Une fois encore le Front National attire sur lui tous les projecteurs. Ce n’est pas son programme, ce n’est pas la lutte des ambitions à l’intérieur du parti qui suscitent l’attention, contrairement à ce qui domine ses rivaux. Non, c’est le retour de l’incorrigible fondateur dont la provocation verbale est brusquement redevenue la marotte alors qu’il semblait l’avoir abandonnée pour faciliter la vie politique de sa fille. On a beaucoup de mal à comprendre l’objectif de cette démarche. L’enjeu était pourtant évident. L’UMP a gagné les élections départementales et a retrouvé une unité qui lui donne les meilleurs espoirs pour 2017. Malgré leur débâcle, le gouvernement et le PS s’efforcent d’être constructifs en tentant de relancer l’investissement. Mieux vaut tard que jamais ! Le Front National avait réalisé un score excellent au dernier scrutin. Il pouvait jouer les victimes en dénonçant un processus électoral et une alliance contre-nature qui l’empêchent de traduire un nombre de voix en nombre de sièges. Il pouvait transformer enfin l’essai en remportant des exécutifs régionaux lors des prochaines élections. Il devait d’ici-là achever le travail de dédiabolisation sans toutefois se banaliser afin d’offrir une alternative crédible au lieu d’être le support d’un mouvement d’humeur au premier tour. Le message devait donc être clair : nous sommes responsables et capables de gouverner. Nous proposons de vraies solutions aux problèmes du pays alors que nos deux adversaires les ont tour à tour accentués. Patatras ! Interrogé par Jean-Jacques Bourdin, Jean-Marie Le Pen a réitéré le “détail”, puis est allé confier à Rivarol quelques idées dont il connaissait parfaitement le caractère explosif. Le résultat est apparemment désastreux puisque la guerre des générations semble, cette fois, bel et bien déclarée et que le microcosme médiatique s’est précipité sur cette double aubaine d’un FN rediabolisé et déchiré. Sur BFM, se sont succédé Florian Philippot et Bruno Gollnish. Le premier répudiait les propos du Président d’Honneur. Le second les intégrait à la diversité du mouvement au nom de la liberté d’expression.
A moins d’imaginer chez le père fondateur un calcul machiavélique consistant dans un suicide politique prémédité pour libérer totalement sa fille des ombres du passé et lui donner ainsi les ailes de la victoire, il faut échafauder des solutions plus psychologiques. La plus évidente repose sur la personnalité atypique du personnage. Dans la vie habituelle des démocraties, le profil des politiciens repose sur la souplesse, la capacité de négocier, l’art du compromis. Les guerres seulement font apparaître des personnalités plus tranchées. La paix ne les aime pas beaucoup. Sous le regard permanent des chaînes d’information, le combattant privé de guerre la remplace par un goût prononcé pour la polémique. Son désintérêt pour la gestion et pour les débats techniques l’amène à pratiquer la politique comme un jeu où les saillies, les boutades propices aux dérapages remplacent l’analyse, la prévision et la proposition.
On ne peut reprocher à Jean-Marie Le Pen, ni son inconstance, ni son manque de courage. Dressé comme un menhir, le Breton, et fier de l’être, ne plie pas, ne bouge nullement. Son orgueil et son obstination lui commandent de ne pas s’effacer, de ne pas reculer. Poussé par Bourdin à revenir sur sa conception du génocide des Juifs par les nazis, il la maintient et amplifie le choc en réhabilitant Pétain et en mesurant la citoyenneté au nombre des générations. Le menhir de la Trinité-sur-Mer se transforme alors en écueil. Enfermé dans son personnage, il ne semble pas percevoir combien il aide ce qu’il pense combattre.
La France connaît à la fois le déclin et la décadence. Ses résultats économiques sont d’autant plus préoccupants que les rares bonnes nouvelles viennent du contexte international, et que nos gouvernants incompétents et timorés tiennent des discours anachroniques ou apportent des solutions tardives qui révèlent leur médiocrité par rapport à ceux de beaucoup d’autres pays. La France connaît un effondrement moral inouï. L’Assemblée vient de voter l’expérimentation des salles de shoot et la suppression du délai de réflexion avant l’avortement. Or, jamais les jeunes Français et notamment les jeunes femmes n’ont autant consommé de drogues ou pratiqué l’ivresse brutale. Comment peut-on faire de la politique sans être mobilisé une fois encore par le souci du redressement économique et moral du pays ? Les polémiques stériles sur le passé ont le double inconvénient de détourner des problèmes du présent et de fournir à l’information l’écran qui lui permet de ne pas les évoquer. L’Histoire a dit clairement qui s’était trompé entre Pétain et de Gaulle. La seconde guerre mondiale ne peut se circonscrire au génocide des Juifs, mais cette tragédie ne peut en aucun cas être qualifiée de détail. La connaissance du passé doit nourrir la réflexion et l’action sur le présent. L’interprétation idéologique du passé ne doit pas les empoisonner. Or notre pays, ou plutôt le microcosme qui est censé le conduire ou l’informer, se complaît dans ces vaines querelles qui montrent combien il a perdu sa maîtrise sur le réel.
6 commentaires
Le coté “punk” du Menhir est avéré , mais la liberté d’expression doit rester un bien précieux dans notre civilisation . Rien ne serait plus angoissant ( et régressif intellectuellement) qu’une société dans laquelle seule la vérité d’Etat serait autorisée . Bien à vous.
PS : ne serait-ce pas “salle de shoot” ?
Vous avez réagi très rapidement. C’était déjà corrigé, mais c’est très bien de signaler les erreurs.
L’affaire du “point de détail” reste un mauvais procès fait à Monsieur Le Pen qui déclara lors du ‘Grand jury’ RTL-’le Monde’ du 13 septembre 1987, en réponse à une question :
« Je ne dis pas que les chambres à gaz n’ont pas existé. Je n’ai pas pu en voir. Je n’ai pas étudié spécialement la question. Mais je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. »
C’est en consultant des ouvrages d’histoire qu’il avait pu parvenu à cette conclusion, que l’on peut discuter.
L’expression “chambres à gaz” ne figure pas dans le sommaire détaillé (2 pages) de l’ouvrage de Raul Hilberg The Destruction of the European Jews, publié en 1961, 2e édition 1985 (traductions françaises Fayard 1988 et Gallimard, collection Folio-Histoire, 1991).
On ne trouve rien sur les camps d’extermination, ni sur les chambres à gaz, dans Histoire de la seconde guerre mondiale de Liddell Hart (1970, traduction française Pais : Fayard 1973), ouvrage qui figurait en Usuels (au fond à gauche) dans la salle des imprimés de l’ancienne Bibliothèque Nationale, 58 rue de Richelieu, Paris 2e.
Le manuel Histoire de 1890 à 1945 (Hachette, collection GREHG, classes de première (anciennement “première de rhétorique” …), 1988), mentionne les chambres à gaz page 235, en une seule ligne, dans la partie “Cours” : “Après 1942, les chambres à gaz font des camps des usines de mort.” Mais cet ouvrage consacre quatre lignes au “nylon, ce textile de synthèse mis au point par des ingénieurs de la firme Dupont de Nemours en 1938 et utilisé de façon industrielle pour confectionner les parachutes, avant de conquérir l’habillement et une foule d’autres usages.”
Dans la partie “Documents”, le seul témoignage produit est celui du communiste Fernand Grenier sur Dachau (témoignage publié dans L’Humanité du 4 mai 1945), Dachau où les gazages homicides ont été reconnus inexistants, notamment par Pierre Vidal-Naquet et Madeleine Rebérioux (sans contestation ultérieure).
L’expression “chambres à gaz” ne figurait pas dans le “Thésaurus”, index détaillé de l’Encyclopaedia Universalis publié en 1990.
Les historiens Serge Berstein et Pierre Milza ont eux aussi traité la question comme un détail dans L’Allemagne 1870-1991 (Paris : Masson, 1992) ; on n’y lit en effet que ces quelques lignes :
“Dans l’euphorie des premières victoires en Russie s’ébauche un plan bien plus ambitieux ; la ‘solution finale’, c’est-à-dire l’extermination de tous les juifs européens. Chargé en juillet 1941 de dresser un rapport sur la question, Heydrich fait adopter en janvier 1942 un plan qui entre aussitôt en application : construire des camps où les juifs seront parqués et exterminés dans des chambres à gaz. Dans toute l’Europe commencent les grandes rafles destinées à alimenter les convois qui convergent vers Auschwitz, Maïdenek, Belzc, Treblinka, etc., où périront six millions de juifs.”
Invité sur BFMTV le jeudi 2 avril 2015, le président d’honneur du FN, Jean-Marie Le Pen, a réitéré ses propos sur les chambres à gaz, qualifiées de “point de détail de la guerre”, qui lui avaient déjà valu d’être condamné, et défendu l’utilité des polémiques dans la progression du FN. Regrette-t-il d’avoir parlé de “point de détail ?”, lui a-t-il été demandé par Jean-Jacques Bourdin :
“Ce que j’ai dit correspondait à ma pensée, que les chambres à gaz étaient un détail de la guerre, à moins d’admettre que c’est la guerre qui était un détail des chambres à gaz. Je maintiens ces propos car je crois que c’est la vérité”.
Mais depuis l’avènement de la correction politique, l’indignation remplace l’argumentation…
Je pense que J.M Lepen est un “détail “dans la vie politique française…..Avec ou sans lui ,le score du F.N ne devrait pas varier beaucoup,et pourrait même s’améliorer encore….tellement notre pays a besoin” d’autre chose” !
Si les “Camps de la mort de la Seconde Guerre mondiale ” sont un détail, que vaut votre fameuse guerre d’Algérie à coté …cher Lepen ?
@ Courouve:
J’ai constaté cette aseptisation de la Shoah dans les programmes de l’Education Nationale. Dans mon livre d’Histoire de Terminale paru chez Hachette et dont la couverture représentait un grand magasin parisien ayant inspiré Emile Zola, la bataille de Verdun occupait le plus grand nombre des pages consacrées à la Grande Guerre, moins en raison de son importance dans la demande d’armistice des Allemands en Novembre 1918 que du nombre de ses victimes. Mais, un seul paragraphe traitait de la déportation et de l’assassinat des deux tiers des Juifs en Europe pendant la seconde guerre mondiale. Ce révisionnisme d’Etat a comme principal objectif la marginalisation des hommes et des femmes qui avaient choisi de combattre les ennemis de la France Libre
Dans cent ans, à cause d’historiens négationnistes encartés au PS, les collégiens et les lycéens de France apprendront peut-être que les salles de shoot et les avortements irréfléchis étaient des points de détail du quinquennat d’Hollande… Qui sait ?