intérieur des deux grands partis. C’est de loin le meilleur système qui, comme par hasard, est celui des démocraties les plus stables, les USA et le Royaume-Uni, notamment. On dira que cela gomme les différences d’opinion et maintient une pensée unique au pouvoir parce que les électeurs votent “utile” mais pas vraiment pour ce qu’ils préfèrent. Il est vrai que ce système sélectionne des élus responsables, capables de gouverner sans extrémisme, mais il favorise au contraire les ruptures politiques. Mme Thatcher l’a démontré. Par ailleurs, il entretient une proximité salutaire entre l’électeur et l’élu. Ce dernier ne peut être un idéologue. Ce doit être aussi un homme de service plus que de pouvoir.
Les scrutins proportionnels favorisent l’émiettement partisan. Contrairement à un préjugé solidement établi, ils sont une menace multiple pour la démocratie. Ou dans certaines circonstances historiques ils permettent l’arrivée brutale au pouvoir d’extrémistes comme ce fut le cas en Allemagne en 1933 ; ou ils obligent à la constitution de majorités arithmétiques qui n’ont rien de démocratique : d’abord, le plus petit parti nécessaire à la majorité bénéficiera d’un poids hors de proportion avec sa représentativité ; ensuite, des unions hétéroclites ou fragiles feront des gouvernements enclins à l’immobilisme ou à l’instabilité. Enfin, les élus désignés par le parti et situés en bonne place sur les listes pour être sans cesse réélus formeront une profession politique séparée de l’électorat et n’ayant pas de compte à lui rendre. Une élection n’est pas un sondage d’opinion, mais la désignation personnelle d’élus responsables.
Au gré des intérêts partisans voire personnels, la France, sous la houlette de politiciens dénués d’envergure comme Raffarin et consorts, a multiplié les modes de scrutin et créé un système absurde qui fait honte à notre intelligence. Scrutins proportionnels à un ou à deux tours, scrutin uninominal à deux tours, avec des circonscriptions et des seuils différents. Il est permis de se demander jusqu’à quel point ce maquis n’a pas été voulu par les professionnels pour égarer les amateurs, entendez les électeurs. Au lieu d’avoir deux partis dans la logique du scrutin uninominal à un tour, on en avait quatre, ce qui était logique avec deux tours. L’UDF et le RPR jouaient les primaires à droite. L’introduction de la proportionnelle a fait arriver d’autres formations, le FN, notamment à droite. C’est cela qui a conduit au regroupement dans l’UMP d’une “droite” menacée sur sa droite. Ce parti devait alors intégrer sa diversité et organiser la concurrence entre ses “familles”. C’était assez simple : il y en avait quatre. La plus importante était gaulliste, c’est-à-dire foncièrement patriote, attachée à l’identité, à la sécurité et à la justice sociale. Son goût pour la démocratie directe achevait la silhouette d’un populisme raisonnable. Ce courant a totalement fondu dans un parti eurolâtre, et dénué d’autres idées que celles qu’impose la mode. La seconde était le libéralisme des indépendants, plus conservateur que libertaire dans notre pays. Qui se dirait aujourd’hui libéral ou conservateur à l’UMP ? A part une vision technocratique, comptable et parfois clientéliste de l’économie, il n’y a pas de philosophie néo-conservatrice à l’UMP capable, en revanche, d’exclure pour moins que cela. La troisième était la parente pauvre de l’Europe, la Démocratie Chrétienne, honteuse de soi au royaume de la laïcité de combat. L’UMP ne s’intéresse pas aux Chrétiens d’Orient, est prête à toutes les évolutions sociétales porteuses de voix, et ne rejoint les “manifs” que parce qu’elle y voit du monde. Reste le radicalisme, un oxymore en un mot. Le radicalisme est radicalement dénué d’idées et valeurs. Il est, depuis la IIIe République le point de ralliement des politiciens qui font cuire leur petite carrière sur le petit feu de la République des copains et des coquins. Bien qu’il ait tendu à se séparer de l’UMP afin de créer l’UDI, ce courant est celui qui correspond le mieux à l’UMP, une machine électorale qui a marginalisé les hommes de conviction au profit des hommes d’appareil.
La machine est forte. Elle a le carburant des subventions publiques, bien que beaucoup de ses membres aient créé des micro-partis afin de financer leur propre carrière en utilisant les finesses d’un système qu’ils ont instauré. D’une affaire à une autre, spécialiste des élections truquées et des comptes opaques, si l’on en croit certaines enquêtes, l’UMP qui a parfois le toupet de se référer au Général, reflète le niveau de la politique française actuelle : absence de compétence, carriérisme forcené de gens incapables de faire autre chose, et malgré tout un carré de militants et de généreux donateurs qui veulent encore y croire. Mais elle connaît le problème des agences de show-bizz : beaucoup de candidats pour la tête d’affiche et aucun d’indiscutable. Le choix ne se fera pas sur les projets. Lesquels ? Il se fera sur le profil médiatique entre les chevaux de retour et les promesses d’avenir qui n’engageront que les électeurs. L’UMP n’est plus qu’une machine à offrir des places et à chercher des voix. Encombrée d’ambitions dénuées des talents qui les auraient fait réussir dans la vie professionnelle, pénétrée d’obédiences et de groupes de pression, elle se cherche un conducteur et celui-ci se cherchera des idées à chaque élection en fonction des sondages. L’UMP fonce dans le mur et c’est tant mieux, car au pouvoir, c’est la France qu’elle entraîne dans cette direction.
5 commentaires
Il est bien évident qu’après l’élection d’un” François Hollande”, n’importe qui se sent maintenant capable de faire n’importe quoi, n’importe comment, pour se donner une chance de prendre la place…
Une fois que l’UMP se sera écrasée contre le mur, ce serait assez bien qu’émerge un parti conservateur/libéral du genre CDU ou Parti Conservateur britannique. Un parti qui serait conservateur sur les questions d’identité et libéral sur les questions économiques. On peut toujours rêver!
Si nous n’avons plus rien à Droite, pas grand chose à Gauche et trop peu de Centre , on comprend pourquoi tant d’électeurs se décident à s’engager dans la
“Marine Nationale”…
Vous citez en exemple la stabilité du Royaume-Uni, qui serait due à son bipartisme… Ce n’était plus de la stabilité, mais une fossilisation qui en aucun cas ne garantissait des élus non idéologues. Le Labour est au moins aussi nuisible que le PS ici, et le parti Tory est littéralement déchiré entre les modernes (néolibéraux à la sauce Copé-Fillon-Sarkozy) et les anciens, équivalents exacts du courant dit de la Droite populaire dont vous faisiez partie, jusqu’à ce que vous soyez éjecté pour délit de pensée non -conforme.
Ici, MLP a fait sauter le bipartisme ronronnant, la République des coteries et des subsides. Là-bas, l’UKIP a fait précisément la même chose. Jeu égal.
Quant aux USA, je me dépêcherais de les oublier. Tout d’abord, ce n’est pas une démocratie, et ils en sont même fiers. Le système instauré par les Founding Fathers exclut le suffrage universel pour assurer un bouclier de protection contre la voix du peuple (qu’ils appellent “mob rule”), les “Grands électeurs”. Aucun autre système basé sur le vote n’est plus aisé à corrompre. De là, l’hallucinante prolifération de lobbies qui mènent la politique aux USA, pays où le Président et le Congrès ne sont que des pantins au service d’une oligarchie.
@ Monsieur le Député:
” Il se fera sur le profil médiatique entre les chevaux de retour et les promesses d’avenir qui n’engageront que les électeurs. ”
Voilà exactement le profil du président-tricheur de l’UMP qui, après avoir fait de ces élections européennes une sanction contre François Hollande, a déclaré aux media que les voix obtenues par les candidats centristes s’ajoutent naturellement à celles récoltées par les listes UMP, peu importe que 20 % des électeurs du MODEM eussent choisi de glisser un bulletin François Hollande dans l’urne le 6 Mai 2012 !