Le lapsus de François Hollande est révélateur. Evoquant la situation en Syrie, et soulignant la nécessité de dialoguer avec la Russie, notre Président a d’abord employé le mot de Turquie. La fatigue, dira-t-on.. Il est vrai que la voix présidentielle était mal assurée et que certains termes étaient bredouillés, mais Freud mettait ce genre d’erreur sur le dos de l’inconscient et il avait sans doute raison, car si un cerveau fatigué est moins vigilant pour empêcher les erreurs, celles-ci ne sont pas dénuées de signification. La substitution d’un mot à un autre traduit soit un désir que la réalité que désigne ce mot remplace l’autre, soit au moins révèle le doute sur ce qui les sépare. En tout état de cause, François Hollande n’est pas à l’aise sur ce dossier. La diplomatie russe l’a d’ailleurs souligné en annonçant que le Président Poutine annulait son déplacement à Paris et qu’il attendrait “que celui-ci soit plus à l’aise” pour rencontrer son homologue français. Le Chef d’Etat qui dirige notre pays a embarqué la France dans le sillage de la politique américaine qui depuis 2003 au moins a suscité le chaos au Proche et Moyen-Orient. Comme d’habitude, Washington prétend camper sur le terrain de la morale et brandir l’étendard du Bien. Ce discours était acceptable lorsque l’URSS occupait l’Est de l’Europe et massait des milliers de chars à quelques centaines de kilomètres de Paris. L’Empire soviétique qui intégrait à l’époque les Républiques devenues indépendantes comme l’Ukraine ou les Pays Baltes était un Etat totalitaire reposant sur une doctrine, le Marxisme-Léninisme, qui avait vocation à se répandre dans le monde entier. Il poussait d’ailleurs ses pions en Afrique et en Amérique Latine. La menace était immense pour nos démocraties libérales en recul dans les années 1970. Le danger était tel que des dictatures “de droite” étaient bienvenues pour nous aider à le parer. La situation actuelle n’a rien de comparable. La Russie est aujourd’hui revenue dans des frontières limitées qu’elle n’avait pas connues depuis des siècles. Non seulement ses anciens satellites européens, la Pologne notamment, sont animés d’une suspicion vengeresse à son encontre, mais la seconde République soviétique, l’Ukraine, peuplée d’un grand nombre de russophones, est en conflit larvé avec elle. Certes, les forces armées russes sont puissantes, mais elles n’ont aucune raison de provoquer une guerre expansionniste. Moscou veut simplement préserver le statut de grande puissance de la Russie. Celle-ci doit pouvoir jouir d’un glacis d’alliés qui tienne l’Otan à distance, continuer à faire évoluer ses unités aériennes et navales sans qu’elles soient prisonnières de l’adversaire américain qui poursuit la stratégie définie par Zbigniew Brzezinski dans le Grand Echiquier : enfermer la Russie dans un rôle de puissance régionale repoussée vers l’Est, tandis que l’Europe incapable de sortir du giron américain pousserait son extension politique et militaire vers les anciens territoires soviétiques au travers de l’UE et de l’Otan. Que Vladimir Poutine essaie d’échapper à ce piège est logique et légitime.
L’adversaire et la menace ont changé pour l’Europe. Les visées américaines, elles, n’ont pas changé. Les politiques européennes, celle de la France en particulier semblent méconnaître cette évolution. Les Etats-Unis ont vaincu l’URSS en réveillant l’islam. Les chiites s’étaient révélés contre eux en Iran. Ils ont employé les sunnites contre l’Empire communiste en Afghanistan. Depuis, cette politique complexe est devenue encore plus trouble. Le mélange d’intérêts économiques et stratégiques qui les lient aux monarchies pétrolières et à la Turquie leur ont fait prendre des positions favorables aux musulmans dans les Balkans, au détriment des orthodoxes proches des Russes. Leurs interventions et leurs soutiens dans le monde arabe sont allés vers les musulmans contre les nationalistes tandis que sur les braises qu’ils avaient rallumées s’enflammait un nouveau djihadisme qui se retournait contre eux. Le mirage d’une révolution démocratique modérée et laïque s’est dissipée avec l’échec de l’occupation de l’Irak et des Printemps arabes. La guerre s’est répandue dans toute la région et bien au-delà. La chute de Kadhafi en Libye a laissé place aux luttes des factions et des tribus. La guerre civile s’est déclenchée en Syrie. La prétendue relève démocratique soutenue par une armée fantôme, l’ASL, s’est effacée devant une multitude de groupes islamistes dont Al Qaïda et l’Etat islamique sont les plus importants. Que les aides “occidentales” soient allées vers certains de ces groupes implantés à l’intérieur du pays tandis que l’ASL se maintenait à proximité de frontières amies est une évidence. Les donneurs de leçon de morale ne s’intéressent qu’à Alep selon un scénario qui a réussi ailleurs, à Sarajevo, par exemple. Mais leurs “alliés” bombardent le Yémen et tuent des civils à Sanaa. A Alep même, les quartiers tenus par l’armée syrienne subissent des tirs de roquettes, mais les morts de ce côté-là ne sont pas à l’ordre du jour. La solution politique qui conduirait au chaos après le départ de Bachar Al-Assad n’est pas acceptable par la Russie. Celle-ci en revanche est plus réaliste. Elle veut l’écrasement des islamistes et sera sans doute prête à envisager une évolution du pays à condition qu’il demeure un allié. Le réalisme penche de ce côté. Les Européens ont tout intérêt à en prendre conscience puisqu’ils sont les secondes victimes de l’engrenage avec l’afflux des prétendus réfugiés sur leurs côtes. La Turquie, notre alliée, membre de l’Otan et du Conseil de l’Europe devant lequel M. Hollande s’exprimait, est de moins en moins démocratique et sa position réelle de plus en plus ambiguë… ce qui peut expliquer des lapsus.
La France n’a été grande qu’en occupant une place singulière sur l’échiquier mondial. Elle s’est sauvée parfois grâce à des alliances de revers avec les protestants ou le Grand Turc. Elle s’est toujours perdue en se contentant du rôle de second, comme dans l’entre-deux guerres. Elle avait aujourd’hui une chance unique de servir de pont entre la Russie et l’Europe. François Hollande pour des raisons qui n’ont sans doute aucun rapport avec la morale et le droit, qu’il brandit, a choisi de faire de la France le chien d’attaque des Etats-Unis. Intérêts économiques ? Perspective électorale ? Cette politique n’est pas digne de notre pays. Mauvaise sur le fond, elle l’a été aussi sur la forme, puisqu’en faisant part de ses hésitations à recevoir le Président russe, François Hollande a permis à Vladimir Poutine de dire que cette visite était inutile. On ne discute qu’avec ceux qui sont à votre niveau et qui ont un poids sur la marche des événements. Manifestement, la France ne l’a plus.
2 commentaires
Et dire que ces deux-là ont l’arme nucléaire sous la main.
On devine “sans hésitation” celui qui sera capable de l’utiliser en premier .
J’espère bien que Hollande va vivre un vrai chemin de croix pendant les derniers mois de son mandat. Ce ne serait que justice – justice immanente – pour le plus mauvais président de la Vè mais aussi de toutes les républiques réunies.
Le même Hollande vient d’écrire aux magistrats pour s’excuser. La magistrature consentira -t-elle à les accepter ? Le pouvoir exécutif s’excuse devant le pouvoir judiciaire ; ce n’est pas beau, çà ? Hollande a fini de ruiner le prestige, l’autorité, l’ascendance de la position du chef de l’État.
La France est bel et bien un pays ruiné et humilié sur tous les plans : politique, institutionnel, sécurité, économie, diplomatie, justice, école, militaire, culture…