Mars/Avril 2011, le printemps arabe fleurissait en Syrie. Des manifestations d’opposants avaient lieu dans de nombreuses villes. Le gouvernement alternait la carotte des baisses de taxes, des augmentations de postes et de salaires avec le bâton d’une répression sévère. Dans une mise en scène bien réglée, les médias dénonçaient la barbarie du régime, des défections se produisaient dans ses rangs, un organisme de transition voyait le jour tandis que la protestation se muait en rébellion et la révolte en guerre civile. Le scénario étonnamment semblable à celui d’autres tournages se produisait avec des variantes locales. Le dictateur ne partait pas comme en Tunisie. L’armée ne basculait pas comme en Egypte. Faute d’intervention militaire directe d’une puissance occidentale, le régime ne s’effondrait pas comme en Libye. Il tenait avec le soutien de milices loyalistes, celui de l’Iran et de la Russie et l’arrivée des supplétifs chiites libanais ou irakiens. Il contrôle aujourd’hui plus de 70% de la population, notamment les personnes déplacées qui se sont mises sous sa protection, dont on parle peu. Pendant ce temps, l’opposition connaissait, sans avoir gagné, le sort de celle de Libye apparemment victorieuse. Sa façade démocratique se craquelait, son unité se fissurait. Deux conseils dominés par les Frères Musulmans, l’un appuyé par la Turquie, le CNS, l’autre par le Qatar, la CNFOR revendiquaient la légitimité. Le décor démocratique et son Armée Syrienne Libre étaient débordés par des groupes islamistes rivaux et de plus en plus violents : le Front islamique, le Front Al-Nosra, l’Etat islamique multipliaient les conflits fratricides. Les Kurdes accédaient de fait à l’autonomie le long de la frontière turque.
Depuis l’intervention russe en Octobre 2015, l’armée syrienne appuyée par ses alliés reconquiert le terrain. La carte montre aisément que les rebelles sont, comme par hasard, en force aux abords des frontières jordanienne et turque, là où ils peuvent recevoir l’aide de l’Otan et des pays du Golfe. Il faut être aveugle pour ne pas comprendre que la France et ses alliés fournissent un soutien qui peut en raison de la confusion de la situation aller à des djihadistes qui sont nos ennemis, comme ceux d’Al-Nosra (Al-Qaïda) dont Fabius s’était laissé aller à dire qu’ils faisaient du “bon boulot”. Les troupes d’Assad ont libéré récemment deux villes encerclées au nord d’Alep et vont à leur tour refermer l’étau sur les islamistes qui occupent une partie de la grande cité. Le risque est donc très grand de voir se dévoiler le vrai visage de l’opposition syrienne avec une intervention directe des Turcs et des Saoudiens. Les seconds en parlent. Les Russes ont observé des mouvements inquiétants des premiers. La guerre est désormais possible, et notre pays s’y trouverait engagé dans le mauvais camp, celui des pays, la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Qatar qui, avec l’aval du Président américain et néanmoins “Prix Nobel de la Paix”, ont déstabilisé l’ensemble du monde arabe pour promouvoir une apparence de démocratie qui s’est révélée être le cheval de Troie de l’islamisme. Cette tentative a échoué partout. Soit il y a eu un quasi-retour à la situation d’origine dans des pays lourdement menacés par le terrorisme et appauvris par la désertion des touristes comme la Tunisie et l’Egypte. Soit la guerre civile s’est installée comme en Syrie, au Yémen et en Libye. Dans ce pays, l’Etat islamique s’est emparé de Syrte au centre de la côte méditerranéenne, menaçant directement l’Europe. De part et d’autre, deux gouvernements rivaux se partagent un pays plus que jamais retourné à l’anarchie tribale. C’est évidemment à ce type de situation que pourrait aboutir l’accord de paix voulu par les Occidentaux en Syrie.
John Kerry est venu à Rome présider la réunion de 23 membres de la coalition de 66 pays réunie contre l’Etat islamique et qui peine à le détruire. Il a eu le culot de vanter les mérites des frappes homéopathiques dirigées contre “Daesh”. Celles-ci auraient fait fondre les troupes djihadistes, mais avec un effet de vases communicants qui aurait développé leur nombre en Libye. On constate que les Américains n’ont apparemment pas les moyens de bloquer ce phénomène et qu’ils ne veulent pas risquer au sol leurs militaires professionnels contre les salafistes. C’est en fait l’arrivée des Russes qui a changé la situation. Certes, l’ONG “Observatoire Syrien des Droits de l’Homme” basé à Londres et financé par de riches soutiens, leur attribue surtout des morts civils, mais la désinformation fait aussi partie des méthodes de Washington. Les actions de la coalition durent depuis deux ans et n’ont pas empêché les islamistes de gagner d’abord du terrain et de n’en perdre qu’assez récemment. L’offensive russe n’a que cinq mois et on peut en apprécier les résultats. Les Kurdes aussi progressent, mais la constitution d’un large Kurdistan irako-syrien ne peut que pousser les Turcs à recourir à la force. Il paraît donc évident que l’homéopathie doit laisser la place à une chirurgie urgente, même si celle-ci doit déplaire aux commanditaires sunnites de la rébellion syrienne. Le chemin le plus court du rétablissement de l’ordre et de la paix en Syrie passe par la volonté de redonner au gouvernement légal du pays, qui en maîtrise déjà la partie la plus peuplée, le contrôle de l’ensemble du territoire, hormis un Kurdistan autonome. En continuant d’aider des rebelles peu fiables, on prolonge inutilement une guerre qui a causé 260 0000 morts et déplacé 9 millions de personnes, et on favorise l’activité des bases terroristes qui s’abritent dans leurs secteurs. L’inaction en Libye, quant à elle, est aussi criminelle que l’action qui a précipité le pays dans le chaos. Kerry, dans la tradition des guerres perdues, dit préfèrer la solution politique à la solution militaire en oubliant que la guerre est la continuation de la politique et que les traités résultent toujours d’un rapport de forces indiscutable. Ni les ballets diplomatiques ajournés ou non, ni la distribution de chèques, encore moins la poursuite de la fourniture d’armes aux rebelles ne mettront fin aux souffrances infligées au peuple syrien.
3 commentaires
Monsieur Vanneste, je m’adresse au philosophe.
Peut-on détruire un état d’esprit, des idées si ce n’est en leur en substituant d’autres qui soient acceptées ?
Vous avez tout-à-fait raison. C’est la raison pour laquelle il faut étudier de près les idées. Dans ses textes fondamentaux, l’Islam est en totale contradiction avec la démocratie. Son introduction massive en Europe est un crime culturel. Sa présence très minoritaire, l’existence de minorités importantes, chrétiennes notamment, là où il est majoritaire sont d’excellentes choses pour les musulmans. Enfin la multiplicité des obédiences de l’islam comme le chiisme, les druzes, les alaouïtes, les Alevis, les sunnites soufis est également un gage d’évolution positive. Le salafisme soutenu par le Qatar et l’Arabie saoudite est une catastrophe qu’il faut combattre.
Le gouvernement français a beaucoup de mal à désigner ses amis et ses ennemis par manque de principes et de valeurs.
S’il était déterminé à défendre la civilisation occidentale, celle de la liberté, sa politique serait plus claire. Même lorsqu’il faut choisir entre deux maux.