C’était hier le soixante-dixième anniversaire de la libération d’Auschwitz. Le Président de la République s’est rendu pour la première fois à Auschwitz pour participer à une commémoration qui rassemblait les représentants d’une cinquantaine d’Etats. Auparavant, il avait participé à Paris à des manifestations liées à ce jour de mémoire. Le nom de ce camp, ou plutôt de ces camps, est devenu écrasant. Pendant longtemps, la seconde guerre mondiale apparaissait comme une suite d’événements purement militaires : les Alliés avaient écrasé l’Allemagne hitlérienne ; le général de Gaulle avait sauvé l’honneur et l’intérêt supérieur du pays, en faisant participer les troupes française à la victoire ; la Résistance avait contribué par ses douloureux sacrifices à la Libération et la Collaboration, qui avait été l’ombre de cette épopée, devait le rester. Dans un premier temps, la déportation avait surtout été perçue comme le calvaire des résistants soumis au régime extrêmement dur des camps de concentration, comme Dachau ou Buchenwald. Ceux qui étaient revenus avaient été accueillis en héros et avaient parlé. Puis, une autre lumière s’est projetée sur ce passé tragique. 76 000 Juifs avaient aussi été déportés. Très peu avaient survécu, et à leur retour, avaient trouvé des familles décimées et des situations précaires. Moins visibles, ceux-là n’étaient pas des héros, mais des victimes, et des victimes non seulement des Nazis, mais de l’Etat Français, de l’administration de notre pays, qui parfois avait tenu à montrer son efficacité aux Allemands, afin que ceux-ci sentent tout l’intérêt d’une collaboration entre les deux Etats.
Dans un premier temps, le fait dominant de la seconde guerre mondiale avait été l’emploi de l’arme atomique et la menace qu’elle faisait peser sur l’humanité. Le génocide des Juifs d’Europe, la Shoah, est progressivement apparue comme l’autre aspect terrifiant du conflit bien qu’il ne soit pas militaire. Un Etat totalitaire moderne avait utilisé ses moyens au service d’une idéologie à la fois folle et monstrueuse. Une nation hautement “civilisée” avait entrepris de tuer systématiquement des hommes, des femmes, des enfants d’un groupe “ethnique” pour la seule raison qu’ils étaient nés. La dimension “industrielle” du crime est sidérante. Que des Français aient pu en être complices est renversant. En Octobre 2009, à l’invitation d’Haïm Korsia, l’actuel grand Rabbin de France, alors Aumônier-en-chef des Armées, j’avais visité Birkenau, le camp d’extermination d’Auschwitz, en compagnie d’élèves et de quelques collègues députés. J’ai rarement été aussi étreint par l’émotion que lorsque j’ai pris la parole tout au bout de cette vaste esplanade alors que la nuit tombait. A quelques pas du monument flottait un petit drapeau marqué de l’étoile de David. Je pensais à la fin des Mémoires de Guerre du Général… ” Je pressens le retour de la lumière et de la vie”. La vie avait triomphé de cette usine de souffrance et de mort.
Les Français qui ont été les complices de ce crime savaient ou ne savaient pas. Peu importe. Pour moi, nuls et non avenus, ils n’ont pas été la France. Mais ce jugement est loin d’être une excuse. La sacralisation de la Shoah, la ritualisation de son souvenir subissent le risque des cérémonies rituelles. On sait les paroles qu’il faut dire, les gestes qu’il convient de faire, mais on pense de moins en moins à ce qu’on dit à force de le répéter. “Plus jamais cela” affirme-t-on en désignant le “ventre fertile de la bête immonde”, c’est-à-dire l’autre, si différent de nous qui nous donnons bonne conscience en pratiquant ce devoir de mémoire, le fasciste, selon les communistes, l’extrémiste de droite pour les socialistes, le terroriste islamiste aujourd’hui. Mais est-ce là ce qu’il faut craindre le plus ? Foncièrement antisémite, la collaboration avait rassemblé des hommes d’horizons divers : des communistes comme Doriot, Marion, Gitton, des socialistes comme Déat ou Marquet, des radicaux comme Bergery, Luchaire ou Bousquet. De même la Shoah par balles des “einsatzgruppen” sur le front de l’Est n’était pas exclusivement le fait de SS fanatisés.
