«Les médias se préoccupent bien plus des agresseurs que des agressés » écrivait Christian JELEN dans l’ouvrage qui fut publié en 1999 et dont le titre est malheureusement une fois encore d’actualité : « la guerre des rues ». Voici plusieurs jours qu’elle occupe le devant de la scène, voici plusieurs jours qu’entre deux évènements également douloureux, l’un a pris des proportions considérables tandis que l’autre était à peine relaté. Il y avait pourtant bien dans ce dernier agresseurs et victime tandis que dans l’autre il n’y avait, semble-t-il, qu’un tragique concours de circonstances.
Cette différence de traitement n’est pas due aux faiblesses et aux travers des médias, elle est révélatrice d’un problème qui n’est pas résolu depuis la sortie du livre de Christian Jelen et qui a même tendance à s’aggraver, celui de la violence urbaine et de cette guerre qui est présente au moins dans les esprits, par exemple celui de ce jeune qui résumait la situation en disant « c’est la guerre » devant des millions de téléspectateurs.
A un degré heureusement moindre, le quartier de la Bourgogne à Tourcoing avait connu un scénario similaire en janvier 2004 et vous aviez alors classé ce quartier dans les 25 faisant alors l’objet d’une politique spécifique.
Cette décision n’avait pas suscité l’unanimité. Pour certains, vous alliez stigmatiser ce quartier et ses habitants.
Une telle attitude est malheureusement l’expression de notre principale faiblesse devant le problème de la violence urbaine. Tout le monde est d’accord sur le constat : par exemple, les violences contre les personnes ont augmenté de 8,15% dans le département du Nord de septembre 2004 à septembre 2005. Mais plus personne n’est d’accord sur le diagnostic et sur les remèdes. Une fois encore notre pays s’adonne à son travers favori des oppositions idéologiques et stériles entre la prévention et la répression, l’assimilation républicaine et le communautarisme, l’action sociale et l’action policière, la vidéosurveillance et la liberté individuelle.
Comme si devant un tel problème, il ne s’agissait pas d’abord de trouver des solutions concrètes et efficaces.
Celles-ci passent par une exigence : la tolérance zéro ne doit pas être un slogan discuté mais un objectif unanime.
Comme l’écrit Sébastien Rocher, « une politique de tolérance zéro consiste en une forme active de stratégie policière conçue pour réagir sévèrement à n’importe quelle infraction qui serait susceptible d’engendrer un enchaînement de violence incontrôlable ». Autrement dit, il s’agit avant tout de rétablir l’ordre dans les esprits en soulignant que tout manquement est déjà répréhensible. C’est la politique du « carreau cassé ». On en connaît les résultats : à New York la criminalité a chuté de 62% de 1993 à fin2001 et de 6% encore en 2002.
Cette politique exige un état d’esprit et des moyens, je ne suis pas sûr que nous ayons ni l’un ni les autres.
L’état d’esprit c’est celui qui consiste à penser que la République est Une, que les citoyens qui la composent n’ont pas vocation à former des communautés, même si la religion peut être pour beaucoup le meilleur moyen d’accès aux valeurs qui président à une vie sociale altruiste et ordonnée. Cet état d’esprit doit être présent au premier chef chez tous ceux qui concourent à l’action publique, fonctionnaires et militants associatifs, de l’assistante sociale au policier, de l’enseignant au magistrat. Tous ont pour mission d’assurer la paix sociale et d’éduquer au respect de la loi.
Quant aux moyens, il faut en souligner la nécessaire cohérence : la prévention et la répression sont une seule et même politique.
La Politique de la Ville depuis 25 ans a multiplié les actions sur les personnes et sur les pierres. Je ne suis pas sûr que ses résultats soient probants. Quels ont été les moyens mis en œuvre dans les 25 quartiers sélectionnés en 2004 ? Et quels en sont les résultats concrets?
Mais au delà de cette première forme de prévention, il y a la prévention dissuasion. Le retard de notre pays dans le domaine de la vidéosurveillance est effarant : plusieurs millions de caméras en Grande-Bretagne contre quelques dizaines de milliers en France. La lutte contre le terrorisme nous invite à rattraper notre retard. Encore faut-il se demander si la vidéosurveillance n’est pas plus utile pour repérer les dealers ou les meneurs que pour identifier les kamikazes après leurs suicides. Encore faut-il remarquer qu’un foulard qui cache le visage d’un voyou est plus dangereux que le turban d’un sikh quand il va à l’école.
Le développement de la vidéosurveillance doit à mon sens passer par une synergie entre l’Etat et les collectivités territoriales. Elle mobilise parfois bien des policiers nationaux qui pourraient être présents sur le terrain dans la mesure ou elle serait confiée à des policiers municipaux. Le développement de polices municipales intercommunales que j’appelle de mes vœux depuis longtemps y contribuerait y compris dans les zones de gendarmerie. Enfin, l’exemple donné par le Var pourrait être imité. Ce département intervient à 50% dans les équipements des communes. Un tel modèle pourrait être systématisé dans la mesure où l’Etat interviendrait à travers une dotation d’équipement en faveur des départements qui y auraient recours.
Ces nouveaux équipements permettraient de lutter avec plus d’efficacité contre le coeur du problème, c’est-à-dire l’économie souterraine.
Christian Jelen indiquait que 116 quartiers étaient devenus des lieux d’approvisionnement pour héroinomanes et que 72 présentaient les indices d’une économie parallèle avec apparition de caïds affichant des signes ostentatoires de richesse. On voit tout l’intérêt qu’il y a pour ces réseaux, de couper les liens entre la police et la population, de rendre plus difficile la présence d’agents de sécurité, de faire régner l’omerta sous la menace de l’incendie, de bannir les résidants indiscrets. On voit leur intérêt à développer une sorte « d’esprit de cité » comme on disait un esprit de clocher.
On voit plus mal les effets de la lutte contre ce processus. Quels sont les résultats des GIR dans ce domaine ?
Dans son excellent petit ouvrage consacré aux violences et à l’insécurité urbaines, Alain Bauer coupait les ailes à un certain nombre de canards, les grandes explications économiques et sociologiques qui tendent toujours à monter que de toute manière on ne pourra rien y changer. Il montrait notamment à partir des résultats new-yorkais que la délinquance n,’a une origine ni économique ni démographique ni culturelle. L’origine la plus certaine du crime, c’est le criminel lui-même, concluait-il.
C’est donc lui qu’il faut combattre. Vous en avez la volonté mais une volonté doit aussi vouloir les moyens et les conséquences de ce qu’elle veut.