L’abus d’un mot doit toujours éveiller le soupçon que son usage immodéré ne compense la minceur de la réalité qu’il désigne. Ainsi en est-il de la transparence exigée du milieu politique. Par définition, la démocratie n’a qu’un souverain, le peuple, qui soit directement, soit par ses représentants exprime la volonté générale. Or, les signes ne manquent pas d’une fracture qui s’accroît entre la population et le sérail politique. Lors de la législative partielle de la 3e circonscription de l’Aube, 3 électeurs sur 4 ont boudé les urnes. Certes, il s’agissait d’une partielle. Certes, ce siège est destiné à un élu ump. Certes, la gauche est en plein désarroi. Mais, au-delà de ces circonstances particulières, ne faut-il pas y voir la marque plus profonde de la Cité telle qu’elle devient ?
Si on a fait tomber les murailles qui la protégeaient du dehors afin que les hommes et les marchandises y circulent plus facilement, si on a persuadé les citoyens qu’ils n’étaient en rien différents des visiteurs étrangers et seraient bien égoïstes de se réserver le droit de Cité, sur la colline qui surplombe les places et les marchés, on a élevé une forteresse. Les regards, d’en-bas, se portent vers elle avec envie parfois, avec colère le plus souvent, avec fatalisme aussi. L’admiration, elle, a disparu. Ceux d’en-haut savaient et décidaient. Les guerres auxquelles ils avaient participé et les politiques couronnées de succès suscitaient le respect. Les portes du château restaient ouvertes, et parfois ceux de la basse-ville avaient le sentiment qu’on leur demandait vraiment leur avis. Après tout, ils avaient conduit au départ le plus prestigieux de leurs seigneurs en lui répondant “non” lorsqu’il les avait interrogés, et même ils avaient plus tard installé sur son trône le plus entêté de ses adversaires. Aujourd’hui, beaucoup se demandent par quelle aberration, celui qui l’occupe, a pu s’y hisser. Surtout, ils voient de moins en moins s’ouvrir la possibilité pour eux d’en désigner un titulaire qui en soit digne, tant le jeu s’est fermé et leur a échappé des mains.
L’ancien Maire de Troyes, Robert Galley, m’a dit un jour, alors que j’étais son vice-président du groupe textile à l’Assemblée : “je n’ai pas entendu l’Appel du 18 Juin, j’étais déjà sur la route”. A 19 ans, il rejoint les Français libres, puis ce sera la Syrie, El Alamein, la 2e DB jusqu’à la victoire. Gaulliste de la première heure, Compagnon de la Libération, cet ingénieur de Centrale participera à l’aventure nucléaire, puis sera Ministre du Général. Le député-maire de Troyes qui a tant fait pour sa ville n’y était ni par hasard, ni par protection. Il y était par le mérite et la reconnaissance. Evidemment, son successeur, dont l’élection comme sénateur, a provoqué l’élection de l’Aube, n’a pas du tout le même profil. Fils d’un grand-maître du Grand-Orient, tragiquement disparu, et grand ami de Chirac, il a exercé quelques années années des talents de journaliste politique à Europe n°1, grâce à Elkabbach, semble-t-il, puis a fait la longue carrière politique, riche en titres, dont aucun ne paraît “de gloire”. On serait bien en peine de trouver la trace d’une mesure intelligente et salutaire chez le Ministre du budget puis des Finances qu’il a été. Comme l’écrit Racine, “nourri dans le sérail, j’en connaît les détours”. Son accession très politique à la présidence de l’Association des Maires de France en fait un atout important dans les futures compétitions électorales. Robert Galley avait fait preuve de courage, avait été combattant, possédait un savoir-faire professionnel de haut-niveau, et n’avait pas cherché refuge sous les ors du Sénat. François Baroin est un politicien de part en part, un produit de ce monde fermé de connivence et de copinage qui se recroqueville sur lui-même et dont le peuple se désintéresse.
Il serait percutant et sans risque que dimanche prochain les électeurs élisent le candidat du FN, le bien nommé Subtil, resté en lice pour le second tour avec 13 points de retard. Ce serait une manière de casser le système. Mais cela n’a aucune chance de se produire : les jeux sont faits. Ne sont-ils pas faits et pour longtemps, d’ailleurs, au niveau national ? Manuel Valls se taille un costume pour 2022 lorsqu’une gauche “blairisée” se sera fait une santé pendant cinq ans d’opposition. Le candidat socialiste a peu de chances de survivre au premier tour de 2017. Une injection de proportionnelle sauvera toutefois quelques “amis” et affaiblira la majorité grâce à l’élection d’un certain nombre de députés “bleu marine”. Mais l’imagination peu inventive des politiciens préfigure, comme à Troyes, un duel FN/UMP dont l’issue ne fait guère de doutes. Qui sera le candidat UMP ? Sarkozy ne suscite, plus l’enthousiasme de jadis, mais l’emporterait mécaniquement, parce qu’il tient l’appareil du Parti et que Juppé, mieux perçu à gauche, n’en tirera aucun avantage lors des primaires. La foule des ambitieux sans talent se presse déjà autour du futur vainqueur dont, seules des déconvenues judiciaires pourraient arrêter l’élan. Quelle sera la politique menée alors ? Il serait téméraire de répondre à la question. Mais cela est secondaire. En l’absence de démocratie directe, seules comptent les places prises et non les problèmes résolus. Les portes de la citadelle sont fermées. On y entend seulement les sons d’un jeu de chaises musicales, que le peuple qui a du travail ou en cherche n’écoute plus..