Ce qu’il faut craindre le plus, c’est la contagion insidieuse du mal, par arrivisme, par conformisme, par soumission à l’air du temps. Les premiers résistants étaient avant tout des “cabochards”, suffisamment structurés et autonomes, pour savoir dire non à l’inacceptable. Le plus dangereux n’est pas le monstre qui peut se repérer de loin, c’est la complicité, même dans un milieu restreint, de tous ceux qui ne lui résisteront pas, ne serait-ce que pour continuer à bénéficier de l’empathie du groupe. Laval demande aux nazis d’emmener les enfants aussi. Léon et Béatrice Reinach sont morts à Auschwitz avec leurs deux enfants, Bertrand et Fanny. Ils étaient les héritiers de Moïse de Camondo, qui a légué le Musée Nissim de Camondo à la France, en mémoire de son fils, un aviateur mort lors de la Première Guerre Mondiale. On veut croire que ces actions particulièrement indignes de la France n’aient pas été sciemment décidées, mais seulement motivées par la pression du moment, par l’opportunisme et le réalisme. Mais à bien y réfléchir, c’est cette complicité molle qui rend Auschwitz possible.
7 commentaires
Certes les portes des Camps se sont ouvertes, mais la mémoire de millions de morts y demeurent prisonnière à jamais. Quant aux survivants , il leur est toujours impossible de se libérer des souvenirs de cet horrible cauchemar.
Auschwitz libéré le 27 Janvier 1945…. par l’Armée rouge et bien sûr ni le président Poutine ni aucun responsable politique russe n’a été invité. C’est très bien les commémorations, les cérémonies du souvenir, les dépôts de gerbe. Mais cela ne vaut pas grand chose sans le respect de la vérité historique.
il y a plus de déportés pour des motifs non raciaux en France que pour des motifs raciaux. La shoah efface un peu trop les autres .
La décision de faire suvre les enfanst juifs en Allemagne prise parLaval, prouve son inconscience, car il n’était tout de même pas un monstre. L’industrialisation du meurtre était alors inimaginable. Ce qui ne veut pas dire que cela soit pardonnable.
Avis aux hommes politiques qui se laissent aveuglés par l’immédiat ou presqque.
L’Armée de Lattre d e Tassigny d’Afrique du Nord, est une armée préparée par Weygand qui a bourré l’Afrique du Nord de cadres permettant de mettre une armée sur pieds en très peu de temps.La France est des pays occuéps où la proportion des Juifs suvés est de loin la plus grande ( sauf Danemark ) Dans ma ville c’était le commissariat de police lui-même, l’alerte de raffles projetées parl’occupant !!
Quelle est réellement la part de Français dans les crimes commis sous l’occupation ? L’occupant savait recruter, d’autant qu étaient mieux connus les crimes bolcheviques et il n’hésitait pa à reruter des criminels. ( voir Laffon )
Toute situation de crimes et de désordre réclame par la suite des boucs émissaires.
Soyez prudents !
Ce que vous dites est juste. Mais, justement, je souligne le fait que beaucoup de collaborateurs n’étaient ni des monstres ni des fanatiques mais des hommes d’une incroyable médiocrité, mus par des ambitions, des rivalités, de l’opportunisme. Laval n’est pas un nazi, c’est le produit de la IIIe République, un petit boutiquier de la politique prêt à tous les compromis. Je crois que beaucoup d’hommes de cette espèce sévissent toujours dans la politique française.
Si Dieu a créé l’Homme à son image…le Diable s’est chargé de la colorier !
Ce que vous dites M. Vanneste me fait penser à Eichmann et la description qui en a été faite par Hannah Arendt : un homme d’une banalité telle, un peureux, opportuniste, qui met sa conscience en veilleuse. Mais un homme poli, qui aimait la culture juive, dont on a pitié quand on voit son procès.
Un homme si obéissant, si fonctionnaire dans l’âme, qu’il en a été le plus efficace en termes d’organisation de génocide industriel 🙁 et il n’avait la tête d’un monstre, ni la gestuelle hystérique-convulsive de d’Adolf ou des SS fanatisés.
Oui. On a beaucoup reproché cela à Hannah Arendt. Ma pensée est un peu différente. Il y a les loups, les monstres dont Heydrich est le modèle achevé, et il y a ceux qui deviennent leurs complices à force de petites ambitions médiocres et de soumission banale. Je crois que les seconds sont plus dangereux que les premiers, parce qu’ils sont plus nombreux et plus fréquents, moins visibles et repérables. Les premiers ont besoin de circonstances exceptionnelles pour jouer un rôle. Les seconds sont là en permanence. Beaucoup de politiciens actuels auraient été de parfaits “collabos”. La rencontre entre les deux produit les catastrophes.