Le monde occidental est sans doute en train de vivre un séisme politique d’une grande puissance. Les plaques tectoniques qui structuraient en profondeur les rapports de force ont bougé. C’est seulement maintenant qu’un nouveau paysage apparaît à la surface. On se souvient que lors de la publication de son livre “Démocratie Française”, en 1976, Valéry Giscard d’Estaing avait pronostiqué une évolution de la société française vers un grand groupe central sur lequel il entendait appuyer sa politique. Le recul de l’industrie au profit des activités tertiaires allait inaugurer le règne des classes moyennes. La lutte des classes perdait ses supports. Le parti communiste devait s’effondrer et l’activité politique se regrouper au centre. L’exemple américain était dans les esprits depuis le succès du “Défi Américain” de Jean-Jacques Servan-Schreiber une dizaine d’années auparavant. Aux Etats-Unis, le parti démocrate et le parti républicain étaient des partis centristes, le premier un peu plus à gauche que le second, mais avec de multiples nuances selon les questions et les régions. D’une certaine manière, la création de l’Union pour la Démocratie Française, l’UDF, face au mouvement gaulliste qui allait devenir le Rassemblement Pour la République, le RPR de Jacques Chirac, c’était l’illusion de créer un parti démocrate à la française face à un parti plus conservateur. Les élections européennes de 1979, gagnées par le premier contre le second, à l’époque clairement souverainiste, semblaient aller dans la voie souhaitée. 1981 vit la défaite des deux, vaincus par une union de la gauche qui allait installer des communistes au gouvernement aux côtés des socialistes majoritaires. La lutte des classes n’avait pas dit son dernier mot.
Depuis, à droite, le parti gaulliste a avalé la formation centriste en même temps qu’il perdait la plupart de ses repères gaullistes et conservateurs. L’UMP unissait les deux familles sous les dirigeants du RPR, désormais acquis aux idées de l’UDF. Au début, le mot “conservateur” en était banni. Même Sarkozy le proscrivait, mais peu à peu, sur les questions “sociétales”, les défenseurs des valeurs traditionnelles s’y retrouvaient tandis que la gauche ayant, à chacun de ses passages au pouvoir, limité davantage les capacités redistributives de l’Etat, se tournait plus vers les sujets liés aux moeurs. Le fait que la grande réforme du mandat de M. Hollande aura été le mariage unisexe illustre cette évolution. Son orientation semblait être toujours la même avec cette différence que le parti démocrate serait désormais le parti socialiste. Les responsables de l’UMP ont d’ailleurs donné un nouveau nom à leur machine électorale : Les Républicains. Plus américain que moi, tu meurs, comme dirait Sarkozy. En face, une partie de la gauche renâcle et continue à vouloir faire payer les riches au nom de l’égalité réelle, mais l’avenir semble se dessiner sans elle. Se confiant à des journalistes, François Hollande évoque la nécessité d’en finir avec le PS pour lui substituer un parti du progrès. Son Premier Ministre, en guerre avec l’aile gauche du parti est sur la même ligne, en y ajoutant quelques soupçons de patriotisme et d’exigence sécuritaire qui l’éloignent de l’idéologie socialiste. Et voilà que Macron lance un mouvement “ni de droite, ni de gauche”, mais progressiste, réformateur, libéral plus que social, clairement mondialiste. Le Maire de Lyon, Gérard Collomb n’hésite pas à voir dans Macron, le Mitterrand du XXIe siècle et dans En Marche, le mouvement qui va refonder le parti socialiste, avec un changement de nom, comme au congrès d’Epinay. Républicains conservateurs à droite, démocrates progressistes à gauche : enfin, nous sommes en Amérique ! D’ailleurs l’Europe s’est habituée au balancier aux mouvements doux qui fait alterner les conservateurs et les progressistes. Deux partis dominants se succèdent et parfois même gouvernent ensemble. Ils s’entendent comme larrons en foire dans les institutions européennes.
Alors que la France parvient enfin, non sans difficulté à réaliser le rêve américain du bipartisme apaisé qui habitait quelques têtes pensantes d’il y a un demi-siècle, voilà que le monde a changé. Le grand groupe central existe de moins en moins, y compris aux Etats-Unis, si tant est qu’il ait jamais existé dans notre pays. C’est au contraire la fracture qui domine le paysage, cette fracture que Seguin a révélée à Chirac pour le faire gagner en 1995 et que Sarkozy a utilisée en 2007 pour se faire élire, non au centre, mais à droite. Un coup à gauche, un coup à droite ? Pourtant, il s’agissait du même signal. Notre société est de plus en plus divisée, entre ceux qui se sentent bien dans le système, et ceux qui pensent en être exclus au point de le percevoir comme une menace. La précarité sociale de tous ceux dont l’emploi n’est pas assuré, l’insécurité à laquelle sont exposés les plus fragiles, l’effondrement des solidarités familiales et nationales au profit d’un individualisme et d’une immigration qui font perdre les protections identitaires, voilà désormais ce qui réunit une partie importante de la population contre un système et une évolution qu’elle sent mortels. Le Brexit, la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis, la montée du souverainisme en Europe, la consolidation du Front National en France, témoignent de ce phénomène. L’importance accordée à la confrontation entre Les Républicains et la gauche par les médias, les sondages trompeurs soulignent le décalage entre le pays réel et la manière dont le microcosme le perçoit. La France croit avoir découvert l’Amérique au moment où celle-ci n’est plus là où elle était.
Un commentaire
Cette analyse du/des contextes actuels me parait également pertinente, a l’exception peut-être, du rejet de la candidature Clinton, par les électeurs américains donc. Ce rejet nous interpellant, y compris en France présentement